Un sur quatre ou, plus précisément, 26 % : c’est la proportion des jeunes ruraux dans la jeunesse française (15- 29 ans). « Impensé politique, impensé médiatique, impensé des secteurs publics et privés : on ne parlait jamais des jeunes ruraux. Et lorsqu’on en parlait, c’était pour les associer aux fils d’agriculteurs, alors même que ces derniers ne représentent que 5,7 % de la population active rurale » : tel est le postulat, à l’appui d’un sondage réalisé par l’Ifop, de l’étude « Jeunesse et mobilité : la fracture rurale » , publiée par l’Institut Terram, nouveau think tank consacré à l’étude des territoires, et Chemins d’avenirs, une association qui lutte contre les fractures territoriales en pariant sur la jeunesse.
Mo-bi-li-té : si le terme est à la mode, il configure aussi la vision du monde, l’avenir et même le vote des jeunes Français enclavés, racontent Salomé Berlioux, fondatrice et directrice générale de Chemins d’avenirs, Félix Assouly, son directeur plaidoyer, et Victor Delage, fondateur de l’Institut Terram. Les jeunes ruraux de 18 ans et plus issus de communes très peu denses passent en moyenne deux heures trente-sept minutes dans les transports quotidiennement. Soit quarante-deux minutes de plus que les jeunes urbains.
Plus largement, les jeunes ruraux sont 69 % à dépendre de la voiture chaque jour, sans que les transports en commun compensent : 53 % d’entre eux déclarent être mal desservis par le réseau de bus et 62 % par le train, contre respectivement 14 et 24 % chez les jeunes urbains. La moitié des jeunes ruraux (49 %), par exemple, a déjà abandonné la pratique d’activités culturelles et de loisirs en raison de contraintes de déplacement ou de mode de transport. Même fracture face à l’emploi : 38 % en recherche d’emploi disent avoir déjà renoncé à passer un entretien pour des difficultés de déplacement.
Tendance qu’illustre le propos de Valentin, 28 ans, originaire de Saint-Pourçain-sur-Sioule (Allier) : « Quand j’avais 16 ans, je rêvais de devenir architecte. J’avais découvert ce métier dans une série, puis lu des tas de trucs sur Internet. Mais les écoles d’archi, c’était forcément à Clermont, Saint-Étienne ou Lyon. Il aurait fallu partir de chez moi, me payer un appartement en ville. Ma mère n’avait pas les moyens. J’ai très vite compris pourquoi, dans mon village, personne n’est jamais devenu architecte. »
Changer de paradigme
Bien sûr, ce sentiment d’abandon n’est pas sans conséquence politique. Au premier tour de la présidentielle de 2022, 39,6 % des jeunes ruraux ont voté pour Marine Le Pen, soit plus du double des jeunes urbains (18,1 %) : « Plus le temps passé en voiture est long, plus le vote pour la candidate du RN croît : 34 % pour ceux qui sont moins de trente minutes par jour dans leur automobile, 43 % entre trente et cinquante-neuf minutes, 42 % entre une et deux heures et 49 % pour plus de deux heures. »
Devant ces constats, l’incitation au « départ » des zones rurales n’a-t-elle pas tout d’un piège, lequel consisterait précisément à alimenter le cercle vicieux et à dévitaliser les zones rurales ? « L’enjeu ne se résume pas à une dialectique entre rester pour toujours et partir sans se retourner. Pour les jeunes ruraux, la question est avant tout de pouvoir bouger. C’est ce qui est mis en lumière dans notre enquête », résume Victor Delage.
« Le problème n’est évidemment pas de vivre à la campagne, ajoute Salomé Berlioux. Le véritable enjeu, c’est que les jeunes qui y grandissent n’ont pas les mêmes chances de départ que ceux des grandes métropoles. Maintenant qu’on commence à regarder le problème en face, il faut agir. » Changer de paradigme face à cette fracture rurale, loin de tout misérabilisme, a quelque chose d’indispensable à la mobilité sociale et géographique, de même qu’à la cohésion nationale, remarquent, en conclusion, les auteurs de la note.