Les jeunes ruraux et la tentation du Rassemblement national

Les jeunes des campagnes placent en tête de leurs intentions de vote le Rassemblement national. L’éloignement, l’isolement, une mobilité coûteuse et insuffisante sont autant d’explications pertinentes. Une enquête Ifop, diligentée par l’association Chemins d’avenirs et l’institut Terram, en témoigne.

Le sentiment d’abandon fait le jeu du Rassemblement national qui, à quinze jours des européennes, fait la course en tête dans les campagnes derrière, on l’omet souvent, l’abstention. Dans les territoires ruraux, les jeunes, qui boudent certes plus les urnes que leurs aînés, traduisent nombreux leur ressentiment par une intention de vote en faveur du parti d’extrême droite.

Intitulée Jeunesse et mobilité : la fracture rurale, une enquête Ifop, publiée jeudi et diligentée par l’association Chemins d’avenirs et l’institut Terram, pose une équation à la simplicité aussi désarmante qu’alarmante : « Plus le temps passé en voiture est long, plus le vote pour la candidate du RN croît : 34 % pour ceux qui sont moins de 30 minutes par jour dans leur automobile, 43 % entre 30 et 59 minutes, 42 % entre 1 et 2 heures et 49 % pour plus de 2 heures. »
Ah ! la voiture, bannie des centres-villes et si précieuse dans les campagnes où tout est loin. « Les transports en commun, pointe Salomé Berlioux, fondatrice de Chemins d’avenirs, sont insuffisants pour compenser l’éloignement : 53 % des jeunes ruraux affirment être mal desservis par le réseau de bus contre seulement 14 % chez les jeunes urbains. Idem pour le train avec 62 % des jeunes ruraux s’estimant mal desservis contre 24 % des jeunes urbains. »

Ce manque de transports en commun est l’un des principaux symptômes d’une France à deux vitesses. « Alors que les territoires ruraux comptent 88 % des communes et 26 % des jeunes de 15 à 29 ans, ils restent dans l’angle mort des pouvoirs publics » déplore Victor Delage, fondateur de l’Institut Terram. « Et, poursuit-il parce qu’ils sont loin des opportunités et des services, ces jeunes de 18 ans et plus issus de communes très peu denses passent quotidiennement en moyenne 2h37 dans les transports contre 1h55 pour les homologues urbains. » Et d’insister : « Les jeunes ruraux sont 69 % à dépendre de la voiture quotidiennement contre 31 % des urbains. Cette dépendance est telle que sept jeunes ruraux sur dix de plus de 25 ans (67 %) redoutent de perdre leur emploi si leur mode de transport leur faisait défaut. »

« Parce que plus des deux tiers des formations post-bac sont dispensées dans les grandes métropoles, abonde Salomé Berlioux, les jeunes ruraux souhaitant les suivre sont condamnés à bouger. Or, quand on a passé pour huit jeunes sur dix (79 %) les dix premières années de sa vie à la campagne ou dans une petite ville, se résoudre à habiter une grande ville va d’autant moins de soi qu’il faut aussi pouvoir en supporter les coûts financier et matériel. »

Renoncements

« Ces jeunes, développe-t-elle, entrevoient, très majoritairement, leur avenir dans un territoire semblable au leur : 63 % disent souhaiter rester en milieu rural. Les jeunes urbains, eux, ne s’interdisent rien : 29 % envisagent de vivre dans une ville moyenne, 22 % dans une grande ville, 18 % à la campagne, 17 % dans une petite ville et 14 % à l’étranger. D’où une plus grande liberté pour aller chercher les formations et les emplois où ils sont. »

À chaque étape de leur vie, ces freins douloureusement intériorisés sont rappelés aux jeunes ruraux : « Pas moins de 38 % de ceux en recherche d’emploi, note Salomé Berlioux, disent avoir déjà renoncé à un entretien d’embauche en raison de difficultés de déplacement. C’est 19 points de plus que leurs homologues urbains (19 %). Et 45 % d’entre eux ont déjà rencontré des difficultés pour se rendre au travail en raison de l’éloignement ou de problèmes de transport. Le budget moyen pour les transports d’un jeune rural s’élève à 528 euros par mois contre 307 pour les jeunes urbains. »

De l’isolement à l’isoloir

Alors, pour faire entendre leurs difficultés, d’aucuns, de plus en plus nombreux, brandissent leur bulletin de vote. « Ces entraves à la mobilité des jeunes ruraux, relève Victor Delage, profitent d’abord au RN. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, 39,6 % des jeunes ruraux ont voté pour Marine Le Pen. C’est plus du double des jeunes urbains (18,1 %). À l’inverse, les jeunes ruraux se sont beaucoup moins tournés vers Emmanuel Macron (16,8 %) que leurs homologues urbains (24,3 %), mais aussi moins tournés vers Jean-Luc Mélenchon (16,2 % contre 27,6 %). » L’isolement géographique les a aussi accompagnés jusque dans l’isoloir. « Les jeunes ruraux, enchaîne Victor Delage, sont 36 % en 2022 à avoir voté voté Marine Le Pen lorsqu’ils habitent dans une petite ville, 41 % dans un village et 46 % dans un hameau. »

Sans surprise, les critères socio-économiques redoublent l’effet de l’isolement. « Le vote RN, reprend Victor Delage, est majoritaire chez les classes défavorisées (57 %), chez les diplômés d’un CAP ou d’un BEP (60 %) et chez les salariés du privé (51 %). Mais il s’agit plus d’un vote de ressentiment que d’adhésion. Les jeunes ruraux ne sont pas moins écolos que les jeunes urbains. Mais, parce qu’ils ne peuvent pas se passer de la voiture, leur conscience écologique s’exerce ailleurs. »