Synthèse
1. Un outil inédit pour comprendre l’adhésion écologique depuis les territoires
Et si les politiques environnementales échouaient parfois non parce qu’elles seraient rejetées sur le fond, mais parce qu’elles sont mal arrimées aux territoires ? C’est cette hypothèse qu’explore cette étude en s’appuyant sur une méthode inédite dans le paysage français de l’analyse d’opinion : la régression multiniveau avec poststratification (multilevel regression with poststratification, MRP). Largement employée dans le monde anglo-saxon, cet outil de pointe reste méconnu dans la recherche française. Il permet pourtant de projeter les résultats d’une enquête nationale d’opinion à une échelle territoriale fine, ici celle des communes. Loin de se contenter de dresser un paysage figé de l’opinion, il rend visibles des écarts profonds dans les manières dont les Français vivent, perçoivent et évaluent la transition écologique.
2. Une conscience écologique largement partagée
Premier constat majeur de l’étude : il n’existe pas de rejet massif de la transition écologique dans la population. Les préoccupations environnementales transcendent les territoires, et une forte majorité de Français, qu’ils vivent en ville ou à la campagne, partagent l’idée qu’il faut agir face au dérèglement climatique. La volonté de « faire quelque chose » pour l’environnement constitue un socle commun.
Ce socle ne signifie pas pour autant que toutes les politiques écologiques suscitent le même niveau d’adhésion. Loin de là. L’étude révèle qu’au-delà de ce consensus de principe, les perceptions se fragmentent dès que la transition se décline en mesures concrètes, surtout lorsqu’elles impliquent des efforts individuels. Ce sont ces lignes de tension, souvent invisibles dans les agrégats nationaux, que la MRP permet de faire émerger.
3. Le coût individuel, première ligne de fracture
Si beaucoup de citoyens se disent favorables à l’écologie, l’adhésion diminue dès lors que les politiques impliquent des pertes de pouvoir d’achat ou des changements contraignants dans le quotidien. Ce recul est particulièrement marqué dans les petites villes et les zones rurales, où les marges d’adaptation sont perçues comme plus faibles. L’expérience de la transition écologique y est souvent vécue comme une suite d’injonctions venues d’en haut, sans accompagnement à la hauteur.
À l’inverse, dans les grandes agglomérations, les habitants semblent davantage prêts à consentir à des efforts, notamment lorsqu’ils bénéficient déjà de services et d’infrastructures facilitant le changement.
4. Le territoire modèle la perception de la justice écologique
Ce différentiel d’acceptabilité n’est pas seulement économique. Il est aussi lié à un sentiment de justice – ou plutôt d’injustice – perçue. Dans les territoires fragilisés économiquement, beaucoup ont le sentiment que la transition leur est imposée, alors qu’ils n’en sont ni les premiers responsables, ni les principaux bénéficiaires. Ce ressentiment n’est pas une contestation de l’écologie en soi, mais une critique de sa mise en oeuvre, vécue comme inégalitaire.
Les habitants des métropoles, mieux dotés en services publics, vivent la transition comme un horizon atteignable. Dans les zones moins denses, l’écologie est parfois perçue comme une charge supplémentaire dans des vies déjà contraintes.
5. Certaines mesures fédèrent, d’autres divisent
L’étude montre que toutes les politiques ne suscitent pas les mêmes réactions. Les mesures perçues comme productives et redistributives – par exemple rémunérer les agriculteurs qui installent des panneaux solaires – rencontrent un large assentiment, dans tous les types de territoires. De même pour la production d’énergies renouvelables, perçue à la fois comme écologiquement utile et favorable à l’économie locale.
En revanche, les mesures plus contraignantes ou techniques, comme l’interdiction des véhicules thermiques ou les hausses de prix liées à la fiscalité écologique, divisent davantage. Ce sont précisément celles qui cristallisent le sentiment de sur-sollicitation dans les territoires ruraux, où la voiture reste indispensable à la vie quotidienne.
6. L’électrification, un phénomène encore urbain
Par exemple, le passage à la voiture électrique est aujourd’hui avant tout un projet de grandes villes. Peu de communes affichent une forte proportion d’habitants prêts à franchir ce pas, en dehors des métropoles et de quelques centres urbains. Cela ne signifie pas que les ruraux s’opposent à l’électrification, mais plutôt qu’ils n’en voient pas encore les conditions réunies : prix, autonomie des véhicules, infrastructures de recharge.
7. Les Français veulent une écologie construite localement
Un autre résultat marquant réside dans la forte demande de territorialisation des politiques publiques. Les Français, dans leur diversité géographique, souhaitent que les mesures écologiques soient mieux adaptées aux contextes locaux. Cette aspiration traverse toutes les catégories de population.
Le soutien à des politiques décidées à l’échelle nationale reste fort, mais il est conditionné à leur capacité à s’articuler avec les réalités vécues localement. Autrement dit, les citoyens n’opposent pas l’État aux territoires, mais demandent que leur articulation soit repensée, dans un sens plus collaboratif, plus souple, plus contextuel.
8. Une attente forte à l’égard des élus locaux
Cette demande d’écologie « sur mesure » se traduit aussi par une attente vis-à-vis des maires et des élus locaux. Beaucoup considèrent qu’ils devraient avoir plus de pouvoir pour piloter localement la transition écologique. Le maire apparaît comme une figure de confiance, plus accessible, plus proche du terrain, capable d’arbitrer entre enjeux globaux et réalités concrètes. Cela reflète un besoin de réancrer la transition dans des logiques de proximité.
9. Réconcilier ambition écologique et justice territoriale
Cette étude montre que si l’adhésion de principe à la transition écologique est réelle et largement partagée, elle ne suffit pas à garantir la réussite des politiques mises en oeuvre. Loin d’être une opposition idéologique, les réticences exprimées sont d’abord des alertes sur les conditions de faisabilité, d’équité et de reconnaissance des efforts demandés.
La transition écologique doit être conçue non comme une suite de normes imposées, mais comme une transformation négociée, co-construite avec les habitants, à partir de leurs réalités.
En cela, la MRP se révèle bien plus qu’un outil technique : elle permet d’offrir une lecture fine des points d’adhésion comme des zones de crispation, d’anticiper les effets d’une politique avant sa mise en oeuvre et de construire une écologie qui soit populaire parce qu’elle est compréhensible, contextualisée et partagée.
Introduction – Penser la transition écologique depuis les territoires : une urgence démocratique
Depuis des décennies, les enjeux environnementaux se sont imposés comme un objet central de recherche en sciences sociales, au rythme de leur montée en puissance dans les sphères politique, médiatique et institutionnelle. En France, les travaux portant sur les perceptions citoyennes de l’environnement se sont multipliés, nourris par un ensemble d’enquêtes régulières menées par des institutions de référence : le baromètre de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) sur les représentations sociales de l’environnement, les vagues annuelles du baromètre de la confiance politique du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) ou encore les rapports du Commissariat général au développement durable (CGDD). Ces travaux documentent finement les niveaux d’adhésion au diagnostic climatique, les comportements écoresponsables, ainsi que les attentes exprimées à l’égard de l’action publique.
Pourtant, malgré la richesse et la continuité de ces données, une limite subsiste : pour beaucoup d’entre elles, ces enquêtes tendent à appréhender l’opinion publique comme un ensemble homogène ou à privilégier l’analyse selon des variables sociodémographiques classiques, bien que fondamentales, telles que l’âge, le genre, le niveau de diplôme ou la proximité partisane1Voir Philippe Coulangeon, Yoann Demoli, Maël Ginsburger et Ivalyo Petev, La Conversion écologique des Français. Contradictions et clivages. Paris, PUF, 2023 ; Laurent Lardeux, « Génération climat ? », laviedesidees.fr, 21 novembre 2023 ; Monique Dagnaud, « Le conflit de génération autour de l’écologie : une polémique artificielle ? », telos-eu.com, 18 septembre 2020.. La dimension territoriale, pourtant décisive dans la structuration des modes de vie et des rapports à l’environnement, y est encore rarement mobilisée comme facteur explicatif à part entière2Des exceptions existent, voir notamment Fondation de l’écologie politique, L’écologie depuis les ruralités, notes, février 2025..
Cet angle mort est d’autant plus problématique que la société française est aujourd’hui traversée par des fractures territoriales majeures qui influencent les représentations, les pratiques et les attentes en matière d’environnement. La crise des Gilets jaunes en a révélé toute l’acuité : née en périphérie des grands centres urbains, la mobilisation exprimait le rejet d’une écologie perçue comme imposée « d’en haut », déconnectée des contraintes et des modes de vie des zones rurales et périurbaines. Ce rejet ne traduisait pas une opposition de principe à la transition écologique, mais une dénonciation de son application uniforme, inégalement répartie, socialement et spatialement injuste3Voir Alix Levain, Simon Persico, Magali Della Sudda et al., « Les Gilets jaunes, anti-écologistes ? Bilan des recherches en sciences sociales sur les rapports à l’environnement des Gilets jaunes », L’Écologie depuis les ronds-points, février 2024, p. 46-71..
Or la transition écologique ne saurait réussir sans prendre appui sur une géographie des ressentis qui reconnaisse la pluralité des vécus territoriaux4Théodore Tallent, Backlash écologique : quel discours pour rassembler autour de la transition ?, Fondation Jean-Jaurès, avril 2024.. Ce qui fait sens en centre-ville – « sortir de la voiture », « consommer local »… – ne s’applique pas de la même manière dans les campagnes, où les alternatives sont limitées et où d’autres priorités (emploi, accès aux services, préservation des traditions ou du cadre de vie…) structurent les rapports à l’environnement. Il devient donc impératif de penser les perceptions environnementales à partir des territoires non comme de simples découpages administratifs mais comme des milieux de vie, traversés par des pratiques, des imaginaires et des récits politiques différenciés.
C’est à partir de cette conviction que s’inscrit la présente étude. Elle se donne pour ambition d’explorer un ensemble de questions devenues centrales dans le débat public. Dans quelle mesure peut-on identifier des clivages territoriaux dans le rapport des Français aux enjeux environnementaux ? Assiste-t-on réellement à une opposition entre une population urbaine, globalement favorable à la mise en oeuvre de politiques écologiques ambitieuses, et une population rurale, pour qui l’écologie, dans ses différentes formes, apparaît davantage comme une source de contraintes que de solutions ? Par ailleurs, existe-il une diversité de perceptions en fonction de la nature même des politiques environnementales mises en oeuvre dans les territoires ? Et, enfin, quel rôle les citoyens attribuent-ils aux territoires dans la conception et la conduite des politiques écologiques ?
En interrogeant la place des territoires dans la compréhension des perceptions environnementales, cette étude entend contribuer à une lecture plus ancrée des rapports qu’entretiennent les citoyens à l’écologie. Elle propose ainsi de dépasser les approches globalisantes pour replacer les vécus territoriaux au coeur de l’analyse, condition nécessaire à une transition écologique juste, comprise et partagée.
Méthodologie de l’enquête
Cette étude s’appuie sur les résultats d’une enquête d’opinion conduite au cours de l’été 2024, administrée par l’Institut Dynata auprès d’un échantillon de 2 000 personnes représentatives de la population française. Les données recueillies ont fait l’objet d’un traitement statistique avancé, mobilisant la méthode de régression multiniveau avec poststratification (multilevel regression with poststratification, MRP), dont les principes et les modalités d’application sont détaillés dans la troisième partie de cette note. Cette approche permet de projeter les résultats d’un échantillon national à l’échelle régionale et communale, offrant ainsi un outil d’analyse inédit, territorialement différenciée, particulièrement pertinent pour l’élaboration et le pilotage des politiques publiques.
Exemple de la méthode de régression multiniveau avec poststratification
La version intégrale de la MRP est accessible sur le Ressource Hub de Project Tempo.
I. L’échelon local, grand oublié des politiques environnementales nationales
1. Une aspiration forte à la prise en compte des réalités territoriales
Les résultats de notre enquête font apparaître une attente structurante au sein de la population française : celle d’une meilleure prise en compte des réalités locales dans la conception et l’application des politiques publiques. Interrogés à ce sujet, la moitié des Français (50 %) déclarent préférer que les responsables politiques tiennent compte des spécificités territoriales plutôt que de parler du pays comme d’un ensemble uniforme. Seuls 22 % se prononcent en faveur d’une approche unitaire et centralisée (les 28 % restant n’expriment pas de préférences sur ce sujet).
Ces résultats peuvent être interprétés comme le reflet d’un désajustement croissant entre les attentes citoyennes et la structure actuelle de l’action publique, perçue comme trop descendante, standardisée et insuffisamment réceptive aux spécificités locales. En creux, cette critique renvoie à une remise en question du modèle jacobin de centralisation politico-administrative qui prévaut historiquement en France, un modèle reposant sur l’uniformisation des normes à l’échelle nationale et une défiance structurelle vis-à-vis de l’autonomie territoriale. Or, dans un contexte marqué par la montée des enjeux de proximité, cette logique centralisatrice semble de moins en moins légitime aux yeux d’une partie importante de la population.
Contrairement à une idée reçue, cette demande ne provient pas exclusivement des zones rurales ou des territoires dits « périphériques ». Elle est plus fortement exprimée dans les grandes métropoles, où 54 % des habitants affirment préférer une approche territorialisée, contre 50 % dans les villes de taille intermédiaire et 48 % dans les communes rurales. L’aspiration à une meilleure articulation entre les échelons national et local dépasse donc les oppositions classiques entre centre et périphérie ou entre ville et campagne.
2. Une défiance marquée vis-à-vis de l’action de l’État central
Au-delà des préférences exprimées en matière de territorialisation des politiques publiques, les Français portent un jugement critique sur la manière dont l’État central intègre ou non l’échelon local dans la conduite de son action. Seuls 23 % des répondants estiment que leur territoire a été correctement protégé et valorisé par les gouvernements successifs. Cette défiance est particulièrement marquée dans certaines régions, au premier rang desquelles la Normandie (15 % de satisfaits), les Pays de la Loire (17 %) et la Bretagne (18 %). L’ouest, traditionnellement attaché à son identité territoriale, apparaît ainsi comme l’un des foyers d’insatisfaction les plus marqués.

Les communes de taille intermédiaire, souvent qualifiées de « villes moyennes », affichent les niveaux de satisfaction les plus bas, avec 17 % d’opinions favorables, contre 23 % pour les grandes métropoles et 25 % pour les territoires ruraux. Ni dotées de la puissance d’attraction des grandes métropoles, ni soutenues par les dispositifs spécifiques accordés à certains espaces ruraux, elles cumulent les effets de l’invisibilisation politique et de la stagnation économique.
3. Un enjeu stratégique pour le renouvellement politique
La demande d’une meilleure prise en compte des spécificités territoriales ne relève pas uniquement d’une revendication institutionnelle ou administrative, mais elle s’affirme comme un enjeu politique, porteur de conséquences électorales tangibles. Interrogés sur les critères déterminants dans le choix de leur vote lors des prochaines élections nationales, 70 % des Français déclarent qu’ils accorderont une attention particulière aux propositions des candidats en matière de renforcement des compétences des élus locaux. Ce chiffre élevé témoigne d’une évolution notable des priorités de l’électorat, désormais attentif à la capacité de l’offre politique à intégrer la diversité des réalités territoriales dans l’action publique. Alors même que la répartition des compétences entre l’État et les collectivités reste relativement peu discutée dans le débat national, cette donnée souligne l’importance que les citoyens accordent à un modèle qui reconnaît aux territoires une capacité d’initiative et d’adaptation en matière de politiques publiques.
Cette attente transcende les clivages traditionnels, qu’ils soient idéologiques, générationnels ou géographiques. L’analyse des électorats issus du premier tour de l’élection présidentielle de 2022 confirme cette tendance : les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (67 %), d’Emmanuel Macron (69 %), de Yannick Jadot (71 %) et de Marine Le Pen (72 %) expriment tous majoritairement leur volonté de voir l’échelon local doté de marges de manoeuvre élargies. Dans un paysage politique profondément polarisé, la territorialisation de l’action publique constitue finalement l’un des rares points d’accord transversal dans l’opinion.

II. Un consensus environnemental fragilisé par les inégalités territoriales
1. Un engagement partagé sur le fond, au-delà des espaces
Notre enquête fait apparaître un résultat essentiel : les préoccupations environnementales sont largement partagées à travers l’ensemble des territoires, qu’il s’agisse des zones rurales, des villes moyennes ou des grandes métropoles. Interrogés sur la nécessité pour la France de se doter d’une politique ambitieuse de lutte contre le dérèglement climatique, une majorité claire des personnes interrogées, quelle que soit leur aire de résidence, y répond favorablement.

Certes, une légère progression du volontarisme écologique peut être observée à mesure que l’on monte dans la hiérarchie urbaine et le soutien aux politiques environnementales les plus ambitieuses tend à s’accroître dans les grandes agglomérations. Toutefois, cette variation reste marginale. Ainsi, près de deux tiers des habitants des zones rurales (65 %) estiment que la France doit se doter de mesures fortes pour lutter contre le dérèglement climatique. Ce chiffre vient déconstruire un stéréotype encore trop répandu dans le débat public : celui d’un monde rural désintéressé, voire réfractaire à l’écologie.
2. Le seuil de l’acceptabilité : le coût personnel et les efforts demandés
Le lieu d’habitation n’est pas en soi un facteur discriminant de sensibilité écologique. Toutefois, lorsque l’on dépasse la simple adhésion de principe et que l’on interroge la population sur les implications concrètes de la transition écologique, des différences territoriales nettes apparaissent. S’il existe un consensus apparent en faveur de politiques environnementales ambitieuses, ce soutien se fragilise dès lors que la transition est perçue comme synonyme de contraintes individuelles.
Ainsi, 45 % des répondants estiment qu’on leur demande déjà trop de sacrifices personnels pour faire face aux exigences de la transition écologique. Ce chiffre, à première vue paradoxal, reflète une dynamique bien connue dans la littérature sur les politiques publiques : celle du syndrome NIMBY (« Not in my backyard », « Pas près de chez moi ») ou de l’adhésion générale couplée à une résistance locale, notamment lorsque les politiques affectent directement les conditions de vie quotidiennes.
Ce sentiment n’est pas réparti uniformément selon les typologies du territoire. Il est nettement plus marqué dans les zones rurales, où près d’un habitant sur deux (49 %) partage cette impression, contre 43 % dans les communes de 20 000 à 100 000 habitants et 41 % dans les communes de plus de 100 000 habitants. Ce chiffre suggère que les politiques environnementales telles qu’elles sont actuellement conçues ou perçues peinent à s’ajuster aux contraintes des territoires peu denses. Ce sentiment est légèrement atténué dans les métropoles, bien qu’il reste significatif, notamment dans l’agglomération parisienne, où les arbitrages entre normes environnementales et réalités sociales sont également complexes.

Afin d’évaluer plus finement cette tension entre adhésion de principe et acceptabilité concrète, nous avons soumis aux répondants une série de scénarios impliquant un coût individuel variable pour soutenir des politiques environnementales. Les résultats sont sans appel : plus le coût augmente, plus le soutien diminue, de manière linéaire. Ainsi, alors que 71 % des Français se déclarent globalement favorables à une politique environnementale renforcée, ce chiffre chute à 51 % si cela implique une perte de pouvoir d’achat de 10 euros par mois, à 41 % pour une baisse de 25 euros, et à 32 % si cette perte atteint 100 euros mensuels.
Derrière cette baisse générale du soutien, une fracture territoriale nette se dessine. Si les habitants des grandes agglomérations conservent un soutien relativement élevé même dans les scénarios de coût élevé (44 % dans les communes de plus de 100 000 habitants à 100 euros par mois, 47 % dans l’agglomération parisienne), ce soutien s’effondre dans les territoires moins densément peuplés. Seuls 26 % des habitants des communes rurales, 21 % de ceux des communes de 2 000 à 20 000 habitants et à peine 13 % de ceux vivant dans des communes de 20 000 à 100 000 habitants se déclarent encore favorables à ces mesures.

Ces écarts mettent en lumière un mécanisme central dans la réception des politiques environnementales : le coût perçu est fortement médiatisé par la position territoriale des individus, à la fois en termes d’accès aux alternatives, de niveau de vie relatif et de reconnaissance dans les politiques publiques.
Ces différences de soutien sont également liées à un sentiment différencié de reconnaissance dans l’espace politique et médiatique. Interrogés sur leur sentiment de proximité avec les « défenseurs de l’environnement », 42 % des Français déclarent se sentir représentés par eux. Mais ici encore, le gradient territorial est marqué.

Ce sentiment varie sensiblement selon le lieu de résidence : 37 % dans les zones rurales contre 53 % dans l’agglomération parisienne. Autrement dit, au-delà du contenu même des politiques environnementales, c’est leur incarnation sociale et politique qui fait parfois défaut. Là où l’écologie est perçue comme portée par des figures ou des discours éloignés du vécu local, le soutien se fragilise. À l’inverse, là où les habitants se sentent représentés, reconnus et associés à la fabrique des politiques, l’adhésion persiste malgré les contraintes économiques.
3. Une écologie « sur mesure » plutôt que standardisée
Les habitants des territoires ruraux et des petites villes ont le sentiment de subir des politiques environnementales mal conçues pour leurs territoires. Cette insatisfaction ne traduit pas une opposition de principe à l’égard de la transition écologique, car ils partagent avec les habitants des grandes villes la conviction qu’il faut agir pour l’environnement, mais ils se montrent plus sceptiques dès lors que ces politiques se traduisent par des contraintes individuelles, en particulier d’ordre économique, et lorsqu’ils ont le sentiment que ces mesures sont imposées depuis le haut sans réelle prise en compte des spécificités locales.
Ce constat invite à sortir d’une lecture simpliste et monolithique de l’adhésion écologique, qui opposerait mécaniquement une France urbaine, favorable à l’environnement, à une France périphérique, qui y serait hostile. Une telle grille de lecture passe à côté d’un phénomène essentiel : la diversité intrinsèque des politiques environnementales. L’écologie ne se résume pas à un bloc idéologique uniforme ; elle se décline à travers des instruments, des leviers et des logiques d’action très différents – certains incitatifs, d’autres contraignants, certains redistributifs, d’autres normatifs.
Dès lors, le soutien ou le rejet ne porte pas sur l’écologie en tant que telle mais sur le type de politique mise en oeuvre, ses effets concrets et sa capacité perçue à répondre efficacement aux enjeux environnementaux. Ce sont ces représentations différenciées que nous avons cherché à mesurer, en interrogeant les répondants sur l’efficacité perçue d’une série de politiques publiques environnementales.

Les résultats globaux confirment l’idée que le soutien aux politiques écologiques dépend beaucoup du type de mesure proposée. Ainsi, près de trois quarts des répondants (73 %) estiment que la construction de nouvelles sources d’énergies renouvelables aurait un impact positif sur l’environnement5Sur le sujet, voir Engie-Ifop, Énergies : que veulent vraiment les Français ?, mai 2025.. Plus des deux tiers (67 %) sont également favorables au principe de rémunérer les agriculteurs qui installeraient des panneaux solaires dans leurs champs. Ces deux mesures recueillent un soutien quasi consensuel, qui ne varie que très peu selon le territoire.
Certaines politiques perçues comme structurelles, symboliques ou à visée redistributive rencontrent également un accueil plutôt favorable. C’est le cas de la taxation des importations en provenance de pays aux standards environnementaux faibles (62 %) ou de la taxation des vols d’affaires pour financer l’utilisation du ferroviaire (59 %).
En revanche, les mesures portant sur l’usage de la voiture, objet du quotidien et marqueur d’autonomie résidentielle, sont perçues de manière plus clivante. Les subventions à l’achat de véhicules électriques ne sont jugées efficaces que par la moitié des répondants (50 %) et l’interdiction progressive de la vente des voitures thermiques est perçue comme une bonne mesure écologique par seulement 39 % de la population.
Lorsque l’on croise ces résultats avec le lieu de résidence, des différences significatives émergent. Deux mesures – la construction de nouvelles énergies renouvelables et la subvention des agriculteurs installant des panneaux solaires – recueillent un soutien massif et relativement homogène, quelle que soit la taille de la commune. Il s’agit là de mesures souvent perçues comme bénéfiques à la fois pour l’environnement et pour le développement territorial.
Certaines mesures sont plus plébiscitées dans les zones rurales. C’est notamment le cas de la taxation des importations : 66 % des habitants des zones rurales en perçoivent l’efficacité environnementale, contre 61 % dans les grandes villes. De même, la taxation des vols en classe affaires reçoit l’assentiment de 62 % des ruraux, contre 54 % dans l’agglomération parisienne. Ces écarts peuvent refléter une lecture critique des modes de consommation jugés élitistes ou déterritorialisés.
Enfin, les mesures touchant à l’automobile suscitent une fracture nette. Les subventions à l’achat de véhicules électriques sont jugées efficaces par 58 % des habitants de l’agglomération parisienne, soit 10 points de plus que les ruraux (48 %). L’écart est encore plus marqué pour l’interdiction de la vente des voitures essence et diesel, jugée efficace par 45 % des Parisiens, 41 % des habitants des grandes villes, mais seulement 33 % des habitants de communes rurales.
Ces différences d’appréciation ne sont pas anodines : elles structurent de manière décisive la volonté d’engagement individuel dans la transition. Prenons le cas de l’automobile. Si 31 % des habitants de communes de plus de 100 000 habitants et 39 % des habitants de l’agglomération parisienne déclarent vouloir passer à l’électrique, ce chiffre n’est que de 26 % chez les habitants des zones rurales.

III. Écologie et territoire : la nécessité d’améliorer les outils de pilotage
1. Pourquoi le local est la clé d’une transition réussie
La transition écologique, pour être socialement soutenable, ne peut se résumer à des injonctions descendantes ou à des dispositifs standardisés. En matière de transition écologique, les Français se montrent disposés à faire évoluer leurs comportements individuels à condition que les solutions proposées soient jugées pertinentes, concrètes et adaptées à leur mode de vie. L’échelon local apparaît non seulement comme un niveau pertinent de mise en oeuvre mais aussi comme un espace de négociation, d’innovation et d’appropriation. Il est en quelque sorte le point d’articulation entre les ambitions globales de la transition et les réalités vécues par les citoyens. Le levier d’adhésion se trouve ainsi moins dans la contrainte que dans la capacité des politiques publiques à rencontrer les conditions d’une transition juste, ancrée et réaliste.
Dans ce contexte, il est impératif que les décideurs publics disposent de grilles de lecture fines, leur permettant d’anticiper la réception locale de chaque mesure. Cela vaut aussi bien pour les échelons nationaux que pour les collectivités territoriales, qui sont souvent en première ligne dans la mise en oeuvre des politiques de transition. Les maires, en particulier, apparaissent comme des figures attendues : 80 % des Français estiment qu’ils devraient disposer de davantage de pouvoirs pour agir en matière environnementale6« Les Français face aux enjeux liés àl’environnement et àla transition énergétique àun an des élections municipales », enquête Ifop réalisée pour Helio, 29 avril 2025, p. 17.. Cela traduit une confiance dans l’échelon municipal, mais aussi une exigence accrue d’efficacité et de proximité.
Le besoin de nouveaux outils de pilotage territorialisé devient manifeste. Il ne s’agit plus seulement de capter l’opinion publique dans sa globalité, mais d’être en mesure de cartographier les positions citoyennes à l’échelle infranationale, en tenant compte des effets de contexte. C’est précisément l’ambition de cette enquête, qui repose sur l’utilisation d’un modèle statistique de pointe : le MRP (multilevel regression with poststratification). Il permet d’estimer finement les perceptions environnementales à l’échelle communale et ainsi de mieux outiller les politiques publiques pour qu’elles soient à la fois plus justes, plus efficaces et plus légitimes.
Dans le cadre de cette étude, nous avons ainsi mobilisé cette méthode statistique avancée afin d’estimer, à l’échelle des quelque 35 000 communes françaises, les résultats relatifs à six grandes questions liées à l’écologie. La MRP s’est révélée être un véritable outil offrant une lecture fine des attentes, des réticences et des représentations des citoyens à l’égard des politiques environnementales.

2. Un consensus sur la responsabilité partagée dans la transition agricole
La transition vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement est aujourd’hui au coeur des débats publics, en particulier en ce qui concerne la répartition équitable de ses coûts. À ce titre, notre étude révèle un consensus national particulièrement fort : 62 % des Français estiment que les agriculteurs ne devraient pas être les seuls à supporter les efforts financiers liés à la décarbonation de leurs pratiques. Cette opinion dépasse largement les clivages territoriaux habituels.
La carte 2 illustre ce phénomène : dans une très grande majorité des communes françaises, une majorité nette de la population partage cette position. Ce résultat souligne une reconnaissance généralisée de l’interdépendance des acteurs de la chaîne agroalimentaire – des producteurs aux distributeurs, en passant par les consommateurs – dans la conduite de la transition écologique du secteur agricole. Bien que les enjeux liés au pouvoir d’achat demeurent structurants du point de vue des consommateurs, l’acceptabilité d’une hausse des prix des denrées alimentaires tend à progresser, à condition que les agriculteurs soient les premiers bénéficiaires de cette augmentation7Sur le sujet, voir notamment The European Consumer Organisation, One bite at a time: Consumers and the transition to sustainable food, June 2020..

3. Métropoles : électrification et acceptation des hausses de prix
La transition vers la voiture électrique représente un pilier des politiques de décarbonation des mobilités. Cependant, les dynamiques d’adhésion à ce changement sont loin d’être homogènes sur le territoire. La carte 3 met en évidence un fait marquant : les communes où plus de 40 % des habitants déclarent souhaiter passer d’un véhicule thermique à un véhicule électrique sont extrêmement minoritaires et très majoritairement situées dans de grandes métropoles. Pourtant, ce sont les habitants des zones périurbaines qui recourent le plus à la voiture et qui, en théorie, pourraient tirer un bénéfice important d’un tel changement – encore faut-il que les conditions économiques, techniques et sociales de cette transition soient réunies. Ce phénomène s’observe notamment dans plusieurs communes de l’agglomération parisienne (43 % à Issy-les-Moulineaux, 44 % à Montreuil), mais également dans des métropoles régionales telles que Nantes (40 %), Bordeaux (44 %), Toulouse (44 %) ou Strasbourg (41 %). Cet ancrage urbain de la transition automobile s’explique en partie par un meilleur maillage en infrastructures (bornes de recharge, transports alternatifs), un pouvoir d’achat souvent plus élevé, mais aussi une exposition plus directe à la pollution atmosphérique, qui rend les bénéfices de l’électrification plus tangibles.

Les habitants des grandes villes apparaissent également plus enclins à accepter les conséquences économiques de la lutte contre le changement climatique. La carte 4 montre les communes dans lesquelles plus de 49 % des habitants déclarent qu’il est important de lutter contre le dérèglement climatique, même si cela implique des prix plus élevés. Une fois encore, ce sont les métropoles et leurs couronnes qui se distinguent. On retrouve ainsi des communes de l’agglomération parisienne, mais aussi Rennes, Nantes, Bordeaux ou Strasbourg (toutes à 49 %).

4. Territoires ruraux : sursollicités, sous-consultés
Une première ligne de fracture territoriale apparaît dans la hiérarchisation des priorités entre économie et écologie. Au niveau national, 44 % des Français considèrent que l’économie doit primer sur la lutte contre le changement climatique, tandis que 24 % y sont opposés et 31 % adoptent une position intermédiaire.
La carte 5, qui recense les communes dans lesquelles plus de 50 % de la population souscrit à cette hiérarchie économique, révèle un ancrage territorial net de cette perception dans les zones rurales du nord et de l’est de la France. Ces communes, très majoritairement peu peuplées (moins de 2 500 habitants), se caractérisent souvent par une dépendance plus marquée à des secteurs d’activité à forte empreinte carbone, par une moindre diversification économique et par une vulnérabilité accrue face aux réformes structurelles perçues comme menaçantes pour leur équilibre socio-économique. Cette adhésion à une logique de priorité économique n’est donc pas synonyme de climatoscepticisme mais peut plutôt se lire comme une forme de réflexe défensif, alimentée par un sentiment de fragilité structurelle.

Le sentiment que la transition écologique repose excessivement sur les individus et de manière inégale est une autre source majeure de tension. Au niveau national, 45 % des Français estiment qu’on leur demande trop de sacrifices personnels pour faire face à la transition environnementale. La carte 6 permet d’identifier les territoires où cette perception est la plus forte, c’est-à-dire où plus de 59 % des habitants partagent ce sentiment.
Ces territoires se concentrent, là encore, dans le Grand Est, les Hauts-de-France, la Normandie et l’Occitanie, et concernent principalement de très petites communes. Deux seules exceptions dépassant les 2 500 habitants apparaissent : Mourmelon-le- Grand (3 800 habitants, 60 %) et Fleury-Mérogis (11 000 habitants, 60 %).

Ce ressentiment traduit un décalage entre les impératifs affichés de la transition et les conditions matérielles des citoyens pour y faire face. Le sentiment d’injustice perçue, déjà documenté lors de la crise des Gilets jaunes, ressurgit ici sous une forme plus structurelle, révélatrice d’une transition qui peine à s’ancrer dans les territoires socialement et économiquement fragilisés.
Ce constat s’étend à la question de l’accès aux alternatives concrètes, en particulier dans le domaine de la mobilité. En effet, au-delà d’une adhésion de principe aux impératifs écologiques, la capacité réelle à modifier ses comportements dépend fortement des infrastructures disponibles. Autrement dit, l’intention ne suffit pas : sans conditions matérielles favorables, l’action reste théorique. Ainsi, 61 % des Français affirment qu’ils utiliseraient davantage les transports publics si l’offre locale était améliorée. Toutefois, une analyse géographique fine invite à nuancer cette apparente homogénéité nationale. La carte 7 révèle une tendance générale d’adhésion à un usage accru des transports collectifs sous réserve d’une amélioration de l’offre 8. Mais cette adhésion, bien que partagée, ne dit rien de la faisabilité concrète de ce basculement modal. En affinant l’analyse aux seules communes de plus de 5 400 habitants (carte 8), seules une trentaine de ces communes atteignent le seuil de 60 % de répondants favorables à une telle évolution.


Ce décalage révèle une fracture territoriale nette. Il souligne à quel point le déficit d’offre de transports publics frappe plus durement les zones rurales, où les alternatives à la voiture individuelle sont souvent inexistantes.
Ce phénomène illustre un paradoxe central des politiques de transition écologique : ce sont précisément les territoires où la dépendance à la voiture est la plus forte qui sont les moins dotés en solutions alternatives viables. Or, le développement de réseaux de transports collectifs dans les zones peu denses se heurte à des contraintes économiques structurelles, liées à la rentabilité, aux coûts d’exploitation, et aux faibles densités de population. Ce verrouillage territorial, à la fois logistique et budgétaire, pose alors une question de justice sociale et environnementale : comment concilier ambition écologique et égalité d’accès aux moyens d’y contribuer ?
Conclusion – Pour une écologie située
Il n’existe pas dans notre pays de rejet de principe de la transition écologique selon les territoires. Bien au contraire, les Français, qu’ils résident en milieu rural, périurbain ou dans les grandes agglomérations, partagent une préoccupation forte face aux défis environnementaux, ainsi qu’un soutien global à l’idée d’une action publique plus ambitieuse en matière environnementale. Ce consensus apparent masque toutefois des lignes de fracture profondes dès lors que l’on interroge les modalités concrètes de mise en oeuvre de ces politiques : perception du coût individuel, efficacité jugée des mesures, sentiment d’injustice territoriale ou encore reconnaissance (ou absence de reconnaissance) des réalités locales.
Les zones rurales et les petites villes apparaissent particulièrement critiques à l’égard de politiques perçues comme descendantes, conçues depuis le centre sans réelle prise en compte des spécificités territoriales. Ces territoires expriment une lassitude face à ce qu’ils identifient comme une injonction écologique sans accompagnement adapté, génératrice de contraintes sans bénéfices tangibles. À l’inverse, les grandes agglomérations, généralement mieux dotées en infrastructures, services publics et dispositifs de soutien, témoignent d’un niveau d’adhésion plus élevé, y compris lorsque les politiques environnementales impliquent un coût personnel direct. Ce n’est donc pas une fracture idéologique qui se dessine, mais bien une fracture d’ordre opérationnel, fondée sur des inégalités d’expérience, d’exposition et de capacité d’adaptation.
Ces résultats appellent à un double renversement dans la manière de concevoir la transition écologique. Il s’agit, d’une part, de rompre avec une logique prescriptive et unilatérale, qui tend à imposer un modèle unique de transformation écologique, au profit d’une approche plus contextuelle, négociée et coconstruite à l’échelle des territoires, et il convient, d’autre part, de ne plus appréhender l’« écologie » comme un bloc homogène mais de distinguer les politiques publiques selon leur nature, leur temporalité et leur impact local, tant leur acceptabilité varie selon ces dimensions. En effet, certains enjeux environnementaux sont perçus comme globaux, tels que les émissions de gaz à effet de serre ou la politique énergétique nationale, tandis que d’autres sont ressentis comme beaucoup plus locaux : qualité de l’air, préservation de la biodiversité, circuits alimentaires de proximité, etc. Dès lors, redéfinir un partage clair et équitable des compétences et des responsabilités – tant en matière d’action que d’inaction – apparaît comme un impératif.
Dans cette perspective, les outils d’analyse fondés sur la MRP constituent une avancée méthodologique majeure. En offrant une lecture fine, différenciée et territorialisée de l’opinion, ces modèles permettent de mieux ajuster l’action publique à la pluralité des attentes sociales et aux spécificités des configurations locales. En croisant les dynamiques d’opinion aux échelles nationale, régionale et infra-locale, ils rendent possible l’identification des territoires où certaines politiques environnementales ont le plus de chances de rencontrer une adhésion effective. N’est-ce pas, par exemple, dans le Nord-Est de la France, où une part importante de la population estime que les priorités économiques doivent primer sur les enjeux environnementaux, que les perspectives de « réindustrialisation verte » apparaissent les plus crédibles et les plus stratégiques ?
Cette étude plaide en faveur d’une gouvernance environnementale profondément territorialisée, à la fois attentive à la diversité des aspirations citoyennes, en phase avec le mouvement de reterritorialisation de l’action environnementale des entreprises et solidement ancrée dans les capacités concrètes des collectivités locales. Seule une telle approche est à même de conjurer les effets de rejet, les impasses technocratiques et les asymétries sociales qui menacent aujourd’hui la légitimité et la réussite de la transition écologique. Elle ouvre la voie à une écologie populaire, située, construite depuis les territoires plutôt que projetée sur eux.