Francophonie des territoires : ancrage local, rayonnement international

Auteurs

Benjamin Boutin est maître de conférences associé à l’Institut international pour la Francophonie (université Lyon-III). Auteur d’articles, de tribunes, d’études ainsi que d’une bande dessinée sur la Francophonie, chercheur associé à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, il enseigne également à l’université du Luxembourg ainsi qu’à Sciences Po Aix. Fondateur de Francophonie sans frontières, responsable associatif, il est membre de l’équipe de France auprès du G20 des Entrepreneurs et membre d’honneur de l’Association pour la diffusion internationale francophone de livres, ouvrages et revues.

Résumé

La Francophonie se construit à l’échelle interétatique mais aussi dans les collectivités territoriales. En France, le siège des grandes institutions francophones se trouve dans la capitale mais cette étude invite à décentrer le regard vers les régions de l’Hexagone et d’Outre-mer où des personnalités, des associations et des institutions font vivre une « Francophonie des territoires ». Celle-ci n’est que rarement abordée par les politiques, les médias ou les programmes scolaires, alors même qu’elle sert nos intérêts fondamentaux d’accès à la culture, de cohésion, d’attractivité ou encore d’intégration républicaine. Cette étude révèle les facteurs de succès de cette Francophonie des territoires qui se construit par adhésion à l’objet affinitaire et fédérateur de la langue française mais aussi par intérêt à l’égard des cultures francophones. Elle met en avant les initiatives locales et les festivals qui contribuent au dynamisme de nos régions francophones. Elle cartographie les acteurs publics et privés qui l’animent, offrant une vue de l’écosystème existant. Elle souligne l’importance de la langue française et des langues régionales pour la cohésion des territoires. Elle formule des recommandations afin de renforcer sa dynamique, en favorisant la synergie de projets et de moyens, la mise en place de réseaux et de projets structurants.

Synthèse

Rassemblant 321 millions de locuteurs sur les cinq continents, la Francophonie se construit au niveau international mais aussi à l’échelle locale. Cette « Francophonie des territoires » est la plus proche de nous, la plus visible et tangible. En France, où se tient en octobre 2024 le XIXe Sommet de la Francophonie, tout un écosystème d’organismes agit au niveau local pour promouvoir la Francophonie et en faire un levier de cohésion, d’intégration, de culture, d’attractivité, d’éducation et de solidarité.

En métropole et en Outre-mer, des communes, des départements, des régions, mais aussi des entreprises, des associations et des universités portent cette Francophonie de proximité. Ces acteurs de terrain jouent un rôle clé au niveau local, tout en coopérant avec la Francophonie internationale. D’aucuns organisent des manifestations autour du français et des cultures francophones, en particulier des festivals prisés qui attirent un public varié, contribuant à l’animation culturelle des territoires, à leur attractivité touristique ainsi qu’à leur prospérité.

Les enjeux de la Francophonie des territoires

À travers une diversité d’événements et de réseaux, la Francophonie des territoires vit et rayonne. Elle fédère des publics, mobilise des artistes et des intellectuels, décloisonne nos imaginaires, crée du lien social, rapproche de la culture des citoyens qui en sont parfois éloignés. Elle représente un atout majeur pour le secteur touristique, tant pour l’Hexagone que pour les territoires ultramarins, contribuant à renforcer l’image de la France comme destination culturelle incontournable. De surcroît, la Francophonie des territoires offre des vitrines à nos artistes ; elle stimule l’économie de la Culture, particulièrement les entreprises culturelles et créatives, filière de premier plan de l’économie française qui représente 84 milliards d’euros de revenus.

Par ailleurs, en matière de cohésion sociale, la Francophonie des territoires contribue à trois grands objectifs républicains, en dialogue avec les langues régionales : la lutte contre l’illettrisme, l’intégration des nouveaux citoyens et l’égalité des chances. Pour les nouveaux arrivants, l’appropriation du français constitue un facteur clé d’intégration. Partout sur le territoire, des associations socio-éducatives de lecture, d’écriture, de théâtre et d’art oratoire contribuent à faire du français un outil de réussite éducative et professionnelle.

Ce patrimoine linguistique comprend aussi les 75 langues régionales de France, parlées par 3 millions de locuteurs en métropole et par 2 millions de locuteurs outre-mer. Ces langues font partie de l’identité de nos territoires et doivent être transmises aux nouvelles générations. Leur enseignement ne concerne aujourd’hui que 120 000 élèves.

De manière générale, la société française est assez peu sensibilisée à l’importance de la diversité linguistique et aux principaux enjeux de la Francophonie. Son histoire et son actualité sont très peu enseignées en France. La Francophonie souffre d’un manque de visibilité dans l’espace public et médiatique. Elle est concurrencée par un emploi excessif d’anglicismes, dénoncé par l’Académie française. Elle est parfois mise à mal par des préjugés et des confusions tenaces. Pour assurer son avenir, elle doit renforcer son attractivité auprès de la jeunesse. Comme le déclare Amin Maalouf, « il est essentiel que les jeunes générations aient la certitude qu’elles peuvent accéder, en langue française, à tout ce que produit le monde moderne, et dans tous les domaines ». 

Nombre d’acteurs de la Francophonie des territoires font beaucoup avec peu. La question des moyens ne doit pas être éludée. L’une des solutions pour mobiliser des moyens matériels et humains réside dans la coopération publique-privée et associative. En effet, les synergies d’associations, d’entreprises, de syndicats et de collectivités territoriales apparaissent particulièrement porteuses pour la Francophonie des territoires, comme on le voit par exemple dans le département de l’Allier. Pour susciter une volonté d’engagement de la part de nouveaux acteurs, notamment des jeunes, il est nécessaire d’agir en réseau, d’informer, de coordonner, d’impliquer la population, de donner des responsabilités à la société civile. Il incombe également aux élus de soutenir la Francophonie des territoires et de la penser comme un levier d’aménagement du territoire, de cohésion et de développement, par le biais de projets structurants et d’une efficace coopération décentralisée avec d’autres territoires francophones.

Les leviers à activer

Afin de renforcer la Francophonie des territoires, cette étude présente un certain nombre d’organismes, de bonnes pratiques et de stratégies gagnantes. Elle émet de recommandations, aux acteurs publics, privés et associatifs. Elle appelle à donner plus de visibilité à la Francophonie dans l’espace public, notamment dans les médias. Par une mobilisation plus forte des acteurs, en particulier des élus locaux, par leur appropriation du concept de Francophonie des territoires, par l’implication du monde économique et par une exemplarité de l’État, la Francophonie sera perçue de plus en plus comme un atout d’ouverture sur le monde pour notre pays.

En somme, la Francophonie des territoires représente un écosystème d’opportunités, un ferment d’internationalisation et de partage dans un monde interconnecté. Elle permet en effet de bâtir des ponts entre les peuples, de favoriser des coopérations et une certaine solidarité, dans un aller-retour permanent et fécond entre l’international et le local. Cela est aussi vrai en métropole que dans les Outre-mer, où le français représente une langue de contact avec plusieurs collectivités voisines ou plus lointaines, ce qui facilite la coopération et génère de la solidarité et des projets en commun.

Introduction – La Francophonie des territoires, une dynamique fédératrice

La Francophonie rassemble 321 millions de locuteurs à travers le monde, d’Abidjan à Port-au-Prince, de Montréal à Papeete, de Pondichéry à Port-Louis, de Genève à Kinshasa. Elle représente un forum de coopération pour 88 États et gouvernements (dont 32 ont le français comme langue officielle ou co-officielle), 95 parlements et organisations interparlementaires ainsi que plus d’un millier d’universités. Le français est la cinquième langue la plus parlée et la deuxième langue la plus apprise dans le monde1Voir La Langue française dans le monde, Paris, Gallimard/Organisation internationale de la Francophonie, 2022.. C’est un atout.

Présente sur les cinq continents, la Francophonie est une communauté de langue et de destin2Benjamin Boutin, L’élan de la francophonie (1) Une communauté de langue et de destin, (2) Pour une ambition française, Fondation pour l’innovation politique, mars 2018. qui se construit non seulement au niveau international mais aussi à l’échelle locale. C’est à cette « Francophonie des territoires » que nous allons nous intéresser, la plus proche de nous, la plus visible et tangible. Sur le terrain, elle se manifeste notamment par 829 Alliances françaises dans 135 pays, 580 écoles, collèges et lycées français, 320 centres de lecture et d’animation culturelle de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)3Voir « Accès aux savoirs et à la culture », francophonie.org., 36 campus numériques francophones, 16 campus de l’Université Senghor d’Alexandrie, 10 directions régionales de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), auxquels on pourrait ajouter 98 Instituts français et de nombreux réseaux francophones… Outre les institutions, ce sont souvent des organismes associatifs qui contribuent à la rendre visible et concrète, locale et populaire, à l’exemple des 200 associations de professeurs de français dans 120 pays.

Focalisons-nous sur la France. Pourquoi ? Non pas parce que la Francophonie serait son pré-carré, ni parce qu’elle a vu naître la langue française sur son sol, ni même parce qu’elle est le principal bailleur de fonds des institutions de la Francophonie, mais parce que la Francophonie des territoires y constitue une réalité vivante, foisonnante et méconnue. Alors que le Sommet de la Francophonie s’est tenu en France en octobre 2024 (rareté depuis trente-trois ans) et que le Congrès mondial des professeurs de français se déroulera à Besançon en juillet 2025, il apparaît intéressant de mettre en lumière l’écosystème d’organismes qui agissent au niveau local pour promouvoir la Francophonie en France et en faire une dynamique rassembleuse de cohésion et d’intégration, de culture, d’attractivité, d’éducation et de solidarité.

Comme le souligne la ministre de la Culture Rachida Dati, « la langue française est le socle de notre communauté politique, mais aussi ce qui nous met en relation au monde. Elle constitue pour nous le plus précieux des patrimoines vivants, qu’il nous faut à la fois préserver et transmettre4Ministère de la Culture, Rapport au Parlement sur la langue française, 2024, p. 5. ».

Dans ce contexte, plusieurs questions se posent :

  • quel rôle la Francophonie peut-elle jouer pour renforcer la cohésion des territoires ?
  • qui sont les acteurs impliqués dans cette Francophonie territoriale ?
  • quelles bonnes pratiques peuvent renforcer l’utilité de la Francophonie au service de l’intérêt général ?
  • quelles initiatives autour de la langue française favorisent le lien social, la réussite scolaire et l’intégration républicaine ?
  • comment la Francophonie contribue-t-elle à l’animation culturelle, au développement économique et à l’attractivité des territoires ?
  • comment maximiser son potentiel pour générer des opportunités, notamment dans les zones rurales et ultramarines ?

Intéressons-nous à cette Francophonie de proximité, et tout d’abord à son maillage territorial d’organismes publics et privés.

I. Cartographie des acteurs

Quels sont les acteurs qui oeuvrent localement pour promouvoir la langue française et les cultures francophones ? En métropole et en Outre-mer, des communes, des régions, des départements mais aussi des entreprises, des associations et des universités portent cette Francophonie de proximité.

1. Les acteurs privés

Les organisations privées et associatives jouent un rôle clé au niveau local, tout en coopérant avec la Francophonie internationale.

Les Alliances françaises et les autres écoles de langue

L’Alliance française, fondée à la fin du XIXe siècle par des figures telles que Louis Pasteur ou Jules Verne, a pour mission de promouvoir la langue et la culture françaises à travers le monde, avec 829 comités répartis sur les cinq continents. Chaque Alliance est une association autonome. Une fondation, reconnue d’utilité publique, coordonne le réseau mondial. En France, il existe 27 Alliances, principalement fréquentées par des étudiants internationaux5Voir « Découvrez les Alliances françaises de France », af-france.fr..

Cependant, elles ne détiennent pas le monopole de l’enseignement du français. De nombreuses autres associations, écoles privées et centres universitaires offrent des cours de français. Environ 150 centres d’enseignement6Voir « Les écoles de français en France », fle.fr. proposent des formations et des séjours de différentes durées et préparent aux certifications de français langue étrangère (FLE) : tests de niveau linguistique, examens et diplômes reconnus internationalement. Les professeurs de FLE peuvent participer à des stages pédagogiques dans divers centres, comme le Centre d’approches vivantes des langues et des médias (Cavilam) à Vichy, ou le Centre de linguistique appliquée à Besançon. D’autres initiatives, comme celles de Vacances actives linguistiques à Montpellier et des Ateliers FL à Biarritz, offrent des séjours adaptés aux publics jeunes et des ateliers dédiés à l’apprentissage du français et à son perfectionnement.

Les associations « pro-Francophonie »

Les associations jouent un rôle essentiel dans la promotion de la langue française et de ses valeurs en mettant en place des activités variées, allant des visites culturelles à des concours artistiques et des ateliers éducatifs. Elles favorisent non seulement l’usage du français mais aussi la création de liens entre locuteurs de diverses origines. Par exemple, les Maisons des Francophonies, le Cercle Richelieu-Senghor, l’ONG Francophonie sans frontières, l’Association francophone d’amitié et de liaison, la Caravane des Dix mots à Lyon ou encore le Comité des jeunes ambassadeurs francophones contribuent à renforcer les échanges culturels et à célébrer la richesse de la langue française. Ces associations organisent des événements, créent des espaces de convivialité, mettent en avant les talents francophones. De plus, d’autres associations et ONG, bien que n’incluant pas le terme « Francophonie » dans leur intitulé, sont actrices de ce mouvement en intégrant des volets francophones dans leurs programmes.

Les diasporas francophones jouent aussi un rôle en établissant des liens partenariaux entre les territoires francophones. Ces associations contribuent à l’épanouissement et à la pérennité du français, tout en cultivant un sentiment d’appartenance à une vaste et diverse communauté francophone.

Syndicats, entreprises et médias privés

Divers acteurs économiques s’engagent pour la Francophonie des territoires. Les maisons d’édition, spécialisées dans l’apprentissage du français (Hachette FLE, la Maison des langues, les Presses universitaires de Grenoble, CLE international…) ou généralistes, jouent un rôle crucial en rendant la langue accessible à un public varié. Les librairies sont également des entreprises essentielles de la Francophonie des territoires, de même que les entreprises culturelles et créatives qui produisent et diffusent des oeuvres en français. Des initiatives privées promeuvent les talents francophones émergents, comme l’Institut de formation aux textiles du monde, situé à Reims, qui organise un concours des jeunes designers de mode francophones.

Les événements consacrés à l’entrepreneuriat, ceux organisés par le Forum francophone des affaires, le Groupement du patronat francophone ou encore le Medef international/l’Alliance du patronat francophone, renforcent la Francophonie économique et les synergies entre professionnels. Des syndicats d’artistes comme la Société des auteurs et compositeurs dramatiques s’engagent pour la créativité en langue française, de même que le Syndicat des directeurs généraux de collectivités territoriales.

Par ailleurs, certains médias privés font de la Francophonie un axe fort de leur ligne éditoriale. Des plateformes comme Agora Francophone et le magazine Le Français dans le monde contribuent à informer sur des sujets liés à la Francophonie. Les rubriques spécialisées ou chroniques de certains journaux (Le Figaro littéraire, Marianne, Jeune Afrique, La Recherche, Sciences & Avenir…) reflètent la diversité des voix francophones dans différents champs d’expertise et contribuent à la diffusion de l’information en français.

2. Les acteurs publics

Les acteurs publics, centraux ou décentralisés, impulsent des politiques axées sur la langue française et la coopération francophone, tout en soutenant des initiatives associatives.

Institutions nationales, territoriales et médiatiques

Notre politique francophone est structurée autour de plusieurs ministères. Le ministère de la Culture, par l’intermédiaire de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), soutient divers événements culturels, promeut la langue française et les langues régionales, veille à l’application de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française (dite loi Toubon). Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères assure la liaison avec l’Organisation internationale de la Francophonie et avec l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, et soutient des initiatives culturelles à l’étranger grâce à ses opérateurs, notamment l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, l’Institut français et Campus France. L’Agence française de développement, Business France et France Volontaires renforcent l’engagement de la France dans les pays francophones par le développement économique et le volontariat. Deux organismes binationaux, l’Office franco-québécois et l’Office franco-allemand pour la jeunesse, offrent des opportunités internationales à nos jeunes.

L’Académie française, fondée en 1635 par le cardinal de Richelieu, oeuvre à « donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ». Gardienne de la langue, elle publie un dictionnaire et récompense chaque année des personnalités et institutions engagées dans la défense du français. En témoigne le Grand Prix de la Francophonie. Partout sur le territoire, des musées, des bibliothèques et des cités thématiques comme la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image à Angoulême, la Cité du mot à La Charité-sur-Loire, ou encore la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, illustrent l’engagement de l’État et des collectivités territoriales envers le patrimoine culturel francophone. Les collectivités territoriales jouent en effet un rôle crucial pour la Francophonie locale. Elles soutiennent des projets et favorisent la coopération avec d’autres collectivités de l’espace francophone. Certains musées procèdent de l’esprit de la Francophonie, celui du dialogue des cultures : les musées du Quai-Branly et Guimet à Paris, le musée Albert-Kahn à Boulogne-Billancourt, le musée du Nouveau Monde à La Rochelle, le musée Hèbre à Rochefort, le musée des Arts d’Afrique et d’Asie à Vichy, le musée des Confluences à Lyon… Les bibliothèques et les médiathèques sont également des lieux où la Francophonie s’exprime, se vit et se lit.

France Médias Monde (regroupant Radio France internationale, France 24 et Monte Carlo Doualiya) diffuse de l’information en français et dans d’autres langues auprès de 169,7 millions d’auditeurs et de téléspectateurs hebdomadaires. TV5 Monde propose 8 chaînes en français visionnées par 62 millions de téléspectateurs hebdomadaires7Voir Ministère de la Culture, Rapport au Parlement…, op. cit., p. 6.. D’autres chaînes comme Arte contribuent à faire du français la deuxième langue d’information internationale8D’après la loi du 30 septembre 1986 (art. 43-11), les sociétés publiques de l’audiovisuel doivent assurer « la promotion de la langue française ».. Elles font partie des Médias francophones publics, un réseau de coopération audiovisuel français, belge, suisse et canadien.

Universités et grandes écoles

Certaines universités françaises (Limoges, Chambéry, Angers, Martinique, Sorbonne-Nouvelle…) et les Instituts d’études politiques d’Aix-en-Provence et de Fontainebleau proposent des cursus dédiés à la Francophonie. Des universités, comme Nantes ou Montpellier, offrent des programmes de master de FLE9À l’étranger, de nombreuses universités ont un département d’études françaises et/ou francophones.

Situé à Lyon, l’Institut international pour la Francophonie (2IF) est un acteur majeur de la Francophonie universitaire, organisant des universités d’été et des formations spécifiques. Cet institut abrite un outil numérique collaboratif qui illustre la diversité des expressions du français à travers le monde, le Dictionnaire des francophones, dont est partenaire l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), un réseau mondial de plus de 1 100 universités. L’organisme public Campus France attire des étudiants étrangers et contribue ainsi à « fabriquer des francophones ». Ces étudiants rejoindront pour certains la Cité internationale universitaire de Paris, campus de 34 hectares où a été érigée en 2020 une Maison des étudiants de la Francophonie.

Organisations internationales, ambassades, consulats et centres culturels

Paris abrite de nombreuses ambassades et organisations internationales, dont l’OIF, qui rassemble 88 États et gouvernements, et l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, qui fédère 95 sections parlementaires et interparlementaires. Si la capitale rafle la mise en nombre d’ambassades, de consulats, de centres culturels étrangers et d’organisations internationales comme l’Unesco, certains consulats à Lyon, Marseille, Bordeaux et Nice, jouent un rôle actif dans l’animation d’une Francophonie des territoires connectée à l’international, tel le consulat général de Roumanie à Marseille. À Lyon, en juin, les fêtes consulaires sont particulièrement appréciées par la population.

Depuis sa création en 2014, le Groupe des ambassadeurs francophones de France vise à faire connaître la Francophonie dans sa diversité, à promouvoir la langue française comme vectrice de rapprochement des peuples et des cultures. Il a organisé plusieurs déplacements en France, notamment à Angers, Reims, Lyon, Bordeaux, Tours, Aix-en-Provence et Clermont-Ferrand pour rencontrer les autorités, les associations, les universités et les acteurs économiques. L’objectif du Groupe des ambassadeurs francophones est de sensibiliser l’opinion publique française aux messages portés par la Francophonie, de valoriser auprès des milieux d’affaires les opportunités économiques dans l’espace francophone, de nouer un dialogue avec la jeunesse et la société civile. Il collabore avec des institutions et avec des associations « pro-Francophonie ».

Notre cartographie des acteurs de la Francophonie des territoires n’est ni exhaustive ni définitive. Au-delà de ceux que nous avons identifiés, nombre d’organismes, à l’image de la Chambre de commerce et d’industrie Paris-Île-de-France, interviennent à divers degrés par des apports significatifs ou ponctuels, visibles ou discrets. Cette catégorisation nous permet cependant de réaliser une carte de France, jamais tentée mais nécessairement incomplète.

3. Les festivals francophones

Les acteurs engagés pour la Francophonie organisent des festivals et des manifestations autour du français et des cultures francophones. Au regard des quelque 7 000 festivals qui innervent le territoire national10Pour l’année 2024, voir, par exemple, Christelle Granja, « Découvrez notre carte interactive des festivals de l’été 2024 : plus de 300 rendez-vous dans toute la France, liberation.fr, 3 juin 2024., la catégorisation qui suit donne un aperçu des festivals francophones les plus emblématiques, en lien avec différentes disciplines artistiques.

Écritures scéniques, théâtre, contes

Les Zébrures de Limoges, au printemps et à l’automne, offrent une opportunité aux jeunes créateurs de passer « de l’écriture à la scène ». Depuis 1984, ce festival marie la danse, le théâtre et la musique francophone en favorisant l’interaction avec le public.

Le Festival des langues françaises, à Rouen, organisé par le Centre dramatique national de Normandie, explore la richesse et la diversité du théâtre francophone. Il valorise les lauréats du prix RFI Théâtre qui récompense de jeunes auteurs contemporains.

Le Festival d’Avignon accueille des milliers de passionnés de théâtre et de spectacle vivant dans l’ancienne cité papale. À l’initiative de Radio France internationale (RFI), de nouvelles voix francophones du répertoire théâtral d’Afrique et d’Haïti sont invitées. À Villeneuve-lès-Avignon, la chartreuse, bâtie au XIVe siècle, accueille le Centre national des écritures du spectacle, qui offre des résidences d’écriture dramaturgique aux artistes francophones.

Le Festival de Fort-de-France, en Martinique, fondé par Aimé Césaire il y cinquante-trois ans, met en avant la culture martiniquaise et les cultures francophones à travers une programmation riche de concerts, de spectacles de danse, de soirées thématiques et d’autres animations.

Le Festival des cultures du monde, à Gannat, rayonne dans une douzaine de communes de l’Allier et du Puy-de-Dôme. Les contes francophones sont au coeur de sa cinquantième édition.

Le Festival Komidi, sur l’île de La Réunion, plus grand festival de théâtre d’Outre-mer, présente des spectacles variés, mettant en avant les compagnies locales de théâtre à Saint-Joseph et dans toute l’île, grâce à 120 bénévoles.

Les Rencontres internationales de théâtre, en Corse, proposent des formations théâtrales et des spectacles en août, au coeur du Parc naturel régional de Corse. Les artistes partagent avec le public des ateliers de découverte du travail de scène, des lectures à voix haute, des improvisations…

Le Festival de la correspondance de Grignan, célèbre l’art épistolaire par des lectures, des rencontres et des spectacles.

Le Marathon des mots, à Toulouse, Carcassonne, Montauban et Auch, promeut la littérature auprès du grand public et des scolaires par des lectures, des débats et des rencontres avec des auteurs francophones reconnus ou émergents.

Les Correspondances de Manosque favorisent le dialogue entre les écrivains et le public, tout en explorant l’importance de la correspondance dans la littérature. Cet événement donne la parole aux auteurs à travers des lectures croisées, des performances et des rencontres.

Cinéma, image et reportage

Les Festivals d’Angoulême mêlent les septième et neuvième arts. Le Festival du film francophone et celui de la bande dessinée attirent chaque année plus de 200 000 festivaliers. Pour sa dix-septième édition, en août 2024, le Festival du film francophone a rendu hommage au cinéma marocain : plus de 80 films projetés, une sélection officielle pointue et une pluie de vedettes. C’est le rendez-vous des amateurs et des professionnels du cinéma francophone à la fin du mois d’août. En novembre, le Festival de la bande dessinée déploie ses expositions, spectacles, rencontres et dédicaces dans les rues de la ville.

Le Festival francophone de reportage court dans l’Allier s’adresse aux jeunes des établissements scolaires et des Alliances françaises. Il incite à la création de reportages autour de thèmes variés. En 2025, sa neuvième édition aura pour thème « La Fête ».

Le Festival international du film documentaire océanien (Fifo), créé en 2004, valorise le cinéma océanien et les échanges entre professionnels du documentaire à Tahiti. Pilier du développement de l’industrie audiovisuelle en Océanie, le Fifo tisse des liens avec la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie, l’Australie, Hawaï… Sa pirogue effectue des escales dans différentes eaux du Pacifique Sud pour partager les richesses du septième art.

Le Festival international du film documentaire Amazonie-Caraïbes, à Saint-Laurent du Maroni, en Guyane, promeut les films documentaires des régions caribéennes et amazoniennes. Lancé en 2019, il s’inscrit dans la politique de création de festivals documentaires du pôle Outre-Mer de France Télévisions. Son ambition est de renforcer l’expression d’une filière créative et métissée. Après Christiane Taubira en 2023, Gessica Généus, comédienne, chanteuse et réalisatrice haïtienne, préside l’édition 2024.

Le Festival du film de Sarlat fait interagir depuis 1991 des cinéastes, réalisateurs, scénaristes, acteurs, mais aussi des lycéens de classe terminale « spécialité cinéma » venus de toute la France. Il l’un des grands événements du film francophone.

Le Festival du film canadien de Dieppe constitue une vitrine du cinéma canadien en Europe, avec un large éventail de films projetés au mois de mars qui reflètent la vitalité de la production cinématographique canadienne.

Le Festival de Cannes constitue une vitrine pour les cinéastes et les producteurs francophones. L’Organisation internationale de la Francophonie investit alors la Croisette pour annoncer les lauréats de son « Fonds image » et organiser des panels sur les oeuvres francophones. S’y tient aussi une Rencontre des producteurs francophones grâce au Centre du cinéma et de l’audiovisuel belge et à ses partenaires.

Le Festival régional et international du cinéma de Guadeloupe promeut le cinéma des Antilles et de la Guyane et s’ouvre, après vingt-cinq ans d’existence, sur l’Afrique francophone, dans une optique de recréation de ponts entre ces espaces créatifs.

Le Festival de la fiction, à La Rochelle, offre depuis vingt-cinq ans la possibilité de découvrir près de 60 séries et films. Il est un lieu d’échanges, de rencontres et de réflexions pour les professionnels de la fiction francophone destinée à tous les publics et tous les réseaux.

La Fête de l’image francophone, née en 2024, est un nouvel événement itinérant, de Sarlat à Antibes, de Cannes à Villers-Cotterêts, qui combine le cinéma d’animation, le jeu vidéo et la bande dessinée, avec un accent mis sur la jeunesse et sur l’inclusion.

Chanson, poésie, langue, éloquence, humour

Les Francofolies de La Rochelle, La Réunion et Nouvelle-Calédonie proposent des concerts, des projections, des conférences et des ateliers pour découvrir la musique francophone. Sur le port de La Rochelle, depuis quarante ans, 150 000 festivaliers annuels viennent écouter « la crème de la scène en français, vétérans adoubés ou jeunes pousses à repérer11Julien Bisson, « Paroles et musique », le1hebdo.fr, 19 juin 2024. ». Un globe en bronze symbolise l’ouverture de La Rochelle vers la Francophonie. Sur son socle est gravée une citation de Michel Crépeau, l’ancien maire, fervent défenseur de la langue française : « À travers la chanson française, c’est notre culture, notre poésie et notre langue qui font le tour du monde. » Effectivement, le festival a fait des émules à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie, à Montréal, en Bulgarie, en Belgique…

La Semaine acadienne, à Courseulles-sur-Mer met en lumière la culture acadienne par des concerts, spectacles, échanges culturels et cérémonies commémoratives.

La Biennale des langues, à Lyon, promeut la diversité linguistique et culturelle à travers des débats et diverses activités populaires. Cet événement pluridisciplinaire s’appuie sur le partage du français pour créer des passages vers les autres langues.

La Francofiesta, à Marennes met à l’honneur depuis treize ans les langues et cultures francophones grâce à des spectacles, des conférences et des activités interactives et ludiques.

Le concours d’éloquence Viva Voce, au Lamentin, en Martinique, permet aux orateurs de démontrer leur capacité à plaider, à débattre et à captiver le public. Il a pour but de promouvoir la langue française et de valoriser les talents locaux.

Les Journées de l’éloquence, à Aix-en-Provence sont organisées par l’Atelier de la langue française au mois de mai. Se succèdent conférences, spectacles, lectures et scènes de rue autour d’un thème donné, ainsi qu’un concours national d’éloquence où se confrontent des étudiants talentueux.

Prise de paroles, à Jarnac, est un festival de la langue française et de parole citoyenne créé en 2021 dans la maison natale de François Mitterrand. Au programme : une célébration de la parole citoyenne, de l’éloquence et du chant, du théâtre et de la musique, des ateliers d’expression et de poésie, des rencontres et des lectures.

Paroles, festival de la langue française, dans les communes de Retz-en-Valois, des Lisières de l’Oise et de l’agglomération de Compiègne, mêle conférences, résidences, concerts, lectures, théâtre…

Il ne s’agit là que d’un échantillon de la myriade d’événements d’éloquence, de musique, de poésie, d’écriture, de débats, de lecture, de spectacle, de cinéma qui font vibrer la langue française, au contact des autres langues, notamment régionales, à l’exemple des Rencontres de chants polyphoniques de Calvi (Corse), du Printemps de Bourges (Cher), du Cabaret vert, des Vieilles charrues en Bretagne, du Festival Boby Lapointe à Pézenas (Hérault), des Francophonides à Vernaison (Rhône), sans oublier la Fête de la musique (qui s’est internationalisée) et les tournées de comédiens et de chanteurs francophones, de Stromae à Céline Dion, d’Aya Nakamura à Zaz12Voir Nathalie Lacube, « Fête de la musique : la chanson francophone, un atout mondial », La Croix, 21 juin 2024, p. 23., en passant par le duo malien Amadou et Mariam.

Ces manifestations locales, nationales, voire internationales, sont culturelles, économiques et sportives – comme Les Rencontres économiques d’Aix-en-Provence13Ces Rencontres économiques, organisées au mois de juillet (24e édition en 2024), donnent depuis plusieurs années la parole aux secrétaires généraux de la Francophonie., le festival Voyage en Francophonie à Troyes (Aube), Villeneuve Africa à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), le Magnifique Printemps à Lyon ou le Marché de la poésie à Paris. Elles participent à cette Francophonie des territoires, si riche culturellement et qui n’est pas l’apanage de la France. En effet, dans différentes régions du monde, des événements, comme les Nuits de la Francophonie en République démocratique du Congo et aux Pays-Bas, célèbrent la langue française et les cultures francophones, notamment à l’occasion du mois de la Francophonie en mars. Certains de ces événements sont répertoriés sur la plateforme d’un tout nouveau festival : le Festival de la Francophonie, organisé par l’Institut français.

Pour aller plus loin, nous recommandons de :

  • Pérenniser le Festival de la Francophonie et de l’internationaliser.
  • Organiser une Super Francofête de la chanson francophone, comme au Québec, associant plusieurs pays francophones et TV5 Monde. 
  • Planifier une saison culturelle dédiée à la Francophonie à l’image de la saison Africa 2020 pour mettre en valeur la variété des expressions artistiques de la Francophonie.

II. La Francophonie des territoires, pour quoi faire ?

Quels sont les enjeux de la Francophonie des territoires ? En quoi est-elle utile ? Comment contribue-t-elle à l’intérêt général ? Son apport majeur pourrait être résumé en quatre mots : culture, attractivité, cohésion, solidarité.

1. Animation culturelle et attractivité

À travers une diversité d’événements, la Francophonie des territoires vit et rayonne. Elle fédère des publics, mobilise des artistes et des intellectuels, décloisonne nos imaginaires, crée du lien social, rapproche de la culture des citoyens qui en sont parfois éloignéséloignés14Un tiers des festivals recensés en France sont organisés en territoires ruraux et un autre tiers en territoires semi-urbains. Ces festivals contribuent à rapprocher de la culture des habitants éloignés des grandes métropoles. Voir Ministère de la Culture, « Publication d’une cartographie des festivals », artcena.fr. Elle participe ainsi à l’animation culturelle et à l’attractivité de nos territoires.

Les retombées économiques

Les festivals francophones mettent en valeur la richesse et la diversité des expressions artistiques en langue française. Chacun de ces événements a une importance culturelle et artistique pour sa région. La contribution de cette Francophonie territoriale à l’animation culturelle de nos régions semble aussi inestimable que difficilement mesurable, sauf à effectuer une analyse festival par festival. À titre d’exemple, les Francofolies rapportent 11 millions d’euros à La Rochelle15Voir Gregory Raymond, « Ce que nous coûtent les grands festivals de musique de l’été », capital.fr, 20 juillet 2017.. Le Festival d’Avignon, lui, génère 50 millions d’euros de retombées et 38 % de son budget est assuré par ses recettes propres (billetterie, partenariats, vente de spectacles…). L’équipe du festival a établi des relations durables avec des mécènes, au premier rang desquels la Fondation Crédit coopératif. Son cercle d’entreprises partenaires regroupe une quinzaine de petites et moyennes entreprises, ainsi que des mécènes individuels16Voir « Quelques chiffres », festival-avignon.com..

L’importance économique de ces festivals pour les collectivités justifie un soutien financier et logistique. Le Grand Angoulême, la Ville, le Département, la Région, la chambre de commerce et d’industrie de Charente, le cinéma CGR d’Angoulême et le Centre national du cinéma et de l’image animée ainsi que des partenaires privés ont fait grandir au fil du temps et aux côtés des bénévoles le Festival du film francophone d’Angoulême. Il s’agit d’une réussite collective. Chaque année, plus de 200 000 festivaliers participent à la prospérité de la ville et de la région. De surcroît, la Francophonie des territoires offre des vitrines à nos artistes ; elle stimule l’économie de la Culture, particulièrement les entreprises culturelles et créatives, filière de premier plan de l’économie française qui représente 84 milliards d’euros de revenus17Voir Guillaume Cerutti, La Politique culturelle, enjeu du xxie siècle, Paris, Odile Jacob, 2016..

Les événements socio-économiques de la Francophonie des territoires, telles les Rencontres francophones de l’innovation sociale organisées pour leur troisième édition à Niort (Deux-Sèvres) en février 2024 par l’Office franco-québécois pour la jeunesse, permettent de créer des réseaux associatifs et entrepreneuriaux, de partager des bonnes pratiques, de renforcer la prise d’initiative et les capacités des jeunes. Ces initiatives enrichissent les actions locales et créent des ponts vers l’international qui bénéficient à nos entreprises tournées vers l’exportation. Petites et moyennes entreprises, entreprises de taille intermédiaire et grands groupes établissent généralement des relations commerciales privilégiées avec des partenaires francophones, le partage d’une langue générant 65 % d’échanges supplémentaires18Jacques Attali, La Francophonie et la Francophilie, moteurs de croissance durable. Rapport à François Hollande, président de la République française, Direction de l’information légale et administrative, août 2014, p. 2.. Du reste, la coopération décentralisée entre régions francophones bénéficie aux entreprises. C’est le cas de la coopération entre le Centre de démonstration et de promotion des technologies de Côte d’Ivoire et l’entreprise AlmaPro de la région Auvergne-Rhône-Alpes, fruit d’années d’échanges entre la Région Auvergne-Rhône-Alpes et la Région du Bélier.

Selon Jérémie Cornu, fondateur de l’Atelier de la langue française à Aix-en-Provence, « la langue française génère une activité, génère un enthousiasme19Témoignage de Jérémie Cornu, vidéo, page Instagram de TV5 Monde, septembre 2024. ». Elle crée aussi de l’emploi. À titre d’exemple, le Cavilam-Alliance française de Vichy emploie 52 salariés permanents (71 emplois équivalents temps plein) et réalise un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros, ce qui en fait le troisième établissement de l’Alliance française le plus performant dans le monde. L’accueil d’étudiants étrangers en provenance de la Francophonie (ou de pays tiers venant apprendre le français) génère aussi des revenus pour nos universités, nos grandes écoles, ainsi que des retombées économiques pour les territoires où ils étudient.

L’attractivité touristique

En contribuant à l’animation culturelle des territoires et en polarisant vers eux 321 millions de locuteurs internationaux du français, la Francophonie constitue un des facteurs d’attractivité de la France. Elle représente un atout majeur pour le secteur touristique, tant pour l’Hexagone que pour les territoires ultramarins. En effet, les francophones, qu’ils soient européens, africains, caribéens, américains ou originaires d’autres régions, partagent souvent des liens culturels forts avec la France. Cela attire de nombreux touristes qui souhaitent découvrir ou retrouver ces racines culturelles en visitant notre pays. La France propose des services touristiques adaptés aux francophones, que ce soit en matière d’hébergement, de restauration ou d’activités.

Le Patrimoine, les festivals, les expositions et autres événements attirent des francophones et contribuent à renforcer l’image de la France comme destination culturelle incontournable. Ce tourisme francophone comporte un volet littéraire, familier à la Fédération nationale des maisons d’écrivain, dont le siège est à Bourges. Ce réseau associatif compte 230 membres et travaille à la mise en valeur des maisons ou de châteaux d’auteurs (Hugo, Verlaine, Colette, Giraudoux, Du Bellay, Lamartine, Maupassant…), de bibliothèques et de musées littéraires (Rousseau, Rimbaud, Rostand…). À Nohant, la maison de George Sand attire ainsi chaque année des milliers de visiteurs et de nombreux mélomanes pour le festival Chopin.

Sachant que le tourisme linguistique peut être un formidable facteur d’attractivité pour les territoires, de promotion de leur diversité et de leur visibilité à l’international, nous suggérons d’aller plus loin : 

  • Missionner Atout France pour faire davantagela promotion du tourisme linguistique en France. 
  • Encourager le secteur privé à investir pour la création d’un grand organisme de séjours linguistiques francophones en France de type EF Education.

La dérive du franglais

Hélas… certaines collectivités françaises croient judicieux d’adopter des noms anglais ou franglais afin d’attirer touristes et investisseurs, ce qui se révèle aussi inefficient que de tenter de remporter l’Eurovision en chantant en anglais. Les touristes ne sont pas dupes. Ils viennent dans notre pays pour découvrir la vallée de la Loire et non pas la « Loire Valley »… Le communicant québécois Claude Bédard se désole de cette « perte d’authenticité ». Et il n’est pas le seul. À Lyon, le changement de nom de l’Institut Bocuse en Institut Lyfe a fait couler beaucoup d’encre : au nom de quelle performativité remplacer le nom d’un chef étoilé de renommée internationale par un pseudo-anglicisme qui ne veut rien dire ?

Ce travers concerne les entreprises publiques, les collectivités territoriales et les marques qu’ils créent, comme Of course Le Mans, Choose France, SNCF Connect ou Only Lyon. Selon Jean Marc Sauvé, président de la Cité internationale universitaire de Paris, la marée montante de la langue anglaise dans les médias audiovisuels n’est pas un bon signal : « Le “franglais” se généralise, avec des acronymes incompréhensibles pour le commun des mortels […]. La langue française est une composante de notre cohésion sociale. Or, il existe un clivage social et générationnel croissant entre ceux qui sont culturellement, socialement et économiquement armés pour s’intégrer et réussir dans le “monde global” et d’autres catégories de personnes, qui décrochent20Jean-Marc Sauvé, in Ministère de la Culture, Rapport au Parlement…, op. cit., p. 18.. »

2. Cohésion nationale et territoriale

En matière de cohésion, la Francophonie des territoires contribue à trois grands objectifs républicains, en dialogue avec les langues régionales : la lutte contre l’illettrisme, l’intégration et l’égalité des chances.

Lutter contre l’illettrisme

Quelque 2,5 millions de Français n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de l’écrit, du calcul et des compétences de base pour être autonomes dans la vie courante.. Pour y faire face, l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) met en place des programmes comme Familire, qui accompagne en Outre-mer de jeunes mères en situation d’illettrisme afin de renforcer leur autonomie. 

Dans les Hauts-de-France, un « pacte linguistique » a été signé entre l’État et la Région pour amplifier les actions contre ce fléau. Le château de Villers-Cotterêts, Cité internationale de la langue française, lieu de création et d’innovation linguistique, mène un travail commun avec la bibliothèque départementale sur les outils informatiques qui contribuent à la lutte contre l’illettrisme.

Par ailleurs, depuis plusieurs années, l’association Force des mixités organise des dictées géantes pour fédérer la population autour du patrimoine linguistique français. Véritable succès populaire et médiatique, la Dictée pour tous permet aux Français de se retrouver autour d’un exercice de lettres et favorise l’accès à la lecture et à l’écriture au plus grand nombre. Cette action est parrainée et animée par des personnalités du monde littéraire, des artistes, des sportifs… Depuis plus de dix ans, Rachid Santaki sillonne la France à la rencontre d’adolescents pour les préparer à ces dictées : « Quand on n’aime pas la dictée, c’est parce qu’on a peur de la mauvaise note. Ça peut être inconfortable de se dire que j’ai des difficultés. Tant que vous chercherez la raison de votre erreur et que vous travaillez, vous allez progresser21« “Mon métier, c’est de construire des dictées”, Rachid Santaki veut réconcilier les jeunes avec cet exercice », vidéo, francetvinfo.fr, 15 avril 2023. », témoigne-t-il.

L’Alliance française d’Orléans apporte elle aussi son concours aux publics en difficulté de maîtrise du français. Son offre de cours concerne en particulier les résidents des quartiers prioritaires de la Ville, les primo-arrivants, à qui elle donne des cours d’alphabétisation, de remise à niveau, individuels ou en groupe, à la carte, mais aussi au sein des entreprises.

Pour aller plus loin, nous préconisons de :

  • Mobiliser et financer le Réseau des Alliances françaises de France pour qu’il apporte un soutien spécifique aux 126 000 jeunes en difficulté de lecture identifiés lors des Journées défense et citoyenneté. 
  • Accompagner les musées dans la mise en place d’actions de médiation culturelle adaptées aux publics en difficulté de maîtrise de la langue française, en s’inspirant du Guide de la médiation culturelle proposé par l’Alliance Française de Paris.

Les Alliances françaises donnent des cours de français à des publics migrants et étrangers qui ne sont pas toujours solvables. L’Alliance française de Lyon forme aussi les personnels étrangers de la fameuse brasserie Georges ; elle accompagne des femmes en situation d’isolement qui maîtrisent mal le français. Cette mission d’intérêt général n’est actuellement pas reconnue à sa juste valeur. Les Alliances françaises sont des associations peu subventionnées à qui l’on demande de fonctionner de plus en plus comme des entreprises. À Vichy, le Cavilam forme en français des réfugiés ukrainiens. Il leur offre depuis 2022 un programme de 12 semaines de cours intensifs en français, leur permettant d’atteindre un niveau suffisant pour une insertion professionnelle. Il forme également des primo-arrivants et demandeurs d’emplois non-francophones. Certaines médiathèques, comme celle de Montpellier, organisent des ateliers de conversation gratuits pour les étrangers. Ces moments d’échange et de partage consolident le lien social. En Seine-Saint-Denis, le Campus francophone promeut le français comme trait d’union entre des habitants de différents horizons culturels. Pourriah Amirshahi, son fondateur, a imaginé un programme global de résidences, de mobilités et d’actions locales autour des langues et du français. Avec le soutien du département, le Campus déploie notamment des activités ludiques en langue française créatrices de lien : cuisiner ensemble, faire de la musique, s’essayer à l’humour, etc. « Le français est une langue d’accueil », considère Annick Lederlé, cheffe de la mission sensibilisation et développement des publics à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France.

La Maison des langues et des cultures d’Aubervilliers participe au renforcement des compétences linguistiques de ses habitants. Lieu d’apprentissage des langues tout au long de la vie, elle offre un espace d’interaction et d’échanges d’information. Elle accompagne les services municipaux (état civil, services sociaux, police, etc.) pour leur permettre de mieux accueillir les usagers ne maîtrisant pas la langue française. En 2024, elle participe à la campagne « Ici on parle français et… » du Campus francophone qui incite les commerces volontaires et certains lieux accueillant du public à afficher les différentes langues parlées par leurs agents d’accueil.

D’après Jean-Marc Sauvé, la langue française « est celle du peuple français, de la communauté nationale et des personnes qui aspirent à la rejoindre22Jean-Marc Sauvé, in Ministère de la Culture, Rapport au Parlement…, op. cit., p. 18. ». Pour les nouveaux arrivants, l’appropriation du français constitue un facteur clé d’intégration républicaine. Les Allemands l’ont compris, qui octroient 600 heures de formation par nouvel arrivant. Il s’agit là d’une véritable politique d’intégration par la langue.

En France, nous pourrions : 

  • Augmenter l’offre de cours de français langue d’intégration et d’insertion offerts par l’Office français de l’immigration et par les Alliances françaises. 
  • Ouvrir une Alliance française à Mayotte dédiée à l’apprentissage du Français, langue d’intégration et d’insertion. 
  • Doter chaque nouvel arrivant de l’application mobile gratuite « Karibu ».

Favoriser l’égalité des chances

Partout sur le territoire, des associations socio-éducatives d’écriture et d’art oratoire contribuent à faire du français un outil de réussite éducative et professionnelle. Savoir bien s’exprimer constitue un facteur majeur d’épanouissement et d’égalité des chances. Donner une aisance en lecture et en expression orale à chaque enfant et adolescent de France devrait être une priorité nationale, notamment dans les quartiers populaires. C’est d’ailleurs à Argenteuil en 2013 qu’est née l’association Force des mixités à l’initiative de la Dictée pour tous. L’objectif ? « Donner le goût de la lecture et de l’écriture », selon son fondateur, Abdellah Boudour23« Depuis 2013, l’association Force des mixités organise dans les quartiers le championnat intergénérationnel “La dictée pour tous ”… », ozp.fr, 21 juillet 2022.. C’est aussi la philosophie d’Eloquentia, programme éducatif d’intérêt général né en 2012 : donner à chaque jeune la possibilité de bien exprimer ce qu’il a dans la tête et dans le coeur, lui permettre de gagner confiance en soi à travers notamment des parcours et des concours de prise de parole en public, des collèges aux universités. L’objectif est d’améliorer le vivre-ensemble, par-delà les différences sociales et culturelles. Un objectif partagé par le concours d’éloquence Viva Voce en Martinique.

Relevons également le rôle important de la Fondation Voltaire qui met à disposition un outil d’entraînement en ligne afin d’augmenter son niveau de maîtrise de la langue française. Avec plus de 7 millions d’utilisateurs de tous âges, 5 000 établissements d’enseignement et plus de 2 200 entreprises partenaires, le projet Voltaire est devenu un outil numérique d’entraînement en orthographe et en expression incontournable pour reprendre les bases de la grammaire, enrichir son vocabulaire, améliorer sa syntaxe. La Fondation Voltaire apporte en outre aux acteurs associatifs engagés sur le terrain auprès des jeunes des solutions (ressources pédagogiques, mentorat, ateliers de prise de parole…) pour leur permettre de mieux affirmer leurs convictions, leurs émotions, leurs opinions et leurs talents.

Les Journées de l’éloquence organisées par l’Atelier de la langue française à Aix-en-Provence visent à promouvoir la maîtrise de la langue française. Les participants sont invités à s’affronter dans des épreuves d’art oratoire, où ils doivent faire preuve de créativité et de technique dans leurs discours. Cela fait partie d’un effort plus large pour encourager l’usage et l’appréciation de la langue française chez les jeunes. Cet apprentissage ne doit pas être perçu comme une contrainte mais comme une opportunité. Selon Béatrice Marriette, professeure au collège Évariste-Gallois de Sevran (Seine-Saint-Denis), « la joie doit être au coeur de l’apprentissage ».

Cela concerne non seulement le français mais aussi les 75 langues régionales de France qui font partie de l’identité de nos territoires. Ce patrimoine linguistique (breton, franco-provençal, créoles, picard, marquisien…) doit être transmis aux nouvelles générations. En 2022, un Conseil national des langues et cultures régionales a été créé pour promouvoir ces langues24Voir Ministère de la Culture, Rapport au Parlement…, op. cit., p. 67., parlées par 3 millions de locuteurs en métropole et par 2 millions de locuteurs Outre-mer. Des initiatives, comme un laboratoire mobile, inventorient cette diversité linguistique. Un camion sillonne les routes de France pour enregistrer les manières de parler, les accents régionaux. Ce laboratoire mobile – projet scientifique lancé en 2022 par le ministère de la culture, le CNRS, et la Bibliothèque nationale de France ainsi que plusieurs collectivités territoriales – dresse un inventaire des langues parlées sur le territoire. Au niveau associatif, plusieurs acteurs sont impliqués dans la promotion de l’enseignement des langues régionales et l’animation culturelle des territoires autour de ces langues, à l’exemple de l’Observatoire de la langue et de la culture provençales. Cet enseignement ne concerne toutefois que 120 000 élèves en France.

Outre-mer, le contexte linguistique est celui du bilinguisme ou du multilinguisme ; le français est une langue de transmission des savoirs, à l’école, à l’université, mais rarement une langue maternelle parlée à la maison. Il confère aux étudiants ultramarins un passeport sur le monde. C’est en allant à l’école que les enfants se frottent à la Francophonie, selon le haut fonctionnaire et homme de culture Xavier North. Avec une langue française d’adoption plutôt que de naissance, les Outre-mer sont plus proches 

que l’Hexagone de la situation linguistique de la plupart des pays francophones, qui sont en réalité plurilingues.

Pour aller plus loin, nous recommandons de : 

  • Préserver les langues régionales qui doivent être davantage visibles dans l’espace public et numérique. 
  • Encourager l’apprentissage du français de manière ludique, notamment par le théâtre et l’art oratoire.

3. Coopération décentralisée

Selon l’article 87 de la Constitution, « la République participe au développement de la solidarité et de la coopération entre les États et les peuples ayant le français en partage ». Du fait des affinités qui nous lient à ces peuples, plusieurs collectivités territoriales françaises s’engagent dans des actions solidaires avec d’autres territoires francophones.

La Région Auvergne-Rhône-Alpes

Prenons l’exemple de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, l’une des plus dynamiques en matière de Francophonie des territoires. Celle-ci déploie une riche activité de coopération internationale avec d’autres collectivités du monde francophone, notamment en Arménie, en Côte d’Ivoire, au Maroc, au Liban et en Afrique subsaharienne. Les programmes de coopération avec ces pays sont menés notamment dans le cadre des Schémas régionaux de développement économique, d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation. Les équipes de la Direction des relations internationales (dotée d’un service Francophonie et Développement) préparent des missions politiques, techniques, l’accueil de délégations, ainsi que des événements comme la Journée économique France-Maroc. Celles dédiées à l’exportation et à l’internationalisation des entreprises travaillent en direction de la Francophonie internationale. Les établissements régionaux de formation, d’éducation et d’enseignement supérieur font de même. Cette stratégie francophone résulte d’une vision politique cohérente des élus régionaux mais aussi d’un écosystème dynamique d’associations qui agissent pour la Francophonie, de l’Alliance française à La Caravane des dix mots, de la Maison de la Francophonie au Centre Jacques-Cartier – qui connecte les acteurs économiques et universitaires d’Auvergne-Rhône-Alpes avec la Francophonie canadienne. Les bénéfices sont nombreux. Le fameux musée des Confluences de Lyon a d’ailleurs été repensé et modernisé par un Québécois.

L’un des opérateurs de cette action de solidarité internationale d’Auvergne-Rhône-Alpes, le groupement d’intérêt public Résacoop, répond à des appels à projets européens, mobilise des fonds et des compétences pour l’atteinte des objectifs du développement durable de l’ONU. Ce réseau travaille en collaboration avec des ONG comme le Centre international d’études pour le développement local et Handicap international, toutes deux basées à Lyon, Bioforce à Venissieux ou encore Humacoop-Amel, qui forme et informe les volontaires et acteurs humanitaires à Grenoble. Dans cette action de solidarité internationale, Chambéry n’est pas en reste : depuis 1991, sa coopération décentralisée avec Ouahigouya, au Burkina Faso, permet des échanges culturels et des actions répondant aux besoins de la population en éducation, en santé, en matière de lutte contre les inégalités, d’aménagement urbain et de services municipaux.

À l’échelle de l’Hexagone, la Région Auvergne-Rhône-Alpes n’est pas la seule région à avoir développé une réflexion et une politique consacrée à la Francophonie. La Nouvelle-Aquitaine, l’Île-de-France, Provence-Alpes-Côte-d’Azur et d’autres Régions le font également. Par ailleurs, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères édite un Guide opérationnel de la coopération décentralisée et une programmation annuelle d’appels à projets qui concerne les Régions, les municipalités, les intercommunalités et les départements.

Mais il faudrait aller plus loin :

  • Flécher davantage les actions et les financements de la coopération décentralisée vers les régions et territoires francophones partenaires. 
  • Donner mandat à l’Agence française de développement (AFD) de financer et d’accompagner en priorité des projets situés dans des régions francophones. 

Outre-mer, une Francophonie facilitatrice de rapprochements

Arrêtons-nous à Nouméa, capitale de la Nouvelle-Calédonie, où se trouve le Centre de rencontres et d’échanges internationaux du Pacifique (Creipac). Cet opérateur de coopération régionale accueille des étudiants étrangers (lycéens, étudiants, adultes et professeurs venant principalement d’Australie et de Nouvelle-Zélande) pour des cours de langue française et organise des séjours d’immersion linguistique tout au long de l’année. Il assure aussi la diffusion de la langue française dans la région par des événements culturels, des séminaires régionaux, des rencontres et des conférences, tout en contribuant au développement des échanges linguistiques, scientifiques, techniques et culturels. Sous l’égide du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le Creipac organise notamment le Forum francophone d’Asie-Pacifique à Nouméa, en partenariat avec l’université de la Nouvelle-Calédonie.

En Océanie, la Nouvelle-Calédonie coopère avec le Vanuatu, pays membre de l’OIF. La Nouvelle-Calédonie a intégré l’OIF en 2016, avec le statut de membre associé. C’est le seul territoire d’Outre-mer français à avoir rejoint l’OIF grâce à son statut particulier (inscrit dans la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998). À ce titre, le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie représentent la Francophonie en Océanie, ce qui renforce leur coopération. Notons d’ailleurs que la Communauté du Pacifique (CPS), organisation de coopération scientifique et technique, a le français comme langue de travail. Pour les pays francophiles, de l’Australie jusqu’au Japon, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie représentent des portes d’entrée dans la Francophonie.

Il en est de même dans l’océan indien, où La Réunion entretient une proximité historique avec l’île Maurice et coopère étroitement avec Madagascar dans les domaines de l’environnement, de la mobilité, de l’énergie, de la formation professionnelle ou encore de la biodiversité. En témoigne la visite, en juillet 2024, de la présidente de Région Huguette Bello et son dialogue avec le président de la République de Madagascar Andry Rajoelina.

Le département de Mayotte développe aussi des relations économiques avec l’océan Indien et le continent africain. Invitée à la 5e Foire internationale de la production africaine à Dakar, une délégation mahoraise comprenant des cheffes d’entreprises a été reçue par des ministres sénégalais et par l’ambassade de France. Pour promouvoir une solidarité francophone, la ville de Mamoudzou s’est rapprochée des autorités locales togolaises et malgaches en vue de constituer des conventions de jumelages autour de l’agriculture.

En mer des Caraïbes, la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin coopèrent entre elles mais aussi avec Haïti et le Québec, directement ou via le Centre de la francophonie des Amériques, institution créée par l’Assemblée nationale du Québec pour solidifier les liens entre les communautés francophones des Amériques (Canada, États-Unis, Caraïbes, Guyane…). Guadeloupe et Guyane française coopèrent également avec le Brésil, pays francophile qui partage avec la France sa plus longue frontière terrestre et qui abrite 67 implantations de l’Alliance française. Plus au nord, Saint-Pierre-et-Miquelon entretient des liens étroits avec les provinces atlantiques du Canada (partiellement francophones) et le Québec.

Outre-mer, le français représente donc une langue de contact avec plusieurs pays et collectivités voisins ou plus lointains, ce qui facilite la coopération et génère de la solidarité. Riches de leur diversité, ouvertes sur une « mondialité » chère à Édouard Glissant, les Outre-Mer doivent être considérés comme de véritables avant-postes de la Francophonie des territoires.

Quels leviers ?

Quels leviers les élus et les fonctionnaires territoriaux peuvent-ils actionner pour renforcer la coopération décentralisée avec la Francophonie ?

L’Association internationale des régions francophones, créée en 2002 par les régions de Rabat-Salé, de Tombouctou et d’Auvergne Rhône-Alpes, met en relation les collectivités territoriales francophones dans un but de partage des connaissances et de développement. Cette association regroupe 200 collectivités territoriales, dont une centaine sont actives. Elle stimule les coopérations diverses en langue française et renforce les collectivités territoriales par des échanges entre élus territoriaux.

L’Institut international pour la Francophonie, au sein de l’université Jean-Moulin Lyon-III, organise une université d’été francophone sur la décentralisation qui regroupe divers élus locaux, dont de hauts représentants de collectivités territoriales africaines.

L’Association internationale des maires francophones construit des projets partagés entre les villes de l’espace francophone et promeut entre elles des relations structurées et équilibrées. Des jumelages et des coopérations fécondes entre Antananarivo et Le Caire, Hué et Namur, Québec et Rennes, Nouakchott et Lausanne, Marseille et Alger, Hrazdan et Montpellier, font partie de ses nombreuses réalisations.

France Volontaires est un opérateur du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères qui organise le volontariat de solidarité internationale et qui propulse notamment un programme de volontaires de la Francophonie. Il dispose d’antennes régionales.

Les offices binationaux pour la jeunesse. À Saint-Denis, l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ), opérateur public de mobilité réciproque entre la France et le Québec, organise la Grande Rencontre des jeunes entrepreneurs du monde francophone, les Rencontres francophones de l’innovation sociale ; il soutient certaines actions locales comme le Festival francophone du reportage court dans l’Allier (l’office offre un séjour financé au Québec pour permettre à des jeunes vidéastes de 18 à 35 ans de réaliser un reportage outre-Atlantique). À travers de nombreuses autres rencontres, délégations et projets, l’OFQJ contribue à bâtir la Francophonie des territoires, en partenariat avec plusieurs collectivités. Avec l’Allemagne, l’Office franco-allemand pour la jeunesse joue également un rôle précieux de rapprochement entre nos jeunesses.

Ces actions (coopération décentralisée, volontariat international, mobilité des jeunes…) contribuent à l’ouverture de nos territoires sur l’international, participent à leur rayonnement et, si l’on peut dire, à la « diplomatie culturelle des territoires ».

Mais nous pourrions aller plus loin : 

  • Mobiliser les diasporas pour l’établissement de liens plus forts entre nos régions francophones. 
  • Axer davantage nos coopérations transfrontalières sur l’apprentissage mutuel de nos langues, en prenant exemple sur le programme FranceMobil en Allemagne.

Les régions frontalières d’Europe pourraient être les pionnières de la revitalisation d’un plurilinguisme européen franco-allemand, franco-italien, franco-espagnol, asséché ces dernières années par la tendance au monolinguisme. « En Allemagne, 15 % des enfants choisissent le français comme langue étrangère. On était à 19 % en 201025Emmanuel Grasland, « L’Allemagne est-elle encore francophile ? », Les Échos, 27 mai 2024, p. 13. », fait remarquer un article récent. Cet éloignement linguistique nuit à nos relations sur le long terme. Il en va de même avec l’Espagne, où les professeurs de français langue étrangère se retrouvent de plus en plus sur le carreau, dans des conditions précaires. Or seule une politique volontariste d’apprentissage de nos langues respectives pourra relancer l’Europe de la culture et son adhésion par les peuples.

Nous recommandons ainsi de :

  • Soutenir les coalitions en faveur de la diversité linguistique et culturelle dans les organisations internationales, en particulier dans les institutions européennes. 
  • Mieux reconnaître les professeurs de français dans le monde en facilitant leurs séjours en France et en soutenant la Fédération internationale des professeurs de français.

III. Les stratégies gagnantes

La Francophonie a besoin de mobilisation et d’investissement sur le terrain pour créer autour d’elle une dynamique, une adhésion, un rayonnement. Pour susciter la volonté d’engagement de nouveaux acteurs, il est nécessaire d’agir en réseau, d’informer, de coordonner, d’impliquer la population. Il incombe également aux élus de soutenir cette Francophonie des territoires et de la penser comme un levier d’aménagement du territoire, de cohésion et de développement.

1. Des projets structurants

Pour en faire un véritable levier de développement et d’attractivité, les collectivités territoriales et l’État peuvent concevoir des projets structurants autour de la Francophonie des territoires. Ces projets peuvent prendre la forme d’itinéraires touristiques comme La Route des maisons d’écrivains en Normandie, qui invite les voyageurs à partir à la découverte de Pierre Corneille à Petit-Couronne, de Jules Michelet à Vascoeuil, de Victor Hugo à Villequier-Rives-en-Seine, de Maurice Leblanc à Étretat… Les « pôles de référence francophones », reconnus par le ministère de la Culture, procèdent également de cette volonté de structuration du territoire. Pensés dans une optique de décentralisation culturelle à la suite de la disparition du Tarmac, scène parisienne autrefois dédiée à la création francophone, leur but est d’accueillir des artistes en résidence et d’encourager la création en langue française (théâtre, danse, écriture), afin qu’elle continue de vivre et de façonner nos imaginaires.

Le Pôle francophone de Limoges

À Limoges, le festival Les Francophonies, des écritures à la scène est devenu un événement incontournable de la création en langue française, sous l’impulsion de son directeur Hassane Kouyaté, conteur, comédien, musicien, danseur et metteur en scène. En 2019, l’insertion de ce festival au coeur de la ville a été rendue possible grâce à la volonté de la Ville, du 

Département, de la Région et au soutien de l’État. Ceci a contribué à son succès : un « village », une billetterie, un bar, une cour, un chapiteau ont été installés dans l’ancienne caserne Marceau, véritable foyer de création, de rencontre d’artistes et de partage avec le public. Ce festival mariant la danse, le théâtre et la musique francophone du monde se déroule en deux temps : en mars, les Zébrures de printemps sont dédiées à la jeune création contemporaine, notamment d’art dramatique (résidence d’artistes, premières lectures…), tandis qu’en septembre les Zébrures d’automne favorisent la mise en scène d’oeuvres théâtrales, l’apprentissage et l’échange avec le public local, national et international : lectures, conférences, conversations, spectacles vivants… Chaque année, des artistes originaires du Canada, du Togo, de Suisse, de Mozambique et de bien d’autres contrées font le déplacement à Limoges et rayonnent dans les campagnes du Limousin au service de l’accès à la culture des habitants. L’ancrage de ce festival et son expansion en milieu rural en font un exemple de projet structurant. 

Cette union de projets a entraîné l’université de Limoges dans son sillage, qui a fait de la Francophonie l’un des axes majeurs de ses travaux de recherche et de ses formations en même temps que l’un des horizons de son développement international. Cette dynamique entraîne aussi le Centre dramatique national du Limousin, qui forme en partenariat avec l’université Senghor d’Alexandrie des cadres culturels francophones, le Centre régional du livre, l’Éducation nationale, le Festival de la caricature, ainsi que la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, imposant bâtiment érigé en 1998 place Aimé-Césaire et qui comprend un fonds documentaire et pluridisciplinaire de 40 000 références, riche dans le domaine du théâtre et de la poésie francophones. Des associations socio-éducatives (théâtre, ateliers d’écriture…) sont également impliquées dans ce projet global. On comprend pourquoi Limoges est considérée comme un « pôle de référence francophone » par le ministère de la Culture26Non loin de Limoges, le journaliste Arnaud Galy, fondateur du média numérique Agora francophone, propose une résidence d’écriture francophone à la maison du Goupillou..

Les autres pôles se trouvent à la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, à la Cité internationale des arts à Paris et à la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts.

La Cité internationale de la langue française

En 1539, c’est à Villers-Cotterêts que François Ier fit du français la langue ordinaire des actes de justice et d’administration. Près de cinq siècles plus tard, la restauration du château de Villers-Cotterêts représente un projet structurant pour le département de l’Aisne. Voulu par les associations, les élus locaux et le président de la République, ce chantier patrimonial hors norme a permis une renaissance du château, désormais Cité internationale de la langue française. En 2023, les visiteurs ont commencé à découvrir le nouveau parcours permanent retraçant l’aventure du français, la variété de ses usages et sa capacité à se réinventer dans le temps et l’espace. L’une des réussites de ce projet est d’avoir laissé un espace de libre circulation pour les habitants de la ville jusqu’au parc du château, via la cour principale et celle du jeu de paume, recouverte d’une verrière décorée de mots et d’expressions francophones. L’autre bienfait est d’avoir installé la première librairie de Villers-Cotterêts, ainsi qu’un café, des espaces collaboratifs et des résidences d’artistes et de chercheurs.

Selon son directeur Paul Rondin, ce nouvel équipement culturel n’est « ni un musée, ni un conservatoire, mais l’endroit où la langue française se vit, s’invente, s’enrichit !27Cité in Nathalie Lacube, art. cit. ». Il faut pour cela attirer du public et parler à toutes les générations. D’où l’importance d’une programmation riche et variée, d’une communication efficace, d’un aménagement judicieux du territoire incluant les transports (trains, bus, vélos…). L’ouverture d’un hôtel dans une aile inoccupée du château, l’aménagement de la forêt avec un parcours accrobranche et la mise en visibilité d’un itinéraire touristique et littéraire dans le sud de l’Aisne sont à l’étude pour renforcer l’attractivité du territoire. En octobre 2024, la tenue dans le château du Sommet de la Francophonie a contribué à cette attractivité internationale, de même que la poursuite du festival Paroles, fruit de l’action culturelle de quatre communautés de communes.

La Cité internationale de la langue française, patrimoine en partage, fierté pour les habitants, fait assurément partie des projets les plus structurants de la Francophonie des territoires, dont il faudra collectivement assurer le succès à long terme.

L’écoquartier francophone à Marennes-Hiers-Brouage

En Charente-Maritime, à Marennes-Hiers-Brouage, le conseil municipal a décidé de nommer les rues du nouvel écoquartier La Marquina en référence à des oeuvres francophones : avenue des Racines-du-Ciel, rue de l’Espèce-Fabulatrice, rue Moi-mes-Souliers, rue Pélagie-la-Charrette, rue de la Valse-à-Mille-Temps… Dans le centre-ville, une place de la Francophonie complète cette symbolique. Ce projet urbanistico-littéraire original est en cohérence avec le patrimoine euro-américain de Brouage28À titre d’exemple, l’école Champlain de Brouage a reçu le label « école franco-québécoise » décerné par la fondation franco-québécoise Fusion Jeunesse., ville citadelle où est né Samuel de Champlain, fondateur de Québec. Cette histoire inspire la politique de coopération internationale francophone de cette commune de moins de 6 500 habitants, jumelée avec Caraquet, au Nouveau-Brunswick (Canada), et naturellement la FrancoFiesta, événement de valorisation de la langue française, des langues régionales et des cultures francophones. L’ensemble de ces actions concertées constitue bien un projet structurant pour le territoire, associant la médiathèque, le syndicat mixte de Brouage ou encore la librairie Le Coureau qui fait découvrir à ses clients-lecteurs la richesse des littératures francophones. 

Pour aller plus loin, nous suggérons de : 

  • Donner instruction à la Caisse des dépôts et à la Banque publique d’investissement (BPI) de financer les projets structurants de la Francophonie des territoires. 

2. Les bonnes pratiques

Comment faire en sorte que la Francophonie des territoires soit plus porteuse encore, notamment dans les territoires ruraux et ultramarins ? Quelles sont les bonnes pratiques à adopter ?

Mutualiser les moyens et les projets

De nombreux acteurs associatifs de la Francophonie des territoires font beaucoup avec peu. Cette question des moyens ne doit pas être éludée. L’une des solutions pour mobiliser des moyens réside dans les synergies entre initiatives complémentaires et dans la coopération publique-privée. L’État et les collectivités territoriales ayant des moyens de plus en plus limités, les ressources sont aussi à rechercher dans les entreprises et leurs fondations, à l’exemple de la SNCF, qui soutient le Festival francophone du film d’Angoulême, et de la Fondation Michelin, qui finance l’application « Karibu » de Bibliothèque sans frontières. Mais ce genre de soutien est encore trop rare…

Au Québec, l’hôtel Château Laurier est à l’origine d’un label « franco-responsable ». En France, il faudrait inciter davantage d’entreprises à suivre la même démarche de franco-responsabilité. Il est à noter également que les syndicats québécois s’impliquent nettement dans la « francisation » des travailleurs immigrants, pour contribuer à leur bonne intégration.

En France, il faudrait : 

  • Impliquer davantage les entreprises et les syndicats en faveur de la Francophonie des territoires.

Les synergies d’associations, d’entreprises, de syndicats et de collectivités territoriales apparaissent particulièrement porteuses pour la Francophonie des territoires. Jean-Claude Mairal, ancien président du département de l’Allier et acteur associatif très impliqué pour la Francophonie, considère que chaque acteur a trop tendance à travailler en silo. Pour fédérer ces acteurs et mutualiser des moyens, Jean-Claude Mairal a créé une association d’associations, Francophonie en Auvergne Bourbonnais, qui s’étend jusqu’à Clermont-Ferrand et Châtel-Guyon. Elle coalise des collectivités territoriales et de nombreux acteurs associatifs pour développer des projets, notamment tournés vers la jeunesse.

Impliquer la population, particulièrement la jeunesse

L’enjeu de la Francophonie des territoires est de susciter de nouvelles mobilisations citoyennes et populaires à l’échelle locale. Dans la capitale des Gaules, la Biennale des langues, lancée en 2021 par la Caravane des dix mots, est un événement de rencontres et de sensibilisation à la diversité linguistique par une approche ludique et populaire. Cette démarche citoyenne tous publics inclut une dimension scolaire.

À Vichy, le Cavilam-Alliance française conclut des accords avec 430 familles d’accueil pour loger ses apprenants. Ainsi 3 500 étudiants du monde entier venus suivre une immersion linguistique estivale en 2022 ont-ils vécu chez l’habitant. Ouvertes à tous, gratuites, des projections en plein air et des rencontres littéraires intitulées « Tant de choses à nous lire », avec des auteurs de Bulgarie, du Canada, d’Haïti,, d’Iran, de Mauritanie, de Syrie et de Tunisie, contribuent à ouvrir le centre à la population locale.

Ces activités sont enrichissantes mais touchent-elles suffisamment les jeunes ? De manière générale, la question se pose : comment mieux impliquer la jeunesse dans la Francophonie des territoires ? Comme le dit Amin Maalouf, « il est essentiel que les jeunes générations aient la certitude qu’elles peuvent accéder, en langue française, à tout ce que produit le monde moderne, et dans tous les domaines29Interview d’Amin Maalouf, « Encourager la création dans notre langue pour qu’elle demeure présente et vivante dans tous les domaines du savoir », in Ministère de la Culture, Rapport au Parlement…, op. cit., p. 43. C’est aussi le rôle des commissions de terminologie qui créent des termes nouveaux, grâce à la contribution de 400 experts bénévoles. ». Il faut faire prendre conscience aux jeunes, dès leur plus jeune âge, que la Francophonie leur permettra d’acquérir des connaissances, des compétences, de se former, de travailler, de voyager, de découvrir, de s’enrichir, de s’émouvoir, de s’émerveiller.

Pour susciter l’engagement des jeunes, des concours comme celui de poésie organisé par la Faculté des lettres de la Sorbonne, « Dis-moi dix mots », opération nationale de sensibilisation à la langue française qui se déroule tout au long de l’année scolaire, mais aussi des jeux vidéo d’aventure comme Exploratio, qui permet d’explorer la diversité des cultures en langue française, ainsi que la Fête de l’Image francophone ou les spectacles d’humour maniant la langue française et ses jeux de mots, sont de nature à susciter l’intérêt des nouvelles générations pour la Francophonie. À ne pas négliger non plus, le parcours permanent de la Cité internationale de la langue française offre des outils de sensibilisation à la Francophonie pour les jeunes, à disposition des enseignants et des familles.

Bien que certaines écoles secondaires valorisent la Francophonie, à l’instar du lycée européen de Villers-Cotterêts, son enseignement reste limité. Il en va de même dans l’enseignement supérieur. Pour remédier à cette large méconnaissance, le Groupe des ambassadeurs francophones de France mène des actions de sensibilisation à la Francophonie et à la diplomatie culturelle. Il se déplace en région, à la rencontre de différents publics, notamment étudiants. Le programme des Jeunes Ambassadeurs francophones (JAF) est également un moyen de les sensibiliser et de les responsabiliser. C’est aussi le cas de Francophonie sans frontières, dont la moitié des membres du conseil d’administration ont moins de 35 ans. Car les jeunes sont davantage désireux de s’engager si on leur donne des responsabilités, tout en leur offrant un mentorat intergénérationnel enrichissant. 

Nous préconisons, pour aller plus loin, de : 

  • Mettre en lumière la Francophonie dans les programmes scolaires. 
  • Consacrer davantage de formations universitaires à la Francophonie. 
  • Sensibiliser les jeunes à la Francophonie, dans les écoles et les lycées, notamment via des rencontres avec des acteurs engagés et des artistes francophones. 
  • Encourager les jeunes à s’engager dans des projets francophones à travers des missions de service civique, de bénévolat, de volontariat et d’apprentissage. 
  • Mettre en place un « Erasmus » de la Francophonie.

Donner à la Francophonie une visibilité dans l’espace public

« On a tout pour porter la Francophonie en France : des festivals, des événements, des conférences, une mobilisation pour la culture. Mais il faut qu’elle soit relayée. Il faut que les médias s’en emparent30« Après son éviction de France Inter, Emmanuel Khérad, combatif pour la francophonie », lepopulaire.fr, propos recueillis par Coralie Zarb et Olivier Chapperon, 23 juin 2024. », analysait récemment le journaliste Emmanuel Khérad. Son émission La Librairie francophone, suivie par 3 millions d’auditeurs, a été déprogrammée de France Inter. Un mauvais signal. Pourquoi les médias français ne traitent-ils que très rarement de la Francophonie ?

Certaines émissions le font, telles Destination Francophonie sur TV5 Monde et De vive(s) voix sur RFI. Sur France 5, l’émission La Grande Librairie illustre la vitalité de la littérature francophone. Radio-France, à travers France Bleu, contribue aussi à l’expression et à la valorisation des langues régionales31Corse Frequenza, Breizh Izel, Elsass et Pays Basque… Voir « Dans l’audiovisuel, promouvoir et illustrer la langue française », in Ministère de la Culture, Rapport au Parlement…, op. cit., p. 30.. Par ailleurs, RFI relaie l’actualité en français et contribue à son apprentissage avec l’émission Le français facile, une chronique de L’Express par Michel Feltin est consacrée aux enjeux de diversité linguistique, Le Figaro publie de temps à autre un hors-série sur la langue française, tandis que l’hebdomadaire Marianne y consacre également des articles… Globalement, on est loin du compte.

Pire, l’anglicisation de la communication n’épargne pas les médias. En 2023, parmi les 188 signalements reçus par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), 67 % étaient motivés par un usage d’anglicismes ou de termes étrangers inappropriés à l’antenne. L’Arcom a développé une action de contrôle et d’incitation au respect de la langue française et organise aussi chaque année la Semaine de la langue française dans les médias audiovisuels32Voir « Contrôler et promouvoir : le rôle de l’Arcom », in Ministère de la Culture, Rapport au Parlement…, op. cit., p. 31.. Autre initiative à saluer, le prix de l’Innovation francophone dans les médias soutenu par l’OIF, RFI et Reporters sans frontières, s’adresse à tous les médias (radio, télévision, presse écrite et nouveaux médias) des 88 États et gouvernements membres de la Francophonie qui ont su développer des offres médiatiques innovantes.

Pour assurer une meilleure visibilité de la Francophonie à la télévision, il conviendrait de : 

  • Faire connaître aux Français TV5 Monde+, la plateforme numérique gratuite de TV5 Monde qui est la vitrine de la diversité audiovisuelle de la Francophonie.

Alors que les usages des téléspectateurs se transforment et que les plateformes alternatives apportant de nouveaux services, notamment interactifs, se développent, la TNT conserve de nombreux atouts pour le téléspectateur (gratuité, stabilité, diversité de l’offre, couverture étendue, etc.).

L’Arcom pourrait donc : 

Attribuer une fréquence de diffusion à TV5 Monde, opérateur audiovisuel de la Francophonie, sur la télévision numérique terrestre (TNT).

3. Le pilotage politique

En matière de pilotage de la Francophonie des territoires, il est essentiel que chaque acteur prenne ses responsabilités. Cela commence par une communication publique exemplaire.

Retrouver une exemplarité publique

La loi du 4 août 1994, communément appelée loi Toubon, garantit l’emploi du français dans divers secteurs tels que la consommation, le travail, les services publics, l’enseignement, les médias et la publicité. Elle assure l’égalité entre les citoyens dans leur accès à l’information et au savoir, en établissant un socle juridique essentiel pour la sécurité des consommateurs et des salariés. Elle garantit également l’intelligibilité des annonces et affichages dans l’espace public, tout en promouvant l’enseignement en langue française et l’accès à la culture.

Toutefois, après trente ans d’application, la loi Toubon mériterait une révision eu égard à la transition numérique33Voir « Mettre en oeuvre la loi », in Ministère de la Culture, Rapport au Parlement…, op. cit., p. 18-21.. De plus, elle n’est pas appliquée de manière rigoureuse par certaines personnes publiques qui s’affranchissent de leurs obligations, en particulier en matière de marques et de slogans publicitaires. Des actions de justice menées par des associations de défense de la langue française illustrent ces manquements. En 2022, le tribunal administratif a par exemple contraint le ministère de la Santé à débaptiser son mégafichier HealthDataHub. L’utilisation fréquente, voire systématique, de termes étrangers, souvent en anglais ou en franglais, dans les marques employées par les personnes publiques, pose question. Pourquoi l’Agence française de développement a-t-elle opté pour le slogan « Choose Africa » (programme qui vise à soutenir les jeunes entreprises innovantes et les PME africaines), au détriment d’un slogan en langue française ?

Il est crucial de retrouver une exemplarité, non seulement vis-à-vis de nos concitoyens mais aussi vis-à-vis de nos partenaires francophones. 

Mobiliser les élus

Le rôle des parlementaires

Du fait de leur mandat de contrôle et d’initiative législative, les parlementaires peuvent jouer un rôle clé en sensibilisant leurs collègues et en proposant des évolutions législatives favorables à la Francophonie. Selon Laurent Lafon, président de la commission de la Culture, de l’Éducation, de la Communication et du Sport du Sénat, « les parlementaires, en vertu de leur pouvoir de contrôle, peuvent d’abord dresser un état des lieux de l’application du cadre légal posé par la loi Toubon. Ils peuvent ensuite, en vertu de leur pouvoir d’initiative législative, proposer de faire évoluer ce cadre34Laurent Lafon, « Assemblée nationale et Sénat : quelles perspectives pour la langue française ? », in Ministère de la Culture, Rapport au Parlement…, op. cit., p. 39. ». Ils ont donc la capacité de contrôler la bonne application de la loi.

L’envoi du rapport au Parlement sur la langue française élaboré par la DGLFLF contribue à la sensibilisation de tous les parlementaires, de même que l’organisation par certaines associations « pro-Francophonie » d’événements dans nos assemblées, à l’exemple des Rencontres francophones du Palais-Bourbon organisées par l’Association francophone d’amitié et de liaison (Afal). Au Sénat, des rencontres équivalentes, autrefois organisées par le sénateur André Vallini, mériteraient d’être organisées à nouveau. Certains parlementaires sont impliqués dans la rédaction de rapports d’information sur la Francophonie, dans des groupes d’amitié avec des pays francophones, dans des groupes d’études ou encore au sein de la section française de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, ce qui contribue à faire d’eux des législateurs éclairés sur les sujets linguistiques, de coopération avec la Francophonie et de préservation des langues régionales.

Le rôle des élus locaux

L’implication des élus locaux, comme les maires, les présidents de Départements et les présidents de Région, est tout aussi déterminante. Ils peuvent non seulement soutenir des initiatives francophones, mais aussi créer des synergies entre les projets de coopération décentralisée et les associations francophones. Il est encourageant de voir que certains élus sont déjà engagés dans cette dynamique, à l’exemple de Gilles Djéyaramane, élu à la citoyenneté, à la Francophonie et aux relations avec les cultes à Poissy (Yvelines). Leur rôle est d’autant plus évident dans la valorisation des initiatives locales et dans la création d’un réseau solide autour de la Francophonie lorsque leur territoire accueille un festival ou une manifestation en lien avec la langue française et les cultures francophones. Le cas de Marennes-Hiers-Brouage illustre l’importance de l’implication et du soutien des élus. C’est grâce à l’implication constante de Mickael Vallet, ancien maire devenu sénateur de Charente-Maritime et président de France-Canada, que cette ville est devenue un pôle dynamique de la Francophonie des territoires. Les maires qui sont membres de l’Association internationale des maires francophones, les adjoints à la culture, aux affaires internationales, les comités de jumelage, les présidents de Région membres de l’Association internationale des régions francophones (fondée par l’ancien maire de Montélimar et député européen Thierry Cornillet) sont censés avoir délibéré une stratégie pour la Francophonie.

Mais il faudrait aller plus loin : 

  • Dédier un conseiller municipal délégué à la Francophonie, notamment pour y animer la Semaine de la Francophonie et les jumelages francophones. 
  • Pavoiser le drapeau de la Francophonie sur les mairies lors de la Semaine de la langue française. 
  • Organiser une activité dédiée à la Francophonie et à la coopération décentralisée francophone lors du Congrès des maires de France. 

Un besoin de coordination interministérielle

Qui élabore la stratégie et l’anime au niveau national ? Qui se concerte avec tous les acteurs mentionnés ? Selon Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine, « la France aurait besoin d’un organisme rattaché auprès du Premier ministre avec des attributions équivalentes à celles de l’Office québécois de la langue française pour coordonner l’action des ministères dans ce domaine ». La Francophonie des territoires appelle en effet une réponse interministérielle et une mobilisation d’un ensemble d’acteurs privés et institutionnels qui doivent travailler en synergie pour promouvoir la langue française tant sur le territoire national qu’à l’étranger.

C’est le rôle interministériel de la DGLFLF, qui contribue à sensibiliser les élus, les administrations, les experts, les organismes publics et privés à l’importance des politiques publiques menées au service de la politique de la langue française et des langues régionales, notre patrimoine commun. Mais ce rôle de mise en relation des acteurs, de mise en synergie, de création de lien, aurait besoin de davantage de moyens pour être pleinement assumé. 

  • Renforcer les moyens de la DGLFLF et réaffirmer son caractère interministériel auprès du Premier ministre.

Le Conseil économique, social et environnemental peut contribuer à mobiliser la société civile organisée, les corps intermédiaires, les forces vives au service de la Francophonie des territoires et notamment de sa composante socio-économique.

On relève actuellement un besoin d’information et de coordination, de réseautage et d’animation, au niveau national et dans les territoires. À l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, un réseau d’influenceurs a été mis en place par les ministères des Sports et de la Culture. Ce travail de mise en réseau entre les différents acteurs de la valorisation de la Francophonie sportive et de la langue française dans le sport a montré son efficacité, ce qui plaide pour renforcer la dimension interministérielle de la politique francophone en France. 

Dernièrement, un Secrétaire d’État chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux a été nommé en France. Placé auprès du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, ce Secrétariat d’État devrait disposer des leviers forts du Quai d’Orsay en matière de diplomatie culturelle et d’influence, mais aussi d’aide au développement, de volontariat et de coopération décentralisée, en coopération étroite avec les institutions francophones multilatérales et les ONG.

On remarque donc un partage de la politique francophone de la France entre un ministère de la Culture, du Patrimoine (et de la Langue française, pourrait-on ajouter dans un intitulé futur) et un secrétariat d’Etat à la Francophonie et aux Partenariats internationaux (qui pourrait à l’avenir devenir un ministère délégué).

  • Donner des moyens forts aux ministères agissant pour la Francophonie à l’échelle nationale et internationale. 

Ces deux ministères impulseraient à la fois la politique linguistique en faveur de la langue française et de toutes les langues de France ; ils soutiendraient la Francophonie des territoires, ses festivals et ses objectifs d’accès à la culture, d’intégration par la langue et d’égalité des chances tout en renforçant la place de la Francophonie dans la mondialisation, assureraient la représentation de la France et de ses intérêts dans le monde francophone et multilatéral, ainsi que le soutien à l’action internationale des collectivités territoriales et le rayonnement de la société civile francophone. In fine, il faut faire en sorte que la Francophonie demeure une priorité politique, quelles que soient les alternances politiques.

Conclusion

La langue française, en tant que vecteur de communication interculturelle, permet de tisser des liens entre des communautés diverses, favorisant ainsi des coopérations enrichissantes à l’échelle locale, nationale et internationale. Cette dynamique de la Francophonie des territoires est particulièrement visible à travers des initiatives éducatives et culturelles. Ces actions contribuent non seulement à valoriser l’identité francophone, mais aussi à renforcer le lien social entre les générations et les populations d’origines variées.

La Francophonie est mobilisatrice sur nos territoires, elle est rassembleuse : des réseaux se mettent en place, des créations artistiques attirent le public et contribuent à l’animation de la vie locale, à l’ouverture internationale mais aussi au développement économique de nos territoires. Ces actions concourent à faire prendre conscience aux Français qu’ils sont francophones, à leur donner un sentiment d’appartenance à cette Francophonie qui ne doit pas être perçue comme une entité abstraite, mais comme un ensemble vivant et dynamique d’initiatives portées notamment par des associations et des élus.

En matière de coopération décentralisée, les collectivités territoriales françaises s’orientent naturellement vers des collectivités d’autres territoires francophones, par exemple vers la région plurilingue de la vallée d’Aoste, en Italie, qui fait partie de cette Francophonie des territoires. D’autres exemples dans le monde auraient pu être mentionnés, comme Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, première métropole francophone ou Dakar, capitale sénégalaise modelée par le poète-président Senghor, père-fondateur de la Francophonie, siège de plusieurs organismes francophones. Dans d’autres pays, la Francophonie des territoires existe, notamment lorsque se trouve un tissu associatif fort et qu’un soutien public au secteur culturel est assuré. 

La Francophonie est tout à la fois ancrage et ouverture sur le monde. La Francophonie des territoires représente un écosystème d’opportunités économiques et culturelles, un ferment d’ouverture et de partage, dans un monde interconnecté. La Francophonie permet en effet de bâtir des ponts entre les peuples, de favoriser des coopérations et une certaine solidarité, dans un aller-retour permanent et fécond entre l’international et le local. Pour contribuer à renforcer la vitalité de cette Francophonie des territoires à l’échelle internationale, la France doit continuer à soutenir les institutions francophones, l’expansion du réseau mondial des Alliances françaises, des lycées français et des Instituts français. Elle doit aussi apprendre à mieux accueillir sur notre sol nos partenaires francophones, notamment les professeurs, les étudiants, les créateurs et les entrepreneurs de la Francophonie.

En définitive, si la langue française n’appartient pas à la France, notre pays a néanmoins vocation à contribuer à bâtir une Francophonie populaire et engagée, locale et régionale, mais aussi levier de coopération dans la mondialité.

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