Les chiffres nous dessinent une réalité sans appel : 75 % des troubles psychiques se manifestent avant 24 ans. Malgré des efforts de sensibilisation ces dernières années, la stigmatisation persiste avec force puisque près de 70 % des Français adhèrent encore à un stéréotype concernant la santé mentale, la considérant parfois comme un tabou. Le constat est sévère : la population française souffre, et les enquêtes successives ne font que confirmer ce diagnostic.
La santé mentale se façonne dans les relations humaines, la stabilité familiale, la confiance économique et la sérénité professionnelle ; elle se délite au contraire dans l’isolement, l’instabilité, les inégalités et le stress. Si tous les territoires sont concernés, certains sont plus durement frappés, en particulier les outre-mer (30 % des jeunes ultramarins disent être en mauvaise santé mentale, soit 16 points de plus que la moyenne), les zones urbaines denses, ou encore les lieux de vie les plus précarisés.
La présentation, en juin dernier, d’un « Plan psychiatrie » a marqué une étape bienvenue de l’action publique, mais l’ampleur des besoins le rend encore trop timide, voire dérisoire face à l’ampleur du phénomène. Rendre visible un mal-être, catalyser une politique publique ambitieuse, identifier et amplifier les initiatives déjà à l’œuvre, irriguer tout le territoire d’actions concertées…
La grande cause doit permettre tout cela à la fois, comme ce fut le cas pour la politique de lutte contre le cancer. Le temps long est nécessaire pour organiser la concertation et concevoir une politique de santé mentale ambitieuse, tout en renforçant la place donnée aux initiatives de la société civile. Il est aussi crucial de former massivement les professionnels de la santé à la détection précoce des troubles, agir dès l’école pour prévenir les souffrances psychiques des plus jeunes et tirer parti du numérique, tout en se gardant de ses dérives. Les expérimentations requièrent un soutien pérenne.
Cette année, les analyses ont mis en lumière l’état dégradé de la santé mentale en France. Sur le terrain, des acteurs engagés ont imaginé, ont poursuivi et ont amplifié leurs efforts. Il faut citer, entre autres, les expérimentations en santé prévues par l’article 51, les interventions dans les écoles, les innovations numériques, l’avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur la santé mentale des jeunes, etc. Les solutions existent, foisonnent même, et témoignent de la vitalité d’un écosystème prêt à agir. Mais toutes requièrent un soutien pérenne. Il ne suffit pas d’allumer un projecteur si l’on s’apprête à l’éteindre aussitôt. La confiance des acteurs se gagne par la durée et la constance.
Sous la surface de cette énergie collective, la fragilité structurelle demeure. Notre système de santé peine à apporter des réponses adaptées à l’essor des besoins. Trop de patients restent livrés à eux-mêmes, faute d’une prise en charge disponible, coordonnée et à la hauteur de leur détresse. Particulièrement vulnérables, les jeunes ne demandent pas seulement à être écoutés. Ils veulent également pouvoir coconstruire les solutions qui permettront, dès demain, de créer un environnement plus favorable à leur bien-être avec leurs familles et leurs amis qui sont en première ligne pour les soutenir et les accompagner. Ils appellent des réponses concrètes, notamment sur le coût d’accès aux soins, que 19 % d’entre eux souhaitent voir diminuer. Tournons-nous vers eux pour rendre la prévention et l’accès aux soins plus efficients, plus accessibles et mieux adaptés à leurs besoins.
Un circuit de soin rapide et lisible
Encourageons les initiatives de déstigmatisation et de prévention. Donnons-leur les moyens d’aller mieux en renforçant les dispositifs de prévention, d’écoute et d’orientation dans les établissements scolaires et universitaires. Permettons un circuit de soins rapide et lisible dès les premiers signes de troubles. Renforçons la lutte contre le harcèlement, qui mine la confiance et détruit les repères. Redonnons souffle et moyens aux associations de terrain, ces tisseuses de liens sans lesquelles aucune politique ne prend vie. Assurons les budgets nécessaires au fonctionnement décent des établissements de santé spécialisés, partout sur le territoire, et rendons plus attractifs les métiers de la santé mentale. Un an est un délai dérisoire face à l’immensité du chantier. Ne détournons pas le regard dès l’an prochain, alors même que les chiffres sont alarmants et que les besoins commencent à peine à se révéler. La santé mentale doit demeurer une grande cause au-delà du 31 décembre 2025.
C’est à ces conditions seulement qu’une politique publique cohérente et structurée pourra se déployer sur tout le territoire, mobiliser un plus grand nombre d’acteurs, coordonner toutes les initiatives, favoriser la libération de la parole et, surtout, progresser concrètement pour améliorer l’accompagnement de chacun grâce à l’implication de tous.
Signataires :
- Margaux Tellier-Poulain, responsable de projets santé et protection sociale à l’Institut Montaigne
- Victor Delage, fondateur et directeur général de l’Institut Terram
- Éric Chenut, président de la Mutualité française
- Solanges Nadille, sénatrice de la Guadeloupe
- Chantal Jourdan, députée de l’Orne
- Jean-Carles Grelier, député de la Sarthe
- Helno Eyriey, rapporteur de l’avis du CESE sur la santé mentale et le bien-être des enfants et des jeunes
- Dominique Joseph, présidente du groupe Santé et Citoyenneté du CESE
- Danièle Jourdain-Menninger, présidente de la commission Affaires sociales et Santé du CESE
- Jérémie Boroy, président du CNCPH
- Matthias Savignac, président de la MGEN
- Angèle Malâtre-Lansac, déléguée générale de l’Alliance pour la santé mentale
- Johanna Couvreur, directrice de Quartet Santé
- Arnaud de Broca, président du Collectif Handicaps
- Daniel Goldberg, président de l’Uniopss
- Gentiana Malo, déléguée générale de l’association Astrée
- Docteure Claire Morin, médecin psychiatre et cofondatrice de Lyynk
- Professeure Marie-Rose Moro, présidente de la Maison de Solenn
- Maxime Perez-Zitvogel, cofondateur de la Maison Perchée
- Docteure Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH)
- Professeur Pierre-Michel Llorca, chef du service de psychiatrie du CHU de Clermont-Ferrand
- Docteur Jean-Victor Blanc, médecin psychiatre et fondateur de Culture Pop et Psy
- Alexis Génin, directeur général de Brain & Mind
- Abdoulaye Diarra, directeur de l’association Innovation citoyenne en santé mentale (ICSM Facettes)
- Docteur Denis Leguay, président de Santé Mentale France
- Muriel Vidalenc, présidente de Premiers Secours en Santé Mentale (PSSM France)
- Docteur Jonathan Chabert, chef de clinique universitaire, assistant des hôpitaux de psychiatrie au sein de l’université Paris-Est-Créteil et des hôpitaux universitaires Henri-Mondor
- Emmanuelle Rémond, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam)