« Alors qu’au début du XXe siècle on parcourait en moyenne 4 kilomètres par jour – le diamètre moyen des communes en France –, nous en réalisons aujourd’hui 40 quotidiennement », expliquent le dernier rapport de l’Institut Terram. Dans ce document de 40 pages intitulé ‘Réforme territoriale : pour une démocratie locale à l’échelle des bassins de vie’, les deux co-auteurs (Jean Coldefy, ingénieur de l’École centrale de Lille, et Jacques Lévy, chercheur en science du social) rappellent que « le bassin de vie – là où l’on réside, où l’on travaille, où l’on se soigne, où l’on se divertit… – est ainsi devenu 10 fois plus grand que la maille communale. Cela conduit à une incohérence majeure : le périmètre du quotidien n’est plus en adéquation avec le périmètre électoral communal.
« La France a un morcellement communal unique à l’échelle mondiale », poursuivent les deux experts qui constatent également : « Comme la commune est de taille trop restreinte pour gérer l’aménagement, la mobilité, l’eau, les déchets et l’économie, la loi a institué des groupements de communes, les communautés de communes ou d’agglomération. Mais celles-ci sont encore de taille trop réduite pour gérer ces thématiques. En conséquence, des groupements de groupements de communes ont été mis en place : des syndicats de communautés de communes et d’agglomération. Toutes ces structures intercommunales ne sont pas soumises au suffrage universel alors qu’elles portent pourtant les enjeux essentiels du quotidien. »
Une organisation complexe illisible pour le citoyen
Selon le rapport de l’Institut Terram, on dénombrait 46 225 communes et structures de coopération intercommunale en 2022 dans l’Hexagone. Dans le même temps, l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) a identifié 699 aires d’attraction. Des ‘bassins de vie’ pour Jean Coldefy et Jacques Lévy qui sont 64 fois moins nombreux que les structures communales actuelles.
« Cette organisation complexe est illisible pour le citoyen, elle multiplie les lieux de pouvoir et alourdit par là même les processus de décision. Elle a par ailleurs généré d’importants surcoûts, financés par une forte augmentation des impôts locaux. Les difficultés actuelles d’étalement urbain, de mobilité, de logement et d’affaiblissement du vivre ensemble par la spécialisation sociale des territoires trouvent leur origine dans cette gestion communale à l’échelle d’une maille géographique trop petite, inadaptée aux enjeux qui sont les nôtres aujourd’hui. »
Favoriser une meilleure représentativité démocratique
De quoi également poser par ailleurs des problèmes de représentativité démocratique « puisque le principe d’avoir a minima chaque commune représentée dans les conseils de métropole ou d’agglomération conduit à ce qu’une coalition de petites communes ait un poids politique sans commune mesure avec son poids démographique ».
Afin de sortir de cette situation l’étude préconise de proposer « nouveau paradigme de la gouvernance locale cohérente avec les bassins de vie des Français. Si l’on veut éviter que le passé paralyse le présent, il faut parler politique avec l’ampleur et l’ambition nécessaires », insistent les deux auteurs.
Ces derniers estiment ainsi qu’il faut s’appuyer sur 3 principes de base afin de disposer d’une gouvernance « territoriale lisible, efficace et juste ». A savoir : « la recherche d’une cohérence entre les espaces de vie des Français et les territoires politiques », « la responsabilité et donc l’autonomie financière des gouvernements locaux », ainsi que « la solidarité entre habitants et espaces impliquant la prise en compte des impacts de décision sur les espaces voisins et de privilégier les démarches coopératives avec les autres échelons ».
Diviser par 64 fois le nombre de structures communales
Dans ce cadre, le rapport préconise donc que ces 699 aires d’attraction des villes, constituant les bassins de vie quotidiens de 93% des Français, deviennent demain des communes.
« On ajouterait à ces 700 communes les quelque 200 autres communautés de communes non polarisées économiquement sur les villes, sur la base des communautés de communes actuelles, complète l’étude. Avec cette concordance entre espaces de vie et espaces électoraux, la France serait organisée en environ 900 territoires locaux, de taille variable. »
De 34 900 communes, ainsi que de 1 255 établissements de coopération intercommunale (communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines et métropoles) et 8 777 syndicats, la France compterait alors moins d’un millier de communes.
De 151 à 10 communes en Vaucluse
En appliquant ces critères au Vaucluse, notre département ne compterait potentiellement qu’une dizaine de communes (voir tableau ci-dessous). Ainsi, en calquant ce découpage aux aires d’attraction locales c’est Avignon qui constituerait le principal nouvel ensemble en Vaucluse. La cité des papes regrouperait 48 communes dont plus de la moitié hors du département (19 dans le Gard et 10 dans les Bouches-du-Rhône). De quoi résoudre enfin les problématiques parfois ubuesques de ce bassin de vie à cheval sur 2 régions, 3 départements et 2 zones scolaires ?
Avec respectivement 21 et 18 communes, c’est Carpentras et Apt qui regrouperait ensuite le plus grands nombre villes et villages dans le Vaucluse. Vaison-la-Romaine (14 communes), Valréas (12) et Orange (10) constituerait également des ensembles imposants. A l’inverse, Cavaillon (6 communes) l’Isle-sur-la-Sorgue (4) et Bollène (2) s’élargiraient sur des périmètres moins larges.
Une 10e super-commune vauclusienne autour de Sault ?
Selon l’Insee, toutes les communes vauclusiennes ne sont pas forcément rattachées à une aire d’attraction. Elles se situent principalement autour des Dentelles de Montmirail (10 communes de Sainte-Cécile-les-Vignes à La Roque-d’Alric), autour de Coustellet (9 communes de Gordes jusqu’à la Durance) ainsi que quelques-unes disséminées dans le Luberon (Buoux, Lourmarin, Cucuron, Sannes, Grambois, Peypin-d’Aigues, Vitrolles-en-Luberon et La Bastide-des-Jourdans) qui pourraient intégrer à leur convenance tel ou tel nouvel ensemble.
A cela s’ajoutent, les communes ‘non-affectées’ localisées au pied du versant Nord du Ventoux et du plateau de Sault (11 communes en Vaucluse mais aussi une douzaine dans les Alpes-de-Haute-Provence et bien encore davantage dans le Sud-Est de la Drôme). De quoi justifier peut-être la création d’une 10esuper-commune vauclusienne autour de Sault ?
Par ailleurs, il ne faut pas non plus oublier les 12 communes vauclusiennes du Sud Luberon, à commencer par Pertuis, qui font partie des 115 communes de l’aire d’attraction de Marseille-Aix.
Outre le ‘Mega Marseille’, d’autres ensembles imposants verraient aussi le jour chez nos voisins. A commencer par Montpellier (regroupement de 161 communes), Nîmes (92), Valence (71), Alès (64) et Montélimar (45). Dans une moindre mesure, Bagnols-sur-Cèze (30), Manosque (30), Sisteron (21), Uzès (18), Nyons (17) et Pierrelatte (17) s’étendraient sur des territoires cohérents de bonne taille également. Cela serait moins le cas avec Forcalquier (7), Salon-de-Provence (6), Pont-Saint-Esprit (5), Beaucaire (5), Arles (4) et Saint-Rémy-de-Provence (2).
Première tentative de dépoussiérage avec la réforme des collectivités territoriales de 2010
Dans tous les cas, cette dynamique de regroupement afin de lutter contre l’éparpillement décisionnaire n’est pas sans rappeler les grandes manœuvres qui, en 2011 et 2012, avaient précédé le schéma départemental de coopération intercommunale de Vaucluse. Ce schéma avait alors pour objet de rationaliser la carte de l’intercommunalité conformément aux orientations de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. A cette époque, différents scénarii avaient été imaginés par les services de l’Etat ainsi que la Commission départementale de coopération intercommunale (CDCI). Plusieurs hypothèses de périmètre avaient ainsi alors émergé : des plus frileuses aux plus audacieuses. Certes, il ne s’agissait que des frontières intercommunales plutôt que la création de très grandes communes comme le propose le rapport de l’institut Terram mais certaines propositions ébauchaient déjà les grandes lignes des aires d’attraction vauclusiennes actuelles. Finalement, malgré la volonté de faire bouger les lignes de François Burdeyron, le préfet de vaucluse d’alors, l’Etat avait finalement opté pour un redécoupage à minima des limites intercommunales. Tout changer pour que rien ne change.
Mieux faire du logement, de la mobilité ou de l’aménagement
Pourtant, ce changement d’échelle ne serait pas sans conséquence sur les décisions politiques du quotidien. En effet, pour Jean Coldefy et Jacques Lévy, la proposition de réforme territoriale du rapport de l’Institut Terram permettrait aux collectivités d’être en mesure de répondre aux grands défis de demain : la réduction des émissions de CO2, l’augmentation de l’offre de logement ainsi qu’une bonne gestion des conséquences de la loi Zan (Zéro artificialisation nette).
La diminution du CO2 passerait notamment par un développement des transports en commun avec un financement à construire impliquant l’État, les Régions et les agglomérations. Le tout « en intégrant non seulement les grands pôles urbains mais toutes leurs périphéries, avec une seule autorité pilotant les transports urbains et périurbains afin de faciliter les solutions de mobilités ».
Pour l’occupation des sols, « avec l’objectif du ZAN visant à limiter l’occupation des sols qui suscite des questionnements de la part des maires face à une politique qualifiée d’étatiste et d’indifférenciée alors que la situation des territoires est diverse », il faut favoriser « l’équilibre requis par la transition écologique sur les consommations d’espace à une échelle bien plus vaste qu’actuellement ». Une échelle « cohérente avec les besoins de nature qu’expriment les Français, mais aussi de logement et de développement économique ».
Enfin, toujours au niveau du logement il faut impulser « une augmentation de l’offre, alors que nous vivons une crise aiguë dans les grandes villes et leur périurbain qui met les maires en première ligne, lesquels appellent l’État à la rescousse ». Dans ce cadre, il semble impératif de « sortir du malthusianisme actuel qui génère la non-mixité sociale et la crise de l’offre de logement ».
Les communes actuelles deviendraient des arrondissements
« Cette échelle bien plus vaste comporte des avantages évidents de cohérence, d’efficacité, de solidarité et de lisibilité, estime le rapport. Certes, elle comporte également des risques, comme le gigantisme ou la bureaucratie, et pour éviter ce travers il faut distinguer le lieu de définition des politiques, qui à l’évidence doit être celui de l’aire urbaine, de celui de leur mise en œuvre, qui, si la taille de l’aire est importante, devrait être décentralisé. À cette échelle de pilotage des grands enjeux territoriaux et sociaux, il est indispensable d’adjoindre un échelon de proximité, qui devrait être assuré par les communes actuelles qui deviendraient des arrondissements, avec des budgets de proximité dédiés pour gérer des projets d’intérêts purement locaux. »
Davantage de démocratie directe pour donner plus de puissance aux maires
« Le système électoral de ce nouveau gouvernement des villes remplacerait le dispositif actuel des élections municipales fragmentées et s’appuierait sur le suffrage universel direct, permettant l’élection légitime d’un maire pour la nouvelle collectivité locale à l’échelle de l’aire urbaine, poursuit l’ambitieux document de prospective. Les circonscriptions électorales seraient calées sur les périmètres des communautés de communes actuelles et des grandes communes des pôles urbains, permettant ainsi d’assurer des circonscriptions comparables en nombre d’habitants. Ceci assurerait à la fois la proximité avec les élus et une représentation plus juste démocratiquement puisque proportionnelle au poids démographique et non en fonction du nombre de communes. »
« Demain, le maire sera plus puissant parce qu’il sera à la bonne échelle, celle du bassin de vie, et non plus inséré dans une multitude d’autorités agissant à des échelles trop réduites. La transformation proposée se fera par des évolutions progressives, éclairées par des instances indépendantes et par des incitations de l’État. Déjà, certains territoires en France ont compris l’enjeu et avancent, tels Le Havre, Cherbourg ou Reims, qui ont fusionné les communautés d’agglomération et de communes pour se mettre à l’échelle de l’aire urbaine. Il faut suivre la voie de ces pionniers et leur donner les moyens d’amplifier encore le chemin qu’ils tracent », préconise le rapport l’Institut Terram. Une véritable révolution dans un pays si conservateur en matière de découpage administratif.