Réduire le débat politique local à l’échelle communale distend le lien entre les citoyens et les décideurs

Jean Coldefy, spécialiste des mobilités, est ingénieur de l’École centrale de Lille. Il préside le conseil scientifique de France Mobilités. Il publie avec le chercheur en sciences sociales Jacques Lévy une étude pour l’Institut Terram intitulé : « Réforme territoriale : pour une démocratie locale
à l’échelle des bassins de vie ».

Quel bilan dressez-vous de l’organisation territoriale actuelle ?

Jean Coldefy : Aujourd’hui, l’organisation territoriale est localement construite sur une maille communale qui n’est pas cohérente avec le bassin de vie des citoyens. Il existe un écart entre les territoires de vie et les territoires politiques. Pour y remédier, les intercommunalités ont été instituées car les communes ne sont pas à l’échelle pour gérer les questions de mobilité, d’eau, d’économie ou encore de déchet. Puis, comme les intercommunalités ne recoupaient pas entièrement les aires urbaines des groupements de groupement se sont ajoutés.

Ces structures ne sont jamais élues au suffrage universel direct. Les enjeux essentiels tels que l’organisation des sols, les politiques de logement et de mobilité, ne sont jamais discutées lors des campagnes électorales. La réduction du débat politique local à l’échelon communale conduit à une distension du lien entre les citoyens et les décideurs publics.

Tout est fait comme si l’urbanisation et la périurbanisation de ces dernières décennies n’avaient pas eu lieu. Pourtant, selon l’INSEE, 93 % de la population est polarisée sur une ville mais 50 % n’habite pas en agglomération.

Vous proposez une nouveau paradigme de la gouvernance locale. De quoi s’agit-il ?

J.C : Il repose sur trois principes. D’abord, instaurer une cohérence entre territoires de vie et de décisions politiques. Cela suppose de changer d’échelle en basculant de 45000 structures communales à 900. Ensuite, il est essentiel de poser un principe de responsabilité et d’autonomie financière des gouvernances locales. Enfin, il faut affirmer un principe de solidarité entre citoyens et territoires. Nos actions ont des conséquences sur celles de nos voisins. Plus l’échelle de décision est petite, moins cela est possible. La crise actuelle du logement l’illustre avec force. La pénurie d’offres vient du fait que les riverains ont un poids trop fort dans les décisions publiques. Les maires bâtisseurs sont d’ailleurs rarement réélus.

Vous proposez une réduction drastique du nombre de communes et d’intercommunalités. Comment cela est-il possible ?

J.C : Cette nouvelle gouvernance locale conduit à calquer les communes sur les 700 aires d’attraction des villes. Pour les 200 restantes, il s’agirait de garder les communautés de communes existantes. Les 8 900 syndicats de communes sont souvent oubliés et doivent bénéficier de cette remise à plat. Il existe en réalité 45 000structures intercommunales sur le territoire. Il s’agit de ramener ce chiffre à 900, avec un maire qui soit celui de l’aire urbaine. Nous sommes le dernier pays à ne pas avoir fait cela en Europe. Il n’y a pas de raison que des communes très peu peuplées continuent de peser si lourd politiquement.

Comment y parvenir ?

J.C : Il faut d’abord observer les territoires qui se sont engagés dans ce mouvement comme Reims, Le Havre, Cherbourg, Caen. Ici, la communauté d’agglomération a fusionné avec les communautés de communes environnantes. Reste que le suffrage universel direct ne permet pas encore de régir ces territoires. Ces solutions peuvent fairepeur de par leur gigantisme. Nous sommes d’accord avec cela. Néanmoins, la construction des stratégies en matière de logement, de mobilité et occupation des sols se fait à l’échelle de l’aire urbaine. Et la multitude des syndicats mixte créés l’illustre bien.

Laissons à chacun une autonomie suffisante avec un principe : la stratégie s’organise au niveau de l’aire urbaine et la mise en œuvre peut être territorialisée. L’instauration de budgets de proximité peut garantir le maintien d’un lien avec des projets spécifiques locaux qui pourraient être mis en œuvre par les communes actuelles, garantes de cette proximité.

Nous proposons que le président de l’aire urbaine devienne maire élu au suffrage universel direct sur la base de circonscription électorale des actuelles communautés de communes. Nous proposons aussi l’instauration d’un haut conseil des territoires qui puisse définir un référentiel, charge aux territoires de s’organiser à partir de ce dernier. Il n’y aura néanmoins pas de big-bang. Il faut s’appuyer sur les territoires pionniers qui ont bien compris ces problèmes.