Nicolas Portier : « Les TPE ont tout à gagner de la décentralisation des responsabilités économiques »

Think tank consacré aux territoires récemment créé, l’Institut Terram publie cette semaine un nouveau rapport, écrit par Nicolas Portier, enseignant au sein de l’École urbaine de Sciences Po. Dédiée aux TPE (très petites entreprises), en plein essor depuis une vingtaine d’années, l’étude met en lumière leur rôle décisif dans le développement local et le renouvellement des « tissus économiques ».

Think tank consacré aux territoires récemment créé, l’Institut Terram publie cette semaine un nouveau rapport intitulé « Très petites entreprises : une force économique pour le développement des territoires » écrit par Nicolas Portier, enseignant au sein de l’École urbaine de Sciences Po.

Alors que la France connaît depuis vingt ans un essor fulgurant de la création d’entreprises, sous l’effet du développement d’une culture entrepreneuriale, l’étude met en lumière le rôle décisif des TPE dans le développement local et le renouvellement des « tissus économiques ».

Très étroitement connectées à l’économie de proximité, ces très petites entreprises (qui ne dépassent pas les 10 salariés) se sentent encore éloignées des lieux de décision nationaux, et marginalisées par un fonctionnement capitaliste marqué par la centralisation. Selon Nicolas Portier, elles auraient tout à gagner d’une décentralisation des responsabilités économiques et d’un soutien des actions collectives portées par des acteurs économiques.

Marianne : Qu’est-ce qu’une TPE – terme que vous préférez à celui de « microentreprise » – ses avantages et ses points faibles ? Quelle différence faites-vous avec les « start-up » ?

Nicolas Portier : Une très petite entreprise (TPE), dans le sens que lui donnent certaines administrations comme l’Urssaf, est une entreprise qui comprend de un à dix salariés. C’est une structure employeuse. Cette dénomination de TPE correspond mieux, me semble-t-il, à la réalité entrepreneuriale au sens commun.

La notion statistique de microentreprise, utilisée par l’Insee depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008, est devenue un peu fourre-tout. Elle mêle de véritables entreprises avec les statuts d’autoentrepreneurs qui correspondent à du travail indépendant et incluent des formes de travail très fragmentées, voire précaires. En privilégiant les TPE, notre étude reste centrée sur le monde du travail salarié et laisse de côté les formes d’activités économiques les plus ubérisées. Les TPE sont définies statistiquement par leur taille.

Elles recouvrent de très nombreux secteurs d’activité, peuvent être jeunes comme très anciennes. Elles ne se limitent pas aux seules « start-up », dont la définition est plus flottante, et qui est souvent utilisée pour caractériser des jeunes sociétés actives dans le secteur des nouvelles technologies. Les TPE sont souvent valorisées pour leur agilité, leur taille humaine, la proximité entre dirigeants et salariés. Leurs points faibles sont leurs capacités d’investissement limitées, leurs difficultés à recruter et à fidéliser certains types de compétences. Leur trésorerie est souvent vulnérable.

En 2022, les TPE représentaient 82 % des entreprises pour seulement 18 % des salariés du secteur privé. Comment expliquer ce paradoxe ?

Ce n’est qu’un paradoxe apparent. Ce rapport d’environ 80/20 se retrouve d’ailleurs curieusement dans de nombreux domaines de la vie économique et sociale, comme l’a mis en exergue le principe de Pareto. Les petites structures sont en toute logique de loin les plus nombreuses. Pour autant, l’emploi continue de se concentrer au sein des plus grandes entreprises : 55 % des emplois salariés privés dépendent en France de seulement 0,15 % des entreprises.

Cette concentration s’est accentuée avec les importants mouvements de fusion et de rachats d’entreprises qui sont intervenus depuis un quart de siècle. En croissant, de nombreuses TPE franchissent le seuil des dix salariés et deviennent des PME [petites et moyennes entreprises]. D’autres sont rachetées par des groupes. Je parle d’effet de noria [terme qui désigne en temps normal le fait de remplacer un salarié plus âgé par un autre plus jeune] au sein du tissu productif.

Ont-elles, malgré leur petite taille, un rôle économique important ?

Elles ont en effet un rôle plus important que ce que ne laisse penser leur part relative dans le stock des emplois. Leur contribution à la création d’emplois est en fait beaucoup plus décisive lorsque l’on observe le tissu économique en mode dynamique.

Près d’un emploi sur deux, en solde net, est créé par les TPE. Ces créations d’emploi par les TPE sont assez bien réparties sur l’ensemble du territoire national, ce qui leur donne un rôle d’aménagement du territoire important. Elles se montrent en outre assez résilientes dans les périodes de crise et jouent un rôle amortisseur.

Qu’est-ce qui explique leur progression fulgurante ? Dans quels domaines sont-elles particulièrement importantes ?

La progression des microentreprises a été en effet fulgurante mais sous l’effet des nouveaux statuts d’autoentrepreneurs. Si l’on regarde les seules TPE employeuses, ce que propose notre étude, la progression est plus mesurée, même si elle est réelle. Elles sont au cœur de ce que l’on appelle l’économie « résidentielle », centrée sur les activités de proximité comme les services à la personne, l’artisanat, le commerce, le bâtiment, la restauration…

Le progrès des TPE est en partie lié à cet essor de l’économie résidentielle qui prend une part croissante dans les consommations collectives et la circulation des revenus. L’économie « localo-centrée », constituée de clientèles de proximité, est assez favorable à l’éclosion de TPE. Les barrières à l’entrée sont moins élevées pour les nouvelles entreprises et les acteurs de petite taille. Dans les secteurs qui nécessitent de lourds investissements, de la recherche-développement coûteuse, des rendements d’échelle élevés, les TPE jouent un rôle plus marginal.

Vous évoquez un nouveau climat entrepreneurial favorable aux TPE. En quoi consiste-t-il ?

Depuis vingt ans, beaucoup a été fait pour créer en France un environnement favorable à la création d’entreprises et à l’entrepreneuriat. Au-delà des simplifications administratives et des mesures fiscales, la culture entrepreneuriale s’est diffusée dans les universités et les grandes écoles. Les collectivités et les associations ont multiplié les dispositifs de soutien en direction des créateurs. Des réseaux d’accompagnement proposent, partout en France, des actions de parrainage par des dirigeants expérimentés, des prêts d’honneur ou des apports en capital.

La création d’entreprise s’est sociologiquement diversifiée. Elle concerne désormais beaucoup de femmes, de jeunes, de personnes issues de l’immigration, d’anciens salariés décidant de se mettre à leur compte. L’entrepreneuriat est également stimulé par la multiplication des clubs et réseaux d’entreprises dans toutes nos régions. Ces lieux de sociabilité apportent des formes d’entraide, des opportunités d’affaires, de l’information économique… qui permettent de réduire la solitude du dirigeant d’entreprise et les coûts de transaction.

Vous montrez, néanmoins, que ces TPE se sentent mal considérées via les systèmes de représentation du monde économique. Pourquoi ?

Les TPE ont longtemps eu des difficultés à disposer d’un porte-parole unifié au niveau national. La CGPME, devenue CPME, représente une strate d’entreprises de plus grande taille. Les TPE étaient assez éclatées entre différentes fédérations sectorielles. La création en 2016 de l’U2P, l’Union des entreprises de proximité, à partir du rapprochement des fédérations d’artisans et de professions libérales, a commencé à changer la donne.

Les nouvelles règles fixées pour établir la représentativité des organisations patronales ont également marqué une étape. Pour autant, les TPE se sentent encore très éloignées des lieux de décision nationaux. C’est au niveau local, avec les collectivités territoriales, que les TPE doivent construire leurs relations avec les autorités publiques. Elles ont tout à gagner de la décentralisation des responsabilités économiques.

Quel est le rôle des TPE dans l’économie locale ? Dans quelles aires géographiques et types d’espaces se concentrent-elles ?

L’intérêt des TPE est justement de présenter une distribution géographique ubiquitaire. Elles sont très prédominantes en nombre dans la plupart des territoires. Lorsque l’on observe leur poids dans l’emploi local, elles jouent un rôle de premier plan dans les espaces ruraux et les petites villes où elles peuvent représenter un salarié sur deux. Leur contribution à l’emploi est plus modeste dans les plus grandes agglomérations. On constate également une coupure nord-sud. Le poids des TPE dans l’emploi est plus élevé dans les régions méridionales, marquées par une forte dynamique de l’économie résidentielle.

Vous appelez de vos vœux une politique de soutien à l’égard de ces petites entreprises. En quoi consisterait-elle ?

Le tissu des TPE est déjà dense mais il peut l’être plus encore, tant en nombre d’entreprises que d’emplois induits. Il faut les aider à élever leurs valeurs ajoutées et leur attractivité, notamment salariale. Les TPE bénéficient déjà de dispositions réglementaires et fiscales favorables mais de nouvelles simplifications sont possibles, notamment pour leur faciliter l’accès à la commande publique et le référencement auprès de grands comptes. Il faut surtout continuer à mettre l’accent sur le respect des délais de paiement, car le talon d’Achille des TPE, c’est souvent leur trésorerie.