C’est un sujet trop peu étudié qui fait l’objet de cette étude de l’Institut Terram, spécialisé dans l’étude des territoires : avec l’Ifop, Terram a interrogé 2 000 jeunes de 15 à 29 ans habitant des communes rurales sur le sujet de la mobilité, et comparé leurs réponses avec celles d’un échantillon de jeunes urbains. Avec un résultat totalement contre-intuitif : alors qu’il est souvent d’usage de penser que les habitants des villes « passent leur vie dans les transports » , ce sont en fait les jeunes ruraux qui y passent le plus de temps. Les jeunes issus de communes très peu denses « passent en moyenne 2 h 37 dans les transports chaque jour » , contre 1 h 55 pour les jeunes urbains – soit trois quarts d’heure de plus.
Sans surprise, en revanche, les jeunes ruraux s’estiment majoritairement « mal desservis » par les transports en commun : 53 % le pensent, contre seulement 14 % chez les jeunes urbains. D’où une très forte dépendance à la voiture (69 % des jeunes ruraux disent dépendre de la voiture quotidiennement). Cette donnée est à rapprocher d’une estimation établie par une entreprise de permis de conduire en ligne, il y a quelques années, selon laquelle seulement 45 % des jeunes urbains passent leur permis de conduire entre 18 et 24 ans, contre 77 % des ruraux. Dans les communes rurales, avoir une voiture est souvent une absolue nécessité pour décrocher un contrat de travail, aller en cours, faire les courses, aller voir un médecin… Selon l’étude de Terram, 67 % des ruraux entre 25 et 29 % « se disent en risque de perdre leur emploi » s’ils ne peuvent plus, pour une raison ou une autre, utiliser leur voiture.
Cette question du « poids des kilomètres » , pour reprendre l’expression parlante de Terram, joue sur de nombreux terrains, comme l’emploi ou la formation, et génère des inégalités importantes entre ville et campagne. Alors que seuls 19 % des jeunes urbains en recherche d’emploi « disent avoir renoncé à passer un entretien d’embauche en raison de difficultés de déplacement » , ce chiffre monte à 38 % chez les jeunes ruraux.
La mobilité joue également fortement sur la question de la formation : 70 % des formations post-bac se situant « dans les grandes métropoles » , la distance – et le coût des déplacements – pousse de nombreux jeunes ruraux à y renoncer. L’étude établit que le budget mensuel pour les transports est presque deux fois plus important pour les jeunes ruraux (528 euros) que pour les urbains (307 euros).
Ces fractures ont un impact majeur y compris sur les aspirations des jeunes habitants des communes rurales, « qui se retrouvent trop souvent à penser leur avenir en fonction de leurs moyens » , expliquent les auteurs de l’étude. Alors que 63 % des jeunes ruraux « disent souhaiter vivre leur vie d’adulte en milieu rural, (…) les jeunes urbains se sentent beaucoup plus libres d’aller chercher la formation, puis l’emploi, là où (ceux-ci) se trouvent ».
L’étude établit pour finir une corrélation entre l’isolement géographique et le vote pour l’extrême droite : en 2022, 39,6 % des jeunes ruraux ont voté Marine Le Pen contre 18,1 % des jeunes urbains. « Plus le temps passé en voiture est long, plus le vote pour la candidate RN croît » , constatent les auteurs de l’étude, allant de 34 % pour les jeunes ruraux qui passent moins de 30 minutes par jour en voiture à 49 % pour ceux qui y passent « plus de deux heures ». « L’isolement géographique » joue également fortement sur ce vote : 36 % des jeunes habitants des petites villes ont voté RN en 2022, 41 % des jeunes habitants des villages et 46 % des jeunes habitants des hameaux.
Les auteurs de l’étude concluent que « la question de la mobilité détermine toutes les autres, avec des jeunes ruraux qui demeurent assignés à résidence, faute de dispositifs leur permettant de franchir les barrières matérielles et symboliques qui trop souvent limitent leur potentiel ».
Ces conclusions rejoignent celles tirées par le Secours catholique dans une étude récente sur la mobilité dans les territoires ruraux, qui pointait le manque de transports collectifs dans les territoires ruraux comme « une cause d’enclavement et de précarisation » . Elles signent, pour l’instant du moins, l’échec de la loi d’orientation des mobilités de 2019, qui se donnait notamment pour objectif de mettre fin à « l’assignation à résidence » des habitants des communes rurales et la suppression des « zones blanches de la mobilité » . Tout n’est pas perdu mais, comme l’écrivent les auteurs de l’étude Terram, « il est urgent d’agir ».