La Tribune
Les territoires doivent être l’une des réponses à l’affaissement de l’édifice représentatif. La rupture entre l’expérience de vie du citoyen et ses représentants se manifeste à deux niveaux : dans les urnes, avec l’explosion du vote protestataire et des taux records d’abstention, et dans la rue, avec la radicalisation des mouvements contestataires. Ces soulèvements protéiformes prennent souvent racine dans des petites et moyennes villes, là où les habitants se sentent, à tort ou à raison, les plus délaissés, avant de gagner le reste du pays. Des Bonnets rouges aux Gilets jaunes, en passant par la colère des agriculteurs, tous appellent à une plus grande « proximité ».
Avons-nous pris la juste mesure des bouleversements en cours ? Le regain d’intérêt pour les territoires dans le discours public marque un progrès notable. Cependant, on a encore trop souvent tendance à vouloir leur appliquer des concepts globalisants qui tendent à uniformiser des réalités hétérogènes et participent à la propagation d’une représentation décliniste des territoires, tant chez les décideurs politiques que chez les citoyens.
La singularité du moment invite à changer d’approche et à conjuguer l’unité du pays avec la diversité de ses composantes et sa complexité géographique, constitutives de notre identité historique. C’est dans cet esprit que nous, chercheurs, experts, représentants d’entreprises, fonctionnaires et acteurs de la société civile, lançons l’Institut Terram. Nous portons la conviction que la dimension territoriale est indispensable pour rendre compte de l’enchevêtrement complexe des forces économiques, sociales et culturelles à l’œuvre. En publiant des travaux variés et à caractère scientifique, tels que des monographies, des études de cas, des atlas ou des enquêtes d’opinion, notre ambition est d’analyser au plus près ce qui taraude la société, en particulier la quête de sens et d’ancrage des individus, dont certains se sentent submergés par les courants de la mondialisation.
Nous proposons d’abord d’engager une réflexion sur le récit commun. On exacerbe fréquemment les oppositions, entre « France périurbaine » et « France métropolitaine » ou encore entre « ruraux » et « urbains ». Sans nier les différences, il faut reconnaître que la France se construit sur une multitude de réalités socio-spatiales plus complexes. D’où la nécessité d’imaginer et d’explorer de nouvelles narrations mettant en lumière le continuum des interactions humaines qui se tissent entre villes et campagnes. Le retour en grâce des politiques d’industrialisation témoigne de cette capacité à raccrocher chaque lieu de vie au grand récit de la cohésion nationale : de fait, les trois quarts des emplois industriels français sont situés en dehors des métropoles, tout particulièrement ceux qui résultent d’investissements étrangers récents.
Nous aspirons ensuite à participer au débat relatif aux processus de délibération. Il faut placer l’habitant, qui n’est pas qu’un résident, au centre du dispositif et faire de l’habitant-citoyen un artisan essentiel des transformations des territoires. Ces dernières années, la prolifération d’instances participatives, conçues et promues sous l’influence du pouvoir exécutif, a joué un rôle inédit et prometteur mais n’a pas suffi à endiguer la crise de défiance. Pour réussir, ces projets doivent davantage prendre en considération les usages et les besoins locaux. Personne ne doit être exclu lorsque des décisions affectant le quotidien sont en jeu, que l’on réside au centre-ville, en banlieue, en zones périurbaine ou plus loin des villes. Dans un contexte d’urgence écologique, la viabilité des territoires passe par la réalisation de l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050. Cet enjeu doit mobiliser l’ensemble des acteurs territoriaux, publics comme privés.
Enfin, nous souhaitons contribuer à l’amélioration du fonctionnement de notre modèle de gouvernance. Les discussions actuelles autour d’une prochaine réforme territoriale se concentrent sur le « millefeuille administratif ». La superposition d’échelons – communes, départements, régions, etc. – rend difficile l’action coordonnée et unifiée de la myriade d’institutions impliquées, chacune revendiquant sa propre légitimité, ses compétences et ses ressources. Au-delà, nous pensons que le problème réside avant tout dans le maintien d’une organisation locale floue et déstructurée. En raison de leur petite taille, nombre de nos villes paraissent inaptes à relever les défis contemporains, notamment en matière d’aménagement, de mobilité et de logement. Alors qu’en 1900 on parcourait en moyenne quatre kilomètres par jour – la taille moyenne des communes –, nous en faisons dix fois plus aujourd’hui. Il est donc essentiel d’adopter un nouveau modèle de gouvernance locale, plus adapté aux conditions de vie actuelles des Français, en tenant compte des multiples lieux de résidence, de travail, de loisir, qui constituent à eux tous leur habitat quotidien. Cela implique de réaligner les frontières électorales territoriales sur les bassins de vie, tout en garantissant une proximité réelle entre les élus et les citoyens.