Pour lui, si l’on veut comprendre la décision du chef de l’État, il faut prendre la mesure de l’échec personnel que représente cette défaite électorale. « Deux fondamentaux du macronisme ont été balayés d’un revers de main : la vision pro-européenne et la volonté de faire barrage à l’extrême-droite. Rappelons-nous du discours du Louvre de 2017, où Emmanuel Macron avait annoncé qu’il ferait tout pour que les électeurs du RN n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes ».
Les instituts de sondage ne se sont pas trompés sur l’ampleur de la claque électorale infligée dimanche, mais « dans les autres pays de l’UE, la vague populiste d’extrême droite a été plus limitée qu’annoncée. Globalement, c’est la droite conservatrice qui sort vainqueur, et la France se distingue à ce niveau-là, avec un électorat de droite éparpillé entre le centre-droit et surtout le RN », relève Victor Delage. S’agissant de la sociologie électorale, l’un des faits marquants pour le politologue est que « certains plafonds de verre du vote ont été brisés, avec des résultats significatifs pour le RN chez les retraités et les cadres supérieurs. Ces derniers bastions de la Macronie se sont effondrés dimanche ».
Victor Delage en vient à considérer qu’Emmanuel Macron n’avait pas tant d’options : « Il lui reste encore plusieurs années à gouverner. Et avec une majorité relative à l’Assemblée nationale et une droite radicale autant plébiscitée, soit vous subissez, soit vous tentez d’inverser la tendance ». « Trois ans, ça peut être très long, poursuit le politologue. Souvenons-nous des difficultés rencontrées par François Hollande pour gouverner à la fin de son quinquennat, avec une cote de popularité au plus bas ». Le « coup politique » de dimanche soir s’inscrit-il dans une succession de « coups de com’ » ? Le fondateur de l’institut Terram y voit l’épuisement d’un système : « En envoyant Gabriel Attal débattre avec la tête de liste du RN, l’Élysée était convaincu que Jordan Bardella avait beaucoup à perdre. On a bien vu le Premier ministre plutôt dominer son adversaire et pourtant, la semaine suivante, le RN creusait encore l’écart dans les sondages… Cette mécanique du parti présidentiel est trop enrayée et déjà vue ».
C’est le signe de « la fin du privilège de compétence des partis traditionnels au profit du RN ». Le fait que les Français semblent prêts à le voir accéder au pouvoir s’explique par un facteur majeur : « La question que les citoyens se posent est de savoir si l’accession du Rassemblement national représenterait un danger pour leur vie quotidienne, leur niveau de vie, analyse Victor Delage. Depuis que le parti a renoncé à la sortie de l’euro, les Français craignent par exemple moins pour leur patrimoine ». Si elle peut donner l’impression d’une « fuite en avant » d’un chef de l’exécutif perdant la main, la dissolution surprise peut procurer à celui-ci quelques bénéfices à court terme tels que masquer son échec électoral et passer du -Tous contre Macron- à -Tous contre le RN-.
Même si on le sait, la recette du front républicain fait moins de miracles qu’avant », observe Victor Delage. Moins « subir », c’est aussi « imposer un calendrier ». « Après les législatives en 2022, d’Emmanuel Macron a cherché à mettre en place une coalition avec des LR, en position de force malgré peu d’élus. La majorité présidentielle n’avait pas les cartes en main ». Cette fois-ci, la droite républicaine va devoir se positionner clairement avant le scrutin. Le politologue voit de la même manière la gauche être prise de court : « Il ne faut pas compter sur un élan similaire à celui de la Nupes en 2022. Il y aura moins l’effet nouveauté et certainement moins de naïveté de la part des électeurs de gauche, puisque la radicalité de LFI a très vite conduit à l’explosion de la coalition de gauche ».
Pour Victor Delage, cette manœuvre politique reste extrêmement risquée : « Selon un premier sondage Harris Interactive, à prendre avec des pincettes car il n’y a pas encore eu de campagne, le Rassemblement national obtiendrait entre 235 à 265 sièges, contre 89 actuellement à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas une majorité absolue, mais il fait peu de doutes que le paysage politique français deviendrait un champ de ruine ».