« Nous proposons que les 700 bassins de vie quotidiens des Français, les aires d’attraction des villes qui regroupent 93 % de la population, soient demain les communes. On ajouterait à ces 700 communes les quelque 200 autres communautés de communes non polarisées économiquement sur les villes, sur la base des communautés de communes actuelles. Avec cette concordance entre espaces de vie et espaces électoraux, la France serait organisée en environ 900 territoires locaux, de taille variable » plaident le géographe Jacques Lévy et le spécialiste des transports Jean Coldefy dans un rapport pour le nouvel institut Terram intitulé « Réforme territoriale : pour une démocratie locale à l’échelle des bassins de vie » et publié le 11 avril.
Un changement radical d’échelle au regard des 34 935 communes et 1 254 intercommunalités recensées au 1er janvier 2023. Pour Jacques Lévy et Jean Coldefy, les municipalités n’ont plus lieu d’être dans la France du XXIème d’être. « Alors qu’au début du XXe siècle on parcourait en moyenne quatre kilomètres par jour, nous en réalisons aujourd’hui quarante quotidiennement », martèlent-ils.
Quant aux intercommunalités, elles sont, selon les auteurs de l’Institut Terram « de taille trop restreinte pour gérer l’aménagement, la mobilité, l’eau, les déchets et l’économie ». Elles ont simplement vocation à servir de circonscriptions électorales aux 900 communes du 21ème siècle.
Une révolution copernicienne qui s’appuie sur l’expérience, à la fin des années 2010, de regroupements massifs d’intercommunalités à Cherbourg et Reims.
Jacques Lévy et Jean Coldefy veulent, de cette manière, sortir des logiques où « chaque maire était soucieux de conforter sa clientèle électorale ». « Au cours de l’essentiel de la période 1945-2000, correspondant à la mise en place progressive de la distribution actuelle des habitants, l’immense majorité des quartiers pauvres, ghettoïsés et dangereux (les quartiers prioritaires de la politique de la ville, QPV) des grandes villes ont élu des maires communistes ou socialistes (la « ceinture rouge » de Paris, par exemple). Inversement, les 1 100 communes qui n’ont pas respecté la règle établie par la loi SRU (2000) instituant un minimum de 20 % ou 25 % de logements sociaux ont presque toutes élu des maires orientés à droite » taclent Jacques Lévy et Jean Coldefy.
« C’est donc un discret mais puissant échange de population auquel se sont livrés les maires qui, détruisant systématiquement les conditions d’une diversité des groupes sociaux dans leur commune encore très présente en 1945 et changeant la composition de leur propre « peuple », ont violé la valeur cardinale de la mission d’une démocratie municipale, à savoir permettre une cohabitation réussie de l’ensemble des habitants, dans toute leur diversité », fustigent Jacques Lévy et Jean Coldefy.
Une pierre dans le jardin d’Eric Woerth
Les auteurs du rapport pointent aussi du doigt le poids des agriculteurs parmi les maires (17,5 %) au regard de leur faible proportion dans la population (1,5 %). « La possibilité de rendre constructible une grande partie des terres cultivées a permis de jolies plus-values financières : en moyenne, on passe de 0,60 euro le mètre carre agricole a 170 euros le mètre carre constructible. Depuis les années 1970, c’est un élément clé du processus incontrôlé de périurbanisation des campagnes », s’insurgent Jacques Lévy et Jean Coldefy.
De même, la « fragmentation communale » a été, selon eux, un puissant moteur de l’extension des réseaux de transports publics dans les nombreuses communes des premières couronnes. Un processus qui « a généré des coûts très élevés, avec des déficits publics par voyage multipliés par deux et demi en euros constants en trente ans : en 1995, un voyage en transport public nécessitait 0,70 euro de subvention publique, contre 1,90 euro en 2019. »
Il est donc plus que temps, selon Jacques Lévy et Jean Coldefy, de changer de braquet. Un propos qui résonne comme un appel à un big-bang territorial. Ce rapport est aussi une pierre dans le jardin d’Eric Woerth chargé par Emmanuel Macron d’une mission sur la réforme de la décentralisation.