La qualité de l’or bleu a un prix

Virus, bactéries, pesticides, polluants éternels… La dépollution de Peau est un enjeu crucial. Les solutions existent mais elles ont un coût. Des milliards d’euros d’investissement.

Les Français se soucient plus qu’auparavant de l’eau qu’ils boivent. En février 2025, une enquête d’opinion réalisée par Kantar pour le Centre d’information sur l’eau (CIEau) a montré que 80 % d’entre eux font confiance à la qualité de l’eau du robinet, soit le niveau le plus bas depuis dix ans. Et le pourcentage chute même à 72 % en Centre-Val de Loire, et à 67 % dans les Hauts-de-France… Dans le même sondage, une personne interrogée sur cinq considère que les normes sanitaires ne sont pas assez exigeantes, et un sur trois, que les contrôles sont insuffisants. « La confiance des Français dans l’eau potable a chuté de sept points en 2023 et atteint un niveau plancher depuis trente ans », analyse Nathalie Davoisne, directrice du CIEau. II est vrai que les données sont à première vue préoccupantes. Résidus de cosmétiques, de médicaments, de peinture, de plastique, de pesticides… En 2024, la Commission européenne a ainsi recensé 1300 micropolluants dans les eaux usées des villes.

Le passage obligé par les réglementations

En France, l’attention s’est récemment focalisée sur les contaminations massives aux PFAS, dits polluants éternels, ces milliers de molécules de synthèse contenues dans les produits de la vie courante (textiles, emballages alimentaires, maquillage, textile de rideaux…). Une loi votée le 20 février dernier les interdit à compter de 2026 dans les cosmétiques et l’habillement. Au nom du principe du pollueur-payeur, le texte instaure aussi une taxe sur les industries qui rejettent ces molécules suspectées d’avoir des effets cancérigènes et d’être des perturbateurs endocriniens ou du système immunitaire. De la même manière, une directive européenne de 2024 va contraindre, à partir de 2033, l’industrie pharmaceutique et des cosmétiques à financer 80 % des dépenses supplémentaires de dépollution des eaux infectées par les micropolluants dont ils sont responsables. La facture, estimée pour la France à 1,2 milliard d’euros, pourrait s’élever en réalité à plusieurs milliards. En avril 2023, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) avait, quant à elle, alerté sur la présence dans les eaux potables de taux inquiétants de pesticides et de métabolites de pesticides, c’est-à-dire de composés dégradés de fongicides, d’insecticides ou d’herbicides. Elle a aussi découvert des résidus d’explosifs et d’un solvant, le 1,4-dioxane, cancérigène possible pour l’homme, utilisé dans la fabrication de médicaments, de vêtements, de cosmétiques, de peintures, etc.

Au total, « la pollution des eaux superficielles et souterraines constitue une problématique environnementale majeure, affectant la qualité de l’eau potable », résumait le ministère de la Transition écologique dans son bilan environnemental 2024, publié le 20 janvier dernier. On y découvre, là encore, un chiffre alarmant : entre 1980 et 2024,14 300 captages d’eau potable ont été fermés en raison la plupart du temps de pollution aux nitrates et aux pesticides, mais aussi de la présence en excès d’agents pathogènes, d’arsenic, de sulfates ou de fluor. « La veille sanitaire porte avant tout sur la qualité microbiologique de l’eau que l’on boit et, de ce point de vue, nous avons en France des normes extrêmement exigeantes, tempère le Dr Philippe Beaulieu, expert de la qualité de l’eau et de la santé auprès du CIEau. Il faut savoir que depuis plusieurs années, dans les villes de plus de 50 000 habitants, ces normes sont respectées à l00%. » Certes, « les chiffres de conformité sont plus modestes pour les pesticides parce que la réglementation a été durcie, explique le médecin. On recherche de plus en plus de polluants, notamment les métabolites de pesticides, et les techniques de détection ont progressé, mais cela ne veut pas dire que la qualité de l’eau potable a baissé. Lorsque les limites de qualité sont dépassées, cela signifie qu’il faut réduire les composés et non qu’il y a un risque sanitaire. » Autre point important souligné par le Dr Beaulieu : « La confiance des consommateurs s’est érodée parce qu’ils ont entendu parler de pollution de l’eau aux pesticides. Or, il s’agit de prélèvements effectués avant le passage en station d’épuration et non de pollution de l’eau du robinet. »

Un système de contrôle efficace

Encore faut-il que ces pollutions soient détectées. Là encore, le Dr Beaulieu se veut rassurant : « Vous avez un double niveau de contrôle. Les agences régionales de santé (ARS) effectuent environ 18 millions d’analyses, auxquelles s’ajoutent les 10 millions de contrôles réalisés chaque année par les entreprises qui exploitent les réseau d’assainissement. L’eau est le produit alimentaire le plus sévèrement contrôlé. »

Problème : le dérèglement du climat réchauffe les eaux de surface, favorisant les agents pathogènes ainsi que la baisse du niveau des nappes, ce qui accroît mécaniquement le taux de concentration des polluants. « Si l’on a moins d’eau et que la pression des contaminants reste aussi forte, l’eau sera forcément plus chargée en éléments polluants », confirme Lionel Alletto, directeur de recherche à l’Institut national de recherche sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

Interrogés le 22 mars par l’Institut Terram à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, les Français, qui sont 72 % à estimer que sa qualité se dégrade, mettent en avant quatre solutions : la modernisation des stations de traitement, l’écoconception des produits pour limiter les pollutions, le développement d’une agriculture sans pesticides ni nitrates à proximité des captages et, enfin, la mise en place d’aides pour inciter les ménages à s’équiper en systèmes de filtration à domicile.

Sur le premier point, la facture risque d’être salée. Selon l’hydrologue Charlène Descollonges, elle pourrait s’élever à au moins 15 milliards d’euros pour remplacer les réseaux les plus vétustes, source de fuites importantes, et améliorer la dépollution des eaux usées afin de se conformer aux exigences européennes. « Nous sommes face à un mur d’investissements », confirme Nathalie Davoisne. Les prix vont donc augmenter. Déjà, entre 2010 et 2022, le prix moyen du mètre cube est passé de 3,67 à 4,52 euros, soit un bond de 23 % sur un budget annuel atteignant plus de 430 euros pour un foyer consommant 120 m3. Rien qu’en 2024, les prix ont bondi en moyenne de 5 % avec de fortes disparités d’un point à l’autre du territoire. À Brest, le mètre cube vaut au total (eau +assainissement) 4,54 euros, mais 3,61 euros à Bordeaux et 2,86 euros à Strasbourg.

Partout, la note va continuer de grimper. Les Français l’ont bien compris. Raréfaction de la ressource, inflation, dépollution, rénovation des canalisations… Dans le sondage Kantar pour le CIEau, huit citoyens sur dix anticipent un alourdissement de leur facture d’eau. Pour préserver la qualité de l’eau du robinet, une large majorité (63 %) se dit prête à mettre un peu plus la main au portefeuille.