Souvent accusées de raréfier la location longue durée, les plateformes de meublés touristiques ne sont peut-être que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Alors que 80 % des communes — soit 28 289 sur 34 875 — accueillent au moins une location Airbnb, l’étude de l’Institut Terram Tourisme 2.0 : anatomie de la France Airbnb, publiée le 29 octobre et fondée sur des données exhaustives inédites, démontre qu’en une décennie la plateforme californienne a bouleversé les pratiques, trouvé son public et sa place dans les territoires. Selon un sondage Ifop, un Français sur deux y a déjà eu recours, et un sur trois au cours des douze derniers mois.
Trop-plein de résidences secondaires
Selon l’étude Terram, bien avant Airbnb, c’est souvent la résidence secondaire qui a réduit l’offre de logements à l’année. Si les premières offres isolées dans des stations de ski, du littoral et de métropoles datent de 2013, ce n’est que six ans plus tard qu’Airbnb commence à se développer dans la quasi-totalité du territoire français, portée par l’attractivité de parcs naturels, de sites patrimoniaux, de stations balnéaires ou encore d’événements sportifs et culturels.
La diffusion s’est accélérée après la crise sanitaire. L’enquête révèle que la plateforme est aujourd’hui parfaitement intégrée dans l’économie événementielle locale, et ce, sur des périodes plus étendues, comme à Angoulême ou au Mans — au-delà du festival de la BD pour l’une et des 24 Heures automobiles pour l’autre. « Historiquement, ce sont les restaurateurs et les hôteliers qui tiraient l’essentiel de la manne », commente Jérôme Fourquet, co-auteur de l’étude et directeur de département à l’Ifop.
« Les locations Airbnb en ont pris une partie, ou ont fait grossir le gâteau. La priorité des Français étant le pouvoir d’achat, ce nouveau modèle a permis à une population de partir à des tarifs globalement plus abordables qu’une chambre d’hôtel ou qu’une location classique. » La plateforme a aussi inventé le court séjour, « devenu sport national, en permettant d’optimiser son budget », poursuit-il.
Perceptions différentes
Si les métropoles comme Paris (2 millions d’hab.) ou Marseille (Bouches-du-Rhône, 885 000 hab.) dénoncent l’invasion des plateformes — qui ont contribué à la hausse des prix de l’immobilier et à la raréfaction des locations à l’année — et si La Rochelle (Charente-Maritime, 82 000 hab.) ou Saint-Malo (Ille-et-Vilaine, 48 000 hab.) sont les figures de proue de cette bataille, toutes les collectivités ne partagent pas ce constat.
« À Paris, on n’a pas attendu Airbnb pour que le marché soit saturé, s’exclame Jérôme Fourquet. Entre le petit village du Périgord et le Vieux-Port, il y a deux mondes différents. » Il rappelle que les élus connaissent leurs territoires et que le tourisme représente aussi « une manne économique appréciable. Dans certaines communes, Airbnb reverse plus de 100 000 € de taxe de séjour. » Pour lui, la plateforme aide « à juguler le problème des volets fermés » dont se plaignent les collectivités comptant beaucoup de résidences secondaires.
Lacanau (Landes, 5 400 hab.) en dénombre 70 %, et il ne reste donc que 30 % de locations à l’année. « Airbnb est peut-être la goutte d’eau de trop, mais le problème initial est la résidence secondaire, raisonne le directeur de l’Ifop. Passé 1 200 m d’altitude, en montagne, on en compte 60 %. Dans la vallée de Chamonix, ce n’est pas la faute d’Airbnb si vous n’arrivez pas à vous loger. »
À Pau (Pyrénées-Atlantiques, 78 600 hab.), Sylvain Langer, directeur du tourisme, n’est pas convaincu « que le déploiement des meublés génère un problème de logement pour les habitants ». Un travail est en cours pour identifier une éventuelle tension sur le parc résidentiel et décider des mesures à adopter pour réguler le marché du tourisme.
L’enquête s’est également intéressée au tourisme vert, dopé par les plateformes : autour des zones viticoles, dans les campagnes dotées d’un patrimoine, ou encore dans les stations des Vosges — telles que Gérardmer ou La Bresse — qui connaissent « un fort succès dans un département peu touristique ». Dans les villages de 1 000 à 3 000 habitants, l’activité constitue « un complément économique majeur pour assurer la viabilité des commerces locaux qui, sans cet apport, n’arriveraient pas à vivre », assure Jérôme Fourquet.
L’étude révèle également que le succès de la plateforme tient à sa simplicité d’utilisation : « Il suffit de préparer son itinéraire, de choisir le prix, le style, l’emplacement — en cœur ou en sortie de ville, avec une belle vue ou un accès routier facile — pour trouver chaussure à son pied, explique Jérôme Fourquet. Ce qui est puissant, c’est la diversité de l’offre. »
Face aux territoires qui accueillent Airbnb à bras ouverts, d’autres encadrent sévèrement la location de courte durée. Le co-auteur estime qu’« une réglementation stricte peut modifier l’intensité de l’activité sur certaines zones, en limitant l’offre disponible. Dans les zones les plus tendues ou touristiques, cela aura un effet, mais il y aura toujours de la place dans beaucoup d’endroits pour le développement d’Airbnb. Il serait aberrant qu’il y ait en France une réglementation unique, car les pratiques ne sont pas les mêmes partout. »
Focus : « Les touristes font vivre les commerces »
Sylvain Dejean, maître de conférences en économie à l’université de La Rochelle :
« Les effets des plateformes touristiques dépendent des types de territoires. Dans ceux qui vivent du tourisme, Airbnb est une aubaine : plutôt que d’avoir des résidences secondaires souvent inoccupées, leur fréquentation augmente et les commerçants sont heureux d’avoir des volets ouverts. Dans les métropoles, en revanche, l’espace pris par le tourisme est celui qui n’est pas loué à la population, aux étudiants. Enfin, dans les territoires faiblement touristiques, parfois isolés, avec peu d’hôtellerie ou de possibilités de se loger, les plateformes sont une bonne nouvelle : elles font venir du monde là où il n’y a pas assez d’habitants pour faire vivre les commerces toute l’année. Les territoires ruraux rêvent d’avoir du Airbnb, car cela envoie le signal d’une demande forte de la part de gens qui consomment et veulent être là. Il y a toujours un peu d’hypocrisie dans le discours politique. Le problème apparaît quand un logement à l’année bascule en Airbnb et que des touristes prennent la place de quelqu’un qui a besoin de se loger. »
