Santé mentale des jeunes de l’Hexagone aux Outre-mer

Auteur(s)

Victor Delage est le fondateur-directeur général de l’Institut Terram. Il est l’auteur de plusieurs études, parmi lesquelles figurent récemment « Mobilités : la santé mentale à l’épreuve des transports » (coécrite avec Angèle Malâtre-Lansac, Institut Terram-Alliance pour la Santé Mentale, avril 2025), « Les Ruraux face aux déchets sauvages : principes, pratiques, attentes » (Institut Terram, novembre 2024) et « Jeunesse et mobilité : la fracture rurale » (coécrite avec Salomé Berlioux et Félix Assouly, Institut Terram-Rura, mai 2024). Il dispense un cours intitulé « Les think tanks dans l’Union européenne : rôles, stratégies, dynamiques » au master Gouvernance européenne de Sciences Po Grenoble. Il a été responsable des études et de la communication à la Fondation pour l’innovation politique entre 2017 et 2023.
Margaux Tellier-Poulain est responsable de projets santé et protection sociale à l’Institut Montaigne depuis novembre 2023. Avant de rejoindre l’Institut Montaigne, elle était conseillère affaires sociales et droits des femmes au Sénat. À ce titre, elle a notamment suivi les trois derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale et la loi bioéthique. Elle a également travaillé à la Fondation Clinton à New York City et à la Commission européenne. Ses thèmes de recherche sont le financement de la sécurité sociale, les systèmes de santé, l’accès aux soins, l’innovation en santé, le handicap, la protection de l’enfance et les politiques d’autonomie. Elle est diplômée d’un Bachelor of Arts de l’Université McGill, d’un master en affaires publiques européennes de l’University College London et du master d’affaires publiques de Sciences Po Paris.
Lou Vincent est chargée de projets santé à l’Institut Montaigne depuis mai 2025, après l’avoir rejoint en septembre 2024 sur les questions de cohésion sociale. Elle s’intéresse notamment aux enjeux de prévention et aux inégalités sociales et territoriales de santé. Diplômée en science politique de Sciences Po Paris, elle a mené des travaux de recherche sur les fractures sociales et sur les dynamiques d’attachement au territoire.

Résumé

Dans un contexte où la santé mentale des jeunes s’impose comme une priorité, cette étude inédite propose une lecture à la fois transversale et ancrée dans les territoires des vulnérabilités psychologiques et psychiques des jeunes. Elle se distingue par une approche globale, croisant les déterminants sociaux, économiques, culturels, numériques et environnementaux, ainsi que par l’ampleur de son périmètre, couvrant à la fois l’Hexagone et les départements d’outre-mer. Les résultats révèlent une jeunesse traversée par un mal-être certain : un quart des jeunes interrogés seraient aujourd’hui en dépression. Ces vulnérabilités du quotidien sont nourries par un sentiment d’inquiétude générationnelle face à l’avenir : crises environnementales, tensions géopolitiques et incertitudes socio-économiques alimentent une forme d’angoisse latente. L’usage du numérique, notamment des réseaux sociaux, se révèle ambivalent : s’il peut constituer un espace d’expression et de soutien, il participe largement à l’isolement et expose à des violences en ligne. Par ailleurs, les conditions de vie, les possibilités de mobilité, la stabilité du cadre familial et la richesse du tissu relationnel local apparaissent comme des facteurs structurants du bien-être psychique, qu’ils contribuent à renforcer ou à fragiliser. Les attentes exprimées par les nouvelles générations sont claires : faciliter l’accès aux soins, renforcer les actions de prévention et de sensibilisation, mais aussi développer des leviers de bien-être au quotidien, tels que le sport, la culture ou les activités de sociabilité. Cette enquête a été administrée par Ipsos auprès de 5 633 jeunes âgés de 15 à 29 ans, représentatifs de la population française dans cette tranche d’âge, y compris dans les DROM.

Synthèse

Une jeunesse massivement concernée, au-delà de ce qu’elle perçoit

Un quart des jeunes (25 %) souffrent de dépression selon le questionnaire standardisé PHQ-9, outil de référence pour dépister et mesurer la sévérité des symptômes dépressifs. Un chiffre largement supérieur aux 14 % qui s’auto-déclarent en mauvaise santé mentale, révélant un décalage entre la perception globale de son état psychique et le vécu symptomatique. La souffrance mentale reste ainsi largement sous-estimée ou banalisée, y compris par les jeunes eux-mêmes.

Outre-mer : une détresse psychique sans équivalent
Les jeunes ultramarins sont les plus durement touchés : 39 % souffrent de dépression. Plus d’un jeune sur deux en Guyane (52 %) est concerné, 44 % en Martinique, 43 % à Mayotte, des niveaux sans équivalent en hexagone, où les proportions oscillent entre 19 % (Bourgogne-Franche-Comté) et 28 % (Provence-Alpes-Côte d’Azur). À cette détresse s’ajoute un fort mécontentement à l’égard des services publics  (santé, éducation, transports) :  43 % des jeunes ultramarins se déclarent insatisfaits des services essentiels, soit plus du double de la moyenne nationale (21 %).

Genre et âge : deux lignes de fracture majeures

Les jeunes femmes apparaissent plus durement touchées : 27 % souffrent de dépression, contre 22 % des jeunes hommes. L’écart est particulièrement significatif avant 22 ans (29 % des femmes de moins de 22 ans contre 19 % des hommes du même âge) et tend à diminuer avec l’âge. Cette vulnérabilité de genre s’observe aussi dans les autres indicateurs : troubles du sommeil (76 % des femmes contre 67 % des hommes), fatigue persistante (87 % contre 78 %), stress lié aux études (56 % contre 32 %). L’entrée dans l’âge adulte est un marqueur d’une santé mentale dégradée pour tous : 19 % des 15-17 ans sont en dépression, 27 % des 18-21 ans, 28 % des 22-25 ans, puis 23 % des 26-29 ans.

L’anxiété d’un monde en crise pèse lourd sur les jeunes

Quelque 94 % des jeunes se disent inquiets pour au moins un enjeu majeur : leur avenir personnel (68 %), l’actualité internationale (83 %) ou la crise environnementale (77 %). L’éco-anxiété devient un facteur identifié : elle touche plus de 10 millions de personnes en France et alimente une dynamique auto-entretenue entre anxiété face au monde et troubles psychiques.

Près de 9 jeunes sur 10 (86 %) déclarant avoir une mauvaise santé mentale se disent inquiets pour leur futur individuel, contre 6 sur 10 (60 %) parmi ceux qui la jugent bonne.

Précarité et instabilité : les racines sociales du mal-être

Quelque 47 % des jeunes en grande précarité souffrent de dépression, près de trois fois plus que chez les jeunes sans difficultés économiques (16 %). La situation dans l’enfance crée un terrain de vulnérabilité psychique durable : 35 % des jeunes ayant grandi dans un foyer relationnellement instable présentent un état dépressif, contre 15 % chez ceux issus d’un environnement familial stable. De même, parmi ceux qui estiment avoir connu une situation économique difficile durant l’enfance, 32 % souffrent de dépression, soit 14 points de plus de ceux qui considèrent avoir grandi dans des conditions favorables (18 %).

Vie sociale : un déterminant silencieux

La proportion de jeunes se déclarant en bonne santé mentale est nettement plus faible chez ceux qui estiment avoir une vie sociale peu active (43 %) que parmi ceux qui la jugent riche (73 %). Parmi les jeunes qui déclarent en avoir une peu active, 59 % ressentent une solitude persistante, contre 41 % en moyenne.

L’absence d’engagement dans des pratiques sportives ou culturelles va de pair avec un sentiment accru d’isolement. Plus de la moitié des jeunes sans activité physique régulière (51 %) jugent leur vie sociale peu active, contre seulement 24 % parmi ceux qui en pratiquent. Si les jeunes ruraux (24 %) sont plus nombreux que leurs homologues urbains (12 %) à se dire insatisfaits de l’offre locale, qu’il s’agisse de loisirs, d’activités culturelles ou sportives, le sentiment de solitude se révèle paradoxalement plus marqué dans les espaces fortement urbanisés.

Études, travail, harcèlement : une pression constante aux effets délétères

Quelque 87 % des jeunes sont stressés par leurs études et 75 % par leur travail. Parmi les jeunes souvent stressés, 33 % (études) et 41 % (travail) sont en dépression, contre respectivement 9 % et 14 % chez les jeunes peu ou pas stressés. Les jeunes aux formes d’emploi les plus précaires sont plus touchés par la fragilité psychique. Si 23 % des répondants salariés à temps plein sont atteints de dépression, cette proportion grimpe à 31 % chez les salariés à temps partiel, à 36 % chez les travailleurs indépendants et à 31 % chez les jeunes actuellement en recherche d’emploi.

Le harcèlement scolaire concerne plus d’un jeune sur deux (52 %) : 31 % en tant que victime directe, 23 % en tant que témoin et 11 % admettent avoir déjà eu des comportements blessants. Seuls 44 % n’ont jamais été confrontés à une forme de harcèlement. Ces expériences laissent des traces profondes : parmi les jeunes harcelés, 75 % s’inquiètent pour leur avenir personnel, contre 61 % chez ceux qui ne l’ont pas été.

Une santé mentale conditionnée par le cadre de vie

L’insatisfaction à l’égard du cadre de vie semble avoir une influence sur la santé mentale. Le contraste le plus frappant concerne le rythme de vie : si  19 % des jeunes qui s’en disent satisfaits souffrent de dépression, ils sont  43 % parmi ceux qui considèrent cette cadence comme inadaptée. Quelque 77 % des jeunes ont déjà renoncé à une activité en raison de difficultés de transport. Chez les jeunes souvent empêchés de se déplacer, le niveau de dépression grimpe à 39 %, contre 22 % parmi ceux qui rencontrent rarement ce type d’obstacle.

Urbains et ruraux : une santé mentale fragilisée, des réalités différenciées

Les jeunes urbains sont un peu plus nombreux à montrer des signes de dégradation de leur santé mentale. 27 % d’entre eux souffrent de dépression, soit 7 points de plus que les jeunes ruraux (20 %), et 64 % de jeunes vivant dans une métropole déclarent s’être sentis tristes, déprimés ou désespérés au cours des deux dernières semaines, contre 59 % dans le périurbain et 54 % dans les zones rurales.  

Ce différentiel pourrait notamment s’expliquer par la surreprésentation d’étudiants dans les espaces fortement urbanisés, plus exposés à la précarité et à l’isolement. En revanche, les jeunes des métropoles sont mieux informés: 80 % d’entre eux ont déjà été sensibilisés sur la santé mentale, contre 68 % dans le rural.

Réseaux sociaux : entre surexposition et vulnérabilité mentale

Quelque 44 % des jeunes passent plus de trois heures par jour sur les réseaux sociaux, 10 % y consacrent entre cinq et huit heures. Plus le temps d’écran augmente, plus les troubles s’intensifient : 44 % de ceux qui y passent plus de 8 heures sont en dépression. C’est trois fois plus que ceux qui y passent moins d’une heure (15 %).

Le cyberharcèlement concerne plus d’un jeune sur quatre (26 %), dont 5 % de manière récurrente. Parmi ces victimes fréquentes, 52 % présentent un état dépressif, soit plus du double de la moyenne (25 %).
Quelque 7 % des jeunes disent y chercher un soutien moral ou échanger sur des forums, symptôme d’un appel à l’aide : 45 % d’entre eux souffrent de dépression (contre 25 % en moyenne).

Accès aux soins : un parcours trop inégal, parfois inexistant

Seuls 38 % des jeunes ont déjà parlé de leur santé mentale à un professionnel de la santé. Fait marquant : 19 % des jeunes qui ressentent le besoin de consulter ne l’ont pas fait. Un quart de ces derniers (24 %) déclarent ne pas oser franchir le pas par peur du jugement ou de la stigmatisation. D’autres obstacles les empêchent, tels que les coûts (17 % d’entre eux) ou l’impression que cela ne va pas les aider (18 %).

Dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), les chiffres sont encore plus préoccupants : seulement 30 % des jeunes ont consulté, malgré des taux de dépression bien plus élevés. À Mayotte, la proportion chute à 27 %. Dans ces territoires, l’un des freins mentionnés par ceux ayant ressenti le besoin mais n’ayant pas consulté est de ne pas savoir vers qui se tourner (25 %).

Sensibilisation : un levier reconnu, mais encore largement sous-exploité

Quelque 76 % des jeunes déclarent avoir été sensibilisés à la santé mentale, mais les canaux restent très inégalement mobilisés. Seuls 20 % ont été sensibilisés via leur établissement scolaire ou universitaire, 19 % par un médecin ou un professionnel de santé, 11 % par des associations spécialisées.

En revanche, les réseaux sociaux constituent la principale porte d’entrée pour une majorité des jeunes : 31 % citent les réseaux réseaux sociaux (Instagram, YouTube, TikTok…) comme première source d’information sur la santé mentale. Or si ces contenus permettent une prise de conscience, leur fiabilité est très hétérogène.

Ce que demandent les jeunes : accès, prévention, cadre de vie apaisé

Face à une santé mentale fragilisée, les jeunes priorisent des attentes précises :

  • 36% veulent avant tout faciliter l’accès aux soins psychologiques et la proportion est la même pour le renforcement de la sensibilisation ;
  • 34% demandent de rendre les soins plus accessibles ;
  • 16% souhaitent favoriser le bien-être par des activités culturelles, sportives ou de relaxation ;
  • 15% placent la lutte contre le harcèlement parmi leurs priorités et 19% souhaitent réduire le coût d’accès aux soins en santé.

Ces réponses révèlent une volonté forte d’agir sur les causes, pas uniquement sur les symptômes : les jeunes réclament un environnement plus soutenable et accessible.

Introduction – Santé mentale des jeunes : où en sommes-nous depuis la pandémie Covid-19 ?

Alors que la santé mentale, notamment celle des jeunes, demeurait un aspect relativement peu évalué, la période de pandémie de la Covid-19 a agi comme un catalyseur, exposant la vulnérabilité psychique d’une jeunesse aux prises avec des conditions de vie précaires et un avenir incertain. Isolement social, rupture des routines, incertitude généralisée : les signaux de détresse chez les jeunes ont été nombreux et ont conduit à produire des données permettant de mettre en perspective le mal-être lié à cette période1Voir Santé publique France, « CoviPrev : une enquête pour suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l’épidémie de Covid-19 », santepubliquefrance.fr, 15 octobre 2024., jusqu’à faire enfin émerger une attention prononcée à leur santé mentale2Voir Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, « Prendre soin de la santé mentale des 18-25 ans », sante.gouv.fr, 30 janvier 2025.. Les enquêtes se sont succédé, les alertes se sont multipliées, les témoignages d’étudiants, en particulier, ont largement retenti dans l’espace public. Suite à cette mobilisation, plusieurs mesures ont été mises en œuvre par les acteurs publics et privés telles que l’engagement de prise en charge de consultations de psychologues dès 2021 par certaines mutuelles et complémentaires santé, la création du dispositif Santé Psy Étudiant, visant à offrir un soutien psychologique aux étudiants, ou encore la mise en place de « Mon soutien psy3Voir « “Mon soutien psy” : 12 séances remboursées par an », info.gouv.fr, 28 mai 2025. », permettant la prise en charge par l’Assurance maladie de séances chez le psychologue. Plus récemment, le renforcement du plan psychiatrie4Voir Ministère chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, « Santé mentale et psychiatrie. Repérer, soigner, reconstruire », sante.gouv.fr, dossier de presse, juin 2025., couplé au développement de la prévention et du repérage précoce5Voir Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, « La santé mentale : grande cause nationale 2025 », travail-emploi.gouv, 24 mars 2025., est venu consolider l’offre existante. En 2025, la santé mentale devient une grande cause nationale. Un basculement symbolique qui en fait désormais une affaire collective et un enjeu politique.

Ce sont autant d’initiatives qui traduisent une volonté d’agir, mais qui, dans les faits, peinent encore à répondre à l’ampleur et à la diversité des besoins. Des critiques pointent des dispositifs encore insuffisamment dotés, trop peu visibles, inégalement accessibles sur le territoire6Voir Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau,« Rapport […] en conclusion des travaux de la mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques », rapport d’information n° 714, Assemblée nationale, 11 décembre 2024.. Le repérage précoce reste parcellaire et les inégalités d’accès aux soins demeurent massives.

Dans ce contexte, une question précède : comment vont les jeunes aujourd’hui ? Si l’évolution entre les années pré et post-pandémie continue d’être analysée7Voir Christophe Léon, Ingrid Gillaizeau, Enguerrand du Roscoät, Antoine Pelissolo et Françoise Beck, « Prévalence des états anxieux chez les 18–85 ans : résultats du Baromètre Santé publique France (2017–2021) », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, no 14, p. 246–255, 22 juillet 2025., cette question nécessite une réflexion d’envergure. La problématique n’est pas seulement médicale. Elle est sociale, économique, numérique, territoriale. Loin d’être un phénomène conjoncturel lié à la crise sanitaire, la santé mentale des nouvelles générations s’impose comme une problématique enracinée dans des transformations profondes des conditions de vie, d’études, de travail, d’habitat. Elle traverse l’ensemble du territoire, mais elle ne s’y manifeste pas avec la même intensité, ni ne bénéficie des mêmes ressources. Les chiffres, s’ils sont alarmants, doivent être replacés dans les environnements concrets qui façonnent les expériences de la souffrance psychologique ou psychique : des zones rurales à la la densité des métropoles, des foyers sécurisants aux situations de rupture familiale, des espaces de solitude aux injonctions de l’hyperconnexion, les conditions d’apparition et d’expression de la détresse varient considérablement. Ressources disponibles, normes implicites, accessibilité des dispositifs, exposition au regard social ou encore poids des représentations sont autant de paramètres qui dessinent des trajectoires différenciées de vulnérabilité et de recours. À ce titre, les départements et régions d’outre-mer (DROM8Dans cette étude, les résultats ont été obtenus en Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion.) illustrent avec acuité ces inégalités. La santé mentale ne peut donc être pensée sans une attention fine portée aux inégalités sociales et spatiales d’exposition et d’accompagnement.

La présente étude explore les situations de santé mentale vécues par les jeunes sur l’ensemble du territoire, afin d’éclairer les ressorts du mal-être, les freins à l’accès aux soins, les lacunes en matière de prévention, mais aussi les ressources mobilisées, les formes de soutien disponibles et les attentes exprimées. Elle interroge, en somme, les conditions de possibilité d’un véritable droit à la santé mentale, effectif sur tout le territoire. Car si la santé mentale est devenue un objet politique, elle doit devenir un levier d’action publique territorialisé, portée à la fois par les institutions nationales, les collectivités locales et les acteurs de proximité. C’est à cette seule condition que la promesse d’une prise en charge digne et accessible partout pourra être tenue.

Définir la santé mentale

La santé mentale est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « un état de bien-être qui nous permet de faire face au stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté9Organisation mondiale de la Santé (OMS), « Santé mentale », who.int, s.d .». Elle constitue une composante essentielle de la santé globale, au même titre que la santé physique, et peut se détériorer de manière transitoire ou durable.

La santé mentale est façonnée par une pluralité de déterminants. Certains sont individuels–histoires de vie, prédispositions biologiques ou génétiques…-, d’autres relèvent de conditions socio-économiques. Le cadre de vie, la stabilité économique, l’accès à l’éducation, la qualité des relations sociales, ou encore les conditions de travail et de logement jouent un rôle majeur.

Aujourd’hui en France, « une personne sur cinq est confrontée chaque année à un trouble psychique10Vie-publique, « Santé mentale : répondre à la forte demande de soins des Français », vie-publique.fr, 1er octobre 2021. ». La souffrance psychique, qu’elle prenne la forme d’un stress chronique, d’un mal-être diffus, ou de troubles avérés comme la dépression ou l’anxiété, est une réalité de plus en plus visibilisée.

Méthodologie

La Mutualité française, l’Institut Montaigne et l’Institut Terram se sont associés pour concevoir la présente enquête menée auprès de 5 633 personnes âgées de 15 à 29 ans, représentatives de la population française (Hexagone et départements et régions d’outre-mer) dans cette tranche d’âge, et dont les résultats sont publiés ici sous le titre : Santé mentale des jeunes de l’Hexagone aux Outre-mer. Cartographie des inégalités. L’administration du questionnaire s’est déroulée en ligne, du 14 au 30 avril 2025, via le panel propriétaire d’Ipsos, Ipsos Interactive Survey. La méthode des quotas a été appliquée selon le sexe et l’âge (quotas croisés), la profession et la catégorie socio-professionnelle du répondant, la région de résidence et la catégorie d’agglomération. À l’issue du terrain, un redressement par calage sur marges (méthode itérative) a été effectué sur ces mêmes variables. À noter que dans chacun des DROM étudiés, environ 120 jeunes âgés de 15 à 29 ans, représentatifs de la population locale, ont été interrogés–de 116 en Guyane à 145 à La Réunion–afin de permettre une lecture territoriale des résultats dans chaque collectivité. Dans l’échantillon global, les populations des DROM ont été réajustées pour refléter leur poids réel au sein de l’ensemble de la population française.

L’enquête comportait 23 questions visant à explorer différents aspects de la santé mentale des jeunes, leur satisfaction vis-à-vis de leur territoire de vie, leurs habitudes quotidiennes, leur perception de l’avenir… L’évaluation de la santé mentale des jeunes s’appuyait sur plusieurs questions explorant différentes dimensions psychologiques, ainsi que sur une échelle validée pour le dépistage des épisodes dépressifs : la PHQ-9 (Patient Health Questionnaire). Cette dernière est un auto-questionnaire standardisé reposant sur les critères du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), un référentiel international en psychiatrie. Elle est constituée de 9 questions permettant d’évaluer la présence ou l’absence d’un épisode dépressif, ainsi que la sévérité des symptômes dépressifs sur les deux semaines précédant l’enquête, selon une échelle allant de 0 (« pas du tout ») à 3 (« presque tous les jours »)11Voir Kurt Kroenke, Robert L. Spitzer et Janet B. W. Williams, « The PHQ-9 : Validity of a Brief Depression Severity Measure, Journal of General Internal Medicine », vol. 16, n°9, 2001, p. 606‑613.. Ainsi, et conformément aux indications établies par la Faculté de médecine de Stanford12Stanford University Medical School, « PHQ‑9 Patient Depression Questionnaire », octobre 2005., un répondant est considéré comme souffrant de dépression si l’une des deux conditions suivantes est remplie :

  • condition 1 : au moins 5 items sont cotés à 2 ou 3, dont obligatoirement l’item 1 (perte d’intérêt ou de plaisir) ou l’item 2 (humeur dépressive) ;
  • condition 2 : au moins 4 items sont cotés à 2 ou 3, dont l’item 1 ou l’item 2, et au moins 1 point est attribué à l’item 9 (pensées de mort ou d’automutilation).

Grâce à cette double approche, combinant perception subjective et évaluation standardisée, l’enquête offre à la fois un éclairage global et nuancé sur l’état de santé mentale des jeunes.

I. Une jeunesse sous pression : saisir un mal-être protéiforme

1. Se penser en bonne santé mentale : un regard subjectif, socialement situé

Ce que les jeunes disent de leur santé mentale

Souvent associée à une période d’élan, de construction identitaire et de projection vers l’avenir, la jeunesse est aussi traversée par des sentiments d’incertitude, de désenchantement, voire d’angoisse face à un horizon perçu comme instable. Il ne s’agit pas d’un simple malaise passager ou individuel, mais bien de l’expression de déséquilibres plus profonds dont les effets se traduisent de manière tangible sur le bien-être. L’autoévaluation de la santé mentale des jeunes, bien qu’intrinsèquement subjective, constitue une porte d’entrée précieuse pour comprendre leur rapport à eux-mêmes, aux conditions de leur existence et aux futurs qu’ils s’imaginent ou redoutent.

Dans l’ensemble, l’autoévaluation de la santé mentale reste majoritairement positive : près de deux tiers des jeunes (64 %) disent aller bien. Toutefois, dans le détail, seuls 22 % d’entre eux estiment leur santé mentale « très bonne » et le reste « assez bonne » (42 %). À l’inverse, 14 % considèrent aller mal. Enfin, environ 1 jeune sur 5 (21 %) ne la juge « ni bonne, ni mauvaise », un positionnement qui invite à la vigilance puisque l’indécision ou la neutralité déclarée peut masquer des réalités multiples. Ces résultats dissimulent des écarts importants entre certains groupes socio-économiques. Ainsi, 75 % des jeunes ne rencontrant pas de difficultés financières se déclarent en bonne santé mentale, soit 21 points de plus par rapport à ceux qui en connaissent (54 %).

L’insertion professionnelle joue également un rôle décisif : 68 % des jeunes salariés évaluent positivement leur santé mentale, contre moins de la moitié de ceux en recherche d’emploi (49 %). Ces différences rappellent que la santé ne peut être dissociée des inégalités sociales : elle se construit ou se fragilise dans des environnements où les ressources économiques, la stabilité professionnelle et la capacité à se projeter occupent une place centrale13Voir Gwenn Menvielle et Thierry Lang (dir.), « Les inégalités sociales de santé : vingt ans d’évolution », Actualité et dossier en santé publique, n°113, mars 2021, p. 9-56 ; Michael Marmot, « Social determinants of health inequalities », The Lancet, vol. 365, n°9464, 19-25 mars 2005, p. 1099-1104..

Des « fractures mentales territoriales » marquées entre l’Hexagone et les DROM

Les données mettent en lumière des disparités territoriales marquées, la plus nette opposant l’Hexagone aux départements et régions d’outre-mer. De manière générale, l’état de la santé mentale des jeunes ultramarins pourrait refléter l’ampleur des vulnérabilités sociales et économiques qui traversent leurs territoires. Alors que dans l’Hexagone ils sont entre 9 % et 19 % à estimer avoir une mauvaise santé mentale (respectivement en Bourgogne-Franche-Comté et en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse), ce chiffre atteint 26 % en Martinique et culmine à 32 % à La Réunion. Par ailleurs, la proportion de jeunes indiquant une santé mentale « ni bonne, ni mauvaise » est sensiblement plus élevée dans les DROM (30 %, contre 21 % en moyenne), atteignant même 39 % à Mayotte.

2. Un jeune sur quatre souffre de dépression

Une jeunesse bien plus touchée qu’elle ne le pense

Pour compléter cette approche, l’enquête intègre une échelle dédiée au dépistage de la dépression et à l’évaluation de la sévérité des symptômes dépressifs, la PHQ-9. Les réponses, analysées selon un protocole précis afin de déterminer si ces jeunes sont en situation de dépression, suggèrent des tendances autrement plus alarmantes que ne le laissait présager la seule autoperception étudiée précédemment. Ainsi, selon la cotation du PHQ-9, 25 % des 15-29 ans seraient atteints de dépression.

Certaines situations susceptibles d’être relatives à un mal-être présentent une très forte prévalence parmi les jeunes : 83 % des répondants déclarent avoir ressenti, une fatigue persistante ou un manque d’énergie durant au moins plusieurs jours au cours des deux semaines précédant l’enquête. Par ailleurs, près des trois quarts des personnes interrogées (72 %) rapportent des troubles du sommeil et 63 % une dévalorisation de soi ou le sentiment d’être nul. Plus de 6 jeunes sur 10 disent avoir été envahis par un sentiment de tristesse, de déprime ou de désespoir (61 %) ou avoir éprouvé une perte d’intérêt ou de plaisir dans leurs activités quotidiennes (63 %). Mais le chiffre le plus inquiétant demeure sans doute celui-ci : 31 % des jeunes affirment avoir déjà pensé plusieurs jours au cours des deux semaines précédant l’enquête qu’il vaudrait mieux mourir ou envisager de se faire du mal d’une manière ou d’une autre.

Une détérioration notable de la santé mentale s’observe à partir de l’âge de 18 ans, et tend à atteindre un pic autour de 22-25 ans avant de décroître légèrement. Plus d’un quart des 18 à 21 ans (27 %) et des 22-25 ans (28 %) souffrent de dépression, contre 19 % parmi les 15-17 ans et 23 % des 26-29 ans.
Cette dynamique est particulièrement marquée chez les jeunes hommes : seuls 13 % des garçons de moins de 18 ans sont concernés par la dépression (contre 27 % des jeunes filles du même âge), mais cette proportion grimpe à 24 % chez les 18-21 ans et à 28 % chez les 22-25 ans (contre respectivement 30 % et 29 % chez les jeunes femmes).

Cette tendance dépasse le seul cadre des troubles dépressifs et tend à se reproduire pour l’ensemble des diagnostics pour un trouble de santé mentale. Ainsi, parmi les jeunes ayant consulté un professionnel, 29 % des 15-17 ans ont reçu un diagnostic, contre 38 % chez les 18-21 ans et jusqu’à 43 % chez les 22-25 ans. Ces données convergent avec les résultats d’autres études récentes14Voir « Étude exclusive Fondation April-BVA Xsight-Uptowns : les jeunes et leur santé », communiqué de presse, april.com, 20 juin 2024. et font écho à la préoccupation particulière envers les étudiants depuis la pandémie de la Covid-19. Le ciblage des outils de communication déployés sur le sujet15Voir Ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative, « Prendre soin de la santé mentale des 18–25 ans », jeune .gouv.fr, 
6 février 2025. et la mise en œuvre du dispositif Santé Psy Étudiant depuis 202116Voir Ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, « Journée nationale de prévention du suicide. Le ministère s’engage concrètement pour la santé mentale des étudiants », enseignementsup-recherche.gouv.fr, 16 mai 2025. visent tout particulièrement ces classes d’âge.

Les DROM se démarquent face à la relative homogénéité du territoire hexagonal. Les jeunes ultramarins sont 39 % à être en dépression selon l’enquête. Ce niveau alarmant dépasse largement celui constaté dans les régions métropolitaines, où les proportions, quoique déjà très préoccupantes, oscillent entre 19 % en Bourgogne-Franche-Comté, 27 % en Île-de-France et jusqu’à 28 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse.

D’autres situations associées à une potentielle dégradation de la santé mentale présentent une proportion élevée. Près de la moitié des jeunes disent rencontrer régulièrement des symptômes de nervosité, d’anxiété ou de tension (45 %), éprouver fréquemment un sentiment de solitude et de déconnexion avec les autres (41 %) ainsi qu’un sentiment d’épuisement total lié à la pression ou au stress (39 %). Mentionnons aussi que 1 répondant sur 5 (21 %) est confronté à la difficulté de contrôler sa consommation (par exemple alcool, tabac, drogue, médicaments, aliments, jeux vidéo, achats compulsifs, jeux d’argent…) et que près d’un tiers (31 %) expérimente des réactions de colère ou d’irritabilité difficiles à maîtriser.

Urbanité, précarité, isolement : les jeunes des métropoles plus vulnérables

La fragilisation de la santé mentale des jeunes ne se manifeste pas de manière uniforme à travers le territoire. Elle épouse les contours des dynamiques spatiales et sociales, révélant des lignes de fracture silencieuses. En moyenne, les jeunes résidant dans des zones peu denses apparaissent comme les moins vulnérables ou, à tout le moins, les moins exposés, aux manifestations symptomatiques du mal-être psychique. Ce constat s’observe dès l’autoévaluation de leur état mental : seuls 11 % des jeunes vivant en milieu rural déclarent être en mauvaise santé mentale, contre près de 17 % en moyenne parmi ceux installés dans les métropoles.
Une majorité de situations associées à une souffrance psychique est rapportée de façon plus fréquente par les jeunes vivant dans les espaces urbains. Par exemple, 64 % d’entre eux en moyenne déclarent s’être sentis, au cours des deux semaines précédant l’enquête, tristes, déprimés ou désespérés, contre 59 % dans le périurbain et 54 % dans les zones rurales.

Cette dynamique ne saurait être réduite à une simple variation géographique et renvoie à des configurations de vie différenciées. Dans les territoires à faible densité, les jeunes sont par exemple moins nombreux à déclarer des difficultés financières, résident plus fréquemment chez leurs parents et vivent donc moins souvent seuls ou en colocation.

Ainsi, près des deux tiers des jeunes (63 % en moyenne) installés dans une métropole ne résident plus chez leurs parents, contre 47 % pour ceux qui sont en zone rurale. Ces facteurs, qui relèvent à la fois de la stabilité résidentielle et du soutien social de proximité, peuvent jouer un rôle protecteur face à certaines formes de vulnérabilité psychique. À l’inverse, il existe une surreprésentation d’étudiants vivant seuls dans les grandes métropoles qui sont davantage exposés à la précarité et à l’isolement. À ce titre, les jeunes étudiants issus d’un milieu rural ou résidant dans des territoires avec une faible offre universitaire sont plus susceptibles de voir leur équilibre psychique fragilisé. De fait, 70 % des formations post-bac sont situées dans les grandes métropoles17Voir Félix Assouly, Salomé Berlioux et Victor Delage, Jeunesse et mobilité : la fracture rurale, Institut Terram/Chemins d’avenirs, mai 2024., contraignant à quitter plus tôt le domicile familial et à subir un éloignement géographique parfois délétère.

3. Un état des lieux à mettre en relation avec une inquiétude qui traverse toute une génération

La peur de l’avenir, un horizon partagé

Chaque génération grandit à l’épreuve de son temps, confrontée à ses propres crises collectives et à ses incertitudes spécifiques. Celle d’aujourd’hui fait face à une conjoncture inédite, marquée par l’intensification des crises climatiques18Voir Agence de la transition écologique (Ademe), «Le dialogue intergénérationnel sur l’environnement. Volet auprès des 15-25 ans. Synthèse de l’étude quantitative et qualitative », enquête réalisée par OpinionWay, librairie.ademe.fr, 13 juin 2023., la recrudescence des tensions géopolitiques19Frédéric Micheau (dir.), « Étude #MoiJeune. Les jeunes et les conflits internationaux », enquête réalisée par 20 Minutes en partenariat avec OpinionWay, opinion-way.com, mars 2025. et une instabilité économique et politique persistante20Voir Patrick Artus, « Le coût de l’incertitude en France : une croissance nulle », lecercledeseconomistes.fr, 11 décembre 2024..

Dans ce contexte, l’avenir n’apparaît pas comme un espace de possibilités infinies guidé par le progrès21Voir François Gemenne, Étienne Klein, Raphaël Llorca, Dominique Méda, « Les illusions perdues », in Vincent Martigny (dir.), Les Temps nouveaux. En finir avec la nostalgie des Trente Glorieuses, p. 71-135, Paris, Seuil, 2025. mais principalement comme un horizon incertain, souvent redouté. Ainsi, 71 % des 18-24 ans expriment leurs difficultés à se projeter dans le futur et même leur impossibilité à le faire pour 11 % des jeunes interrogés22Voir Bernard Sananes, Laurence Bedeau et Vincent Thibault, « Le Baromètre des territoires. France désemparée en quête de tranquillité. Résultat du baromètre DJEPVA sur la jeunesse », Institut Montaigne/Elabe/Groupe SNCF.. S’ils demeurent plus optimistes que leurs aînés23Voir Charlotte Millot, Sarah Nedjar Nedjar Calvet et Amélie Charruault, « Baromètre jeunesse 2024 – État d’esprit et engagement des jeunes », Injep Notes & Rapport, Injep-2024/13, septembre 2024., l’évocation de l’année 2050 suscite un sentiment d’« inquiétude » pour deux tiers des 18-24 ans, tandis qu’un tiers d’entre eux associe cette date à « la fin du monde24Voir « Dans quel état d’esprit est la jeunesse en 2024 ? », mtaterre.fr, 18 juin 2024. ».
De fait, la jeunesse fait part d’une préoccupation marquée à l’égard des différents déterminants de son futur : 94 % des 15-29 ans sont inquiets à propos d’au moins un des trois domaines suivants : l’actualité internationale (83 %), les enjeux environnementaux et climatiques (77 %) et leur propre avenir (68 %).

L’instabilité mondiale et le dérèglement environnemental préoccupent particulièrement les jeunes à partir de la majorité : par exemple, si 70 % des 15 à 17 ans affirment être inquiets à l’égard de la crise climatique, ce chiffre grimpe de 8 points chez les 18-21 ans (78 %) pour se stabiliser autour de 80 % par la suite.
Dès l’adolescence, les nouvelles générations ont conscience des perspectives altérées par le contexte actuel, et cette inquiétude semble croître avec les années. Au moment du passage à l’âge adulte, ils doivent composer avec un sentiment global de vulnérabilité face à l’avenir de la société elle-même, en sus d’autres préoccupations liées à leur émancipation : précarité financière, pression scolaire ou professionnelle, vie sociale et avenir personnel.

Santé mentale et perception de l’avenir : une dynamique d’inquiétude auto-entretenue

L’intensité des inquiétudes des jeunes à l’égard de l’avenir est étroitement liée à leur état psychologique et psychique. Ceux qui jugent leur santé mentale mauvaise25C’est-à-dire autoévaluant leur santé mentale comme « mauvaise » ou « très mauvaise ». sont ainsi plus nombreux à se dire « très inquiet » face à la conjoncture mondiale (46 %) et à la crise environnementale et climatique (41 %)–des écarts respectifs de 16 et 13 points par rapport à ceux qui estiment être en bonne santé mentale (respectivement 30 % et 28 %).

Les grandes crises contemporaines s’accompagnent de formes de mal-être de plus en plus reconnues. Le terme d’« éco-anxiété » s’est ainsi imposé dans le débat public, pour qualifier la souffrance psychologique induite par la prise de conscience des bouleversements environnementaux et de leurs conséquences sur la vie individuelle et collective26Voir Agence de la transition écologique (Ademe), « Éco-anxiété en France (étude 2025). État des lieux. Seuils de préoccupation clinique. Variables déterminantes. Rapport final », étude réalisée par Econoïa, vie-publique.fr, mars 2025..

Une récente étude menée par l’AdemeIbid. identifie l’éco-anxiété comme un risque de santé publique majeur en France : près de 15 % de la population se dit moyennement éco-anxieuses (soit 6,3 millions de personnes) et 10 % fortement ou très fortement éco-anxieuses. Au total, 10,5 millions de personnes se déclarent plus ou moins éco-anxieuses. Selon ce rapport, les jeunes demeurent la classe d’âge la plus touchée par les risques que l’éco-anxiété entraîne à l’égard de leur santé mentale.

Pour autant, l’éco-anxiété ou l’appréhension face aux tensions géopolitiques s’exprime rarement isolément et c’est bien la crainte liée à leur avenir personnel qui présente la corrélation la plus marquée avec une perception dégradée de la santé mentale. Près de
9 jeunes sur 10 (86 %) déclarant une mauvaise santé mentale se disent inquiets pour leur futur individuel, contre « seulement » 6 sur 10 (60 %) parmi ceux qui la jugent bonne. Cette interdépendance entre inquiétude et santé mentale paraît d’autant plus perverse que l’on peut supposer qu’il s’agit d’une dynamique qui s’auto-entretient : tandis que des déterminants liés à leur situation personnelle sont susceptibles de perturber négativement la perception de leur avenir et affectent en ce sens la santé mentale, l’apparition de troubles de santé mentale noircit également considérablement les perspectives futures de la personne touchée.

II. Un environnement de proximité inégal : entre exposition aux risques et accès aux ressources

1. Le poids des conditions de vie dans la détérioration de la santé mentale

Instabilités familiales et économiques : deux facteurs de vulnérabilité durables

Les conditions de vie quotidienne, qu’elles soient affectives ou matérielles, façonnent profondément le bien-être des jeunes. Les données d’autoévaluation font apparaître une vulnérabilité accrue dès lors que l’individu évolue en dehors de configurations familiales ou conjugales. Ainsi, les jeunes vivant seuls (16 %), en colocation (17 %) ou en résidence universitaire (24%) sont proportionnellement plus nombreux que la moyenne (14 %) à déclarer une mauvaise santé mentale. À l’inverse, ceux qui sont chez leurs parents apparaissent mieux protégés : 65 % d’entre eux estiment leur état mental satisfaisant, contre seulement 59 % chez les jeunes vivant seuls, 58 % en colocation et 47 % en résidence universitaire.

À cette dimension résidentielle s’ajoute le poids des conditions économiques. Alors que seuls 9 % des jeunes sans contrainte budgétaire déclarent être en mauvaise santé mentale, cette proportion grimpe à 16 % chez ceux en difficulté ponctuelle et atteint 33 % parmi ceux confrontés à une précarité sévère. Enfin, selon la cotation du PHQ-9, près de la moitié des jeunes (47 %) en grande difficulté économique souffrent de dépression, soit près de trois fois plus que ceux sans contrainte financière (16 %).

Si les jeunes vivant encore au sein du foyer parental déclarent en moyenne un meilleur état mental que ceux ayant pris leur indépendance, cette relative protection pourrait disparaître lorsque ce cadre familial est perçu comme instable. L’environnement affectif de l’enfance joue en effet un rôle différenciateur majeur : 61 % des jeunes ayant grandi dans un foyer jugé stable se disent inquiets pour leur avenir personnel, contre 75 % chez ceux qui décrivent un environnement instable. Ce lien se vérifie dans les données issues de l’autoévaluation. Plus de trois quarts des jeunes (77 %) ayant grandi dans un foyer perçu comme stable estiment être aujourd’hui en bonne santé mentale. Cette proportion chute à 54 % chez ceux qui qualifient leur environnement familial parfois d’instable et s’effondre à 36 % parmi ceux pour qui ce cadre a été « très instable ». Par ailleurs, ceux jugeant leur foyer familial comme instable sont 35 %
27Incluant les jeunes jugeant le foyer familial comme « parfois instable » et « très instable ». à souffrir de dépression, contre 15 % pour ceux qui le considèrent stable. Une dynamique comparable s’observe en fonction du niveau de vie perçu durant l’enfance : 72 % des répondants issus d’un foyer économiquement favorisé évaluent leur santé mentale de manière positive, soit 17 points de plus par rapport ceux ayant grandi dans un contexte de précarité (55 %).

Ces écarts importants soulignent l’effet structurant d’une enfance marquée par des tensions, des ruptures ou des insécurités affectives et matérielles. L’instabilité familiale et la précarité économique agissent comme des facteurs cumulatifs de vulnérabilité, révélant ainsi l’épaisseur des inégalités dans la construction de la santé mentale. Elles s’accompagnent fréquemment d’un vécu précoce de solitude, d’anxiété ou d’usure, dont les répercussions peuvent se prolonger bien au-delà de l’enfance.

L’ombre de la solitude et de l’isolement social

La solitude constitue l’un des symptômes saillants du mal-être chez les jeunes. Près de la moitié des 18-34 ans (47 %) se sentent exposés et vulnérables au risque de se sentir seuls, soit 15 à 20 points de plus que leurs aînés28Bernard Sananes, Laurence Bedeau et Vincent Thibault, op. cit., p. 9.. Ce sentiment d’isolement s’ancre dans une insatisfaction profonde à l’égard de la vie sociale. Parmi les jeunes qui déclarent avoir une vie sociale peu active, 59 % ressentent une solitude persistante, contre 41 % en moyenne. Ce déficit relationnel va de pair avec une dégradation marquée de l’autoperception de la santé mentale : la proportion de jeunes se déclarant en bonne santé mentale est nettement plus faible chez ceux qui estiment avoir une vie sociale peu riche (43 %) que parmi ceux qui la jugent active (73 %).

L’expérience du lien social ne se résume pas à la seule qualité des relations interpersonnelles : elle s’ancre dans un faisceau de facteurs imbriqués, où interagissent l’accessibilité aux ressources, la densité des interactions et la structuration du quotidien. L’absence d’engagement dans des pratiques sportives ou culturelles va de pair avec un sentiment accru d’isolement. Plus de la moitié des jeunes sans activité physique régulière (51 %) jugent leur vie sociale peu active, contre seulement 24 % parmi ceux qui en pratiquent. La même dynamique se retrouve du côté des activités culturelles ou artistiques : 43 % des jeunes qui n’y prennent pas part se perçoivent comme socialement isolés, contre 23 % de ceux qui y sont engagés.

Si les jeunes ruraux expriment plus fréquemment leur insatisfaction à l’égard de l’offre locale, qu’il s’agisse de loisirs, d’activités culturelles ou sportives (24 % contre 12 % dans les grandes métropoles) ou, dans une moindre mesure, des opportunités de rencontres (19 % contre 15 %), le sentiment de solitude se révèle paradoxalement plus marqué dans les espaces fortement urbanisés. Dans les grandes métropoles, 44 % des jeunes déclarent faire l’expérience de la solitude, soit 9 points de plus qu’en zone rurale (35 %). Ce déséquilibre se prolonge sur d’autres indicateurs de fragilité mentale : près de 1 jeune sur 2 en milieu urbain (49 %) rapporte des épisodes de nervosité ou d’anxiété réguliers, contre 41 % en milieu rural. De même, 40 % des urbains évoquent un sentiment récurrent d’épuisement lié au stress ou à la pression, contre 35 % parmi leurs homologues ruraux.

Les territoires moins denses semblent offrir un environnement plus protecteur : 80 % des jeunes ruraux ne sont pas atteints de dépression. C’est 7 points de plus que les jeunes vivant dans une métropole (73 %). Ces résultats invitent donc à dépasser une lecture trop mécanique de l’isolement. Si les occasions de sociabilité sont perçues comme plus limitées en milieu rural, les liens qui s’y tissent n’en sont pas nécessairement moins solides. Comme l’ont montré certaines études29Voir, par exemple, Benoît Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Paris, La Découverte, 2019., l’intensité et la régularité des relations peuvent constituer un ancrage fort, participant à construire un attachement profond à leur lieu de vie et agissant comme un rempart contre certaines formes de retrait. Ainsi l’isolement ne résulte pas uniquement d’un déficit quantitatif de contacts mais s’explique aussi par la qualité des relations nouées et par le rôle structurant qu’elles occupent dans l’environnement local.

Du stress aux violences scolaires et professionnelles : une montée en tension continue

Près de 9 jeunes sur 10 (87 %) affirment être régulièrement stressés par leurs études et les trois quarts des actifs ou étudiants ayant un emploi (75 %) se disent régulièrement stressés par leur travail.

Cette large diffusion du stress, relativement homogène dans l’ensemble de la population, ne semble pas seulement renvoyer à des situations individuelles, mais pourrait révéler une transformation plus profonde du rapport aux études et à l’activité professionnelle.

Pression à la performance, injonctions à la réussite, difficulté à concilier vie personnelle et exigences scolaires ou professionnelles peuvent nourrir un déséquilibre. Pour les jeunes, le stress au travail est d’ailleurs le deuxième facteur suscitant un niveau de frustration élevé (juste derrière la rémunération), démontrant ainsi l’importance qu’ils y attachent30Voir Yann Algan, Olivier Galland et Marc Lazar, Les Jeunes et le travail: aspirations et désillusions des 16-30 ans, Institut Montaigne, avril 2025..

La pression scolaire peut être aggravée par des expériences de violence ou de mise à l’écart. Le harcèlement scolaire constitue une réalité pour plus de 1 jeune sur 2 (52 %). Dans le détail, 31 % des répondants affirment avoir été victimes, 23 % en ont déjà été témoins et 11 % reconnaissent avoir eu des comportements susceptibles de blesser quelqu’un. Le fait que seulement 44 % des jeunes affirment n’avoir jamais été confrontés à une telle situation souligne l’ampleur du phénomène et la nécessité d’en faire un axe prioritaire de prévention et de soutien psychologique.

Subies tôt dans la trajectoire de vie, les expériences de harcèlement scolaire laissent des traces profondes. Les données confirment cette vulnérabilité accrue : seuls 25 % des jeunes ayant été victimes de harcèlement scolaire se déclarent non inquiets pour leur propre avenir, une proportion bien plus faible que ceux qui n’ont jamais été confrontés à une telle situation (39 %).

L’entrée dans la vie active constitue une autre phase charnière, souvent porteuse d’attentes fortes : trouver sa place, gagner en autonomie, concilier épanouissement personnel et stabilité professionnelle. Pourtant, cette période s’avère fréquemment marquée par un profond décalage entre les aspirations des jeunes et les conditions réelles d’emploi. À ce désajustement structurel s’ajoutent des expériences de violences psychologiques répandues : plus d’un tiers des étudiants exerçant une activité salariée (36 %) et près de 3 jeunes sur 10 en entreprise (27 %) déclarent avoir été confrontés à des formes de harcèlement moral31Ibid., p. 110.. Selon nos données, ce climat de stress chronique n’est pas sans conséquence sur la santé mentale puisqu’un un tiers des jeunes (33 %) déclarant être souvent stressés par leurs études et 41 % de ceux souvent stressés par leur travail sont atteints de dépression. Ces proportions chutent significativement chez les jeunes rarement ou jamais stressés : seuls 9 % sont concernés dans le cadre scolaire, et 14 % dans le cadre professionnel.

2. Le territoire, révélateur et amplificateur des vulnérabilités

L’importance du cadre de vie

Au-delà des sphères familiale, scolaire ou sociale, la santé mentale des jeunes se construit au quotidien dans un environnement façonné par les caractéristiques économiques, matérielles et symboliques de leur lieu de vie. Les résultats de l’enquête soulignent ainsi une corrélation entre la qualité perçue du cadre de vie et l’état de santé mentale. Plus des trois quarts des jeunes satisfaits de la situation économique et sociale de leur territoire (76 %) ou de l’offre de logements (75 %) déclarent aller bien psychologiquement, un niveau largement supérieur à la moyenne générale (64 %) et très éloigné de celui observé chez les jeunes insatisfaits de ces mêmes dimensions (51 %). Chez ces derniers, près d’un quart déclare une mauvaise santé mentale (24 % pour le logement, 23 % pour l’environnement économique).

Des différences notables sont également observées, quoique plus modérées, concernant d’autres composantes du cadre de vie telles que l’accès à la nature ou à des espaces verts, la qualité des services publics ou encore le rythme de vie local. Plus le niveau d’insatisfaction augmente, plus la probabilité de troubles psychiques s’élève.

Ces tendances sont confirmées par la lecture des réponses au questionnaire PHQ-9 : pour chacun des aspects du cadre de vie évalués, la proportion de jeunes souffrant de dépression est, en moyenne, supérieure de 12 points chez les insatisfaits par rapport à ceux qui se déclarent satisfaits. Le contraste le plus frappant concerne le rythme de vie : si 19 % des jeunes qui s’en disent satisfaits souffrent de dépression, ils sont 43 % parmi ceux qui considèrent cette cadence comme inadaptée. Ce décalage souligne à quel point un environnement perçu comme excessivement rapide, tendu ou déséquilibré peut devenir un facteur d’usure psychique. C’est ainsi que la santé mentale des jeunes ne saurait être pensée indépendamment de leur inscription territoriale. Elle reflète, en creux, la qualité des ressources locales, et la capacité de chaque territoire à offrir un cadre de vie soutenant et régulateur.

Mobilité contrariée, santé mentale fragilisée

Si un rythme de vie soutenu peut altérer l’équilibre psychique, une immobilité contrainte constitue également une source de mal-être. Ne pas pouvoir se déplacer librement, que ce soit pour rencontrer des proches, participer à des activités culturelles, honorer un rendez-vous professionnel ou accéder à des soins, revient à se heurter quotidiennement à une forme d’empêchement structurel.

Or l’entrave à la circulation représente un phénomène massif. Plus de trois quarts des jeunes (77 %) ont déjà dû renoncer à au moins une activité en raison de contraintes de transport. Pour 41 % d’entre eux, ces renoncements se répètent fréquemment. Et ce sont précisément les activités qui nourrissent le lien social qui sont les premières sacrifiées : les visites à des proches (57 %) ou les pratiques culturelles, sportives et de loisirs (56 %) arrivent en tête des abandons contraints. Autrement dit, les jeunes les plus entravés dans leurs déplacements sont souvent ceux qui voient leur réseau de soutien et leurs opportunités de détente se restreindre. Ces dimensions du quotidien–interaction, plaisir, appartenance–sont pourtant fondamentales pour prévenir l’isolement et préserver un équilibre psychologique.

Les données font apparaître ce lien de manière particulièrement nette. Près de 4 jeunes sur 10 (39 %) qui disent devoir souvent renoncer à des déplacements sont atteints de dépression, soit 14 points de plus que la moyenne des répondants (25 %). Ce lien entre difficultés de mobilité et dégradation du bien-être semble bien identifié au sein de la population française : 41 % des personnes ayant connu des symptômes dépressifs en attribuent au moins partiellement la cause à leurs difficultés de déplacement, et ce chiffre grimpe à 43 % parmi ceux qui déclarent des épisodes de stress ou d’anxiété32Victor Delage et Angèle Malâtre-Lansac, Mobilités : la santé mentale à l’épreuve des transports, Institut Terram, avril 2025, p. 12..

Si le renoncement à certains déplacements peut s’expliquer en partie par des freins d’ordre financier, il apparaît encore plus prononcé chez les jeunes résidant en zones rurales ou  périurbaines33Voir Félix Assouly, Salomé Berlioux et Victor Delage, op. cit.. Dans ces territoires, l’absence d’alternatives de transport fiables rend l’usage de l’automobile quasiment indispensable au quotidien. Or cette dépendance s’accompagne d’une double contrainte : celle des distances souvent importantes à parcourir et celle du coût direct et indirect des mobilités, amplifié par les fluctuations économiques. Dans ce contexte, l’obtention du permis de conduire constitue une condition d’accès aux ressources du territoire34Voir Baptiste Larseneur, Du permis à l’emploi : roulez jeunesse, Institut Montaigne, mai 2022. : emploi, soins, sociabilité. Faute de quoi, les jeunes peuvent se retrouver enfermés dans une forme d’immobilité subie, aux répercussions multiples sur leur bien-être et leur santé mentale.

Quand fragilités individuelles et territoriales se conjuguent

Les difficultés rencontrées par les jeunes ne se répartissent pas uniformément sur le territoire. Si certains environnements sont perçus comme agréables ou sécurisants, ils peuvent pourtant manquer de ressources essentielles–services publics, mobilité, lieux de sociabilité–et exposer les jeunes à un isolement latent. Cette ambivalence territoriale devient plus marquée encore dans les DROM, où la fragilité des conditions de vie se manifeste avec une intensité particulière. L’insatisfaction y dépasse largement les niveaux relevés dans l’Hexagone : 43 % des jeunes ultramarins se déclarent insatisfaits des services essentiels (santé, éducation, transports), soit plus du double de la moyenne nationale (21 %). En matière d’accès aux loisirs, à la culture ou au sport, l’écart est tout aussi frappant : 37 % des jeunes des DROM jugent l’offre locale insuffisante, contre 16 % en métropole. Ces disparités invitent à porter une attention ciblée aux territoires où se concentrent plusieurs formes de « précarité territoriale »–faible maillage institutionnel, éloignement géographique, rareté des opportunités économiques–et à les appréhender à une échelle fine, communale voire infracommunale, là où se logent concrètement les inégalités d’accès aux ressources.

Surtout, ces fragilités spatiales ne se superposent pas simplement aux vulnérabilités individuelles : elles interagissent avec elles. Les jeunes actifs soumis à une pression professionnelle forte, ceux confrontés à des difficultés financières aiguës ou encore ceux ayant grandi dans un environnement familial instable apparaissent nettement plus nombreux parmi les personnes exprimant une insatisfaction forte vis-à-vis de leur territoire de vie. Cette corrélation s’observe aussi dans les pratiques : 84 % des jeunes ayant connu une enfance marquée par une instabilité familiale déclarent devoir régulièrement renoncer à un déplacement, contre 77 % en moyenne.

Ces dynamiques croisées dessinent un véritable cercle d’accumulation des vulnérabilités. Les fragilités individuelles s’enracinent et se renforcent dans des contextes territoriaux plus ou moins protecteurs. Les jeunes très insatisfaits par au moins un élément de leur cadre de vie sont ainsi 27 % à se déclarer en mauvaise santé mentale, soit près du double de la moyenne (14 %), et 39 % souffrent de dépression (contre 25 % en moyenne). Autrement dit, l’état psychique des jeunes est indissociable de leur ancrage territorial : les inégalités spatiales ne se contentent pas d’accompagner les souffrances mentales, elles les structurent, les intensifient, et conditionnent largement les ressources disponibles pour y faire face.

3. L’horizon digital : entre refuge, miroir et poison

Entre connexion et déconnexion de soi

Souvent centrés sur les enfants ou les préadolescents, les débats publics sur les effets du numérique sous-estiment l’impact que ces usages peuvent avoir sur les jeunes adultes. Or les 15-29 ans apparaissent eux aussi profondément immergés dans un univers numérique devenu omniprésent. Le recours aux réseaux sociaux s’est installé comme une pratique quotidienne de masse : près de la moitié d’entre eux (44 %) y consacrent plus de trois heures par jour et 1 jeune sur 10 (10 %) y passe entre cinq et huit heures.

Ces résultats s’inscrivent dans un contexte où les effets des réseaux sociaux sur la santé mentale font l’objet d’une attention croissante. Le lien entre usage intensif et fragilité psychique est ainsi de plus en plus documenté35Voir Emily B. O’Day et Richard G. Heimberg, « Social media use, social anxiety, and loneliness : A systematic review », Computers in Human Behavior Reports, vol. 3, juillet 2021, article 100079. et commence à être pris en charge par le politique36Voir notamment la proposition d’un collectif d’eurodéputés, reprise par le président de la République, d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans : « Pour protéger les plus jeunes sur les réseaux, établissons en Europe l’âge de la majorité numérique à 15 ans », lemonde.fr, 14 juin 2025.. Cependant, à la question de savoir si l’utilisation intensive des réseaux sociaux est une cause des difficultés psychiques des jeunes ou si elle est une manifestation d’un mal-être déjà présent, la science n’est pas encore en mesure de trancher précisément37Voir Mélinée Le Priol,« Santé mentale : quel rôle jouent les réseaux sociaux dans le mal-être des adolescents ? », lacroix-com, 17 juin 2025..

La présente étude confirme une corrélation très nette : plus l’usage est prolongé, plus le bien-être déclaré se détériore. La dégradation se lit aussi bien dans les perceptions subjectives que dans les symptômes vécus. Ainsi, 44 % des jeunes qui passent plus de huit heures par jour sur les réseaux sont atteints de dépression. C’est trois fois plus que ceux qui y passent moins d’une heure (15 %). L’intensité du lien est marquée : à chaque palier horaire franchi, les fragilités psychiques s’intensifient.

Certaines dimensions du mal-être sont particulièrement exacerbées chez les plus connectés. La perte d’intérêt ou de plaisir à faire les choses affecte plus de trois quarts des jeunes (77 %) présents plus de huit heures sur les réseaux, contre moins de la moitié (49 %) parmi ceux qui y passent moins d’une heure. La fatigue chronique et le manque d’énergie touchent 57 % des premiers, contre 27 % des seconds. De manière similaire, les troubles de la concentration (69 % contre 45 %) ou une mauvaise image de soi (73 % contre 48 %) s’aggravent nettement avec l’usage.
Loin d’être anecdotiques, ces écarts suggèrent que le numérique agit non seulement comme révélateur de vulnérabilités préexistantes mais qu’il peut aussi contribuer à les amplifier.


Dans cette dynamique, le cyberharcèlement constitue une zone critique. Plus d’un quart des jeunes
(26 %) déclarent avoir déjà été victimes de violences numériques, dont 5 % de façon récurrente. Les effets de ces agressions ne sont pas seulement immédiats. Ils laissent des traces profondes sur la santé mentale. Plus de 1 jeune sur 2 (52 %) ayant été fréquemment ciblé par des actes de cyberharcèlement souffre de dépression, soit 34 points de plus par rapport à ceux n’ayant jamais été confrontés à ce type de violence (18 %).

Ces atteintes en ligne semblent s’ancrer dans des contextes déjà fragilisés. Les victimes de cyberharcèlement cumulent plus fréquemment d’autres facteurs de vulnérabilité : 75 % expriment une forte inquiétude face à l’avenir (contre 68 % en moyenne), 62 % déclarent une instabilité familiale (contre 48 %), 58 % ont connu des difficultés économiques durant l’enfance (contre 48 %) et 59 % disent avoir renoncé à des déplacements liés aux études (contre 42 %). De surcroît, 71 % d’entre eux ont déjà dû abandonner des activités sportives ou de loisirs en raison de contraintes de mobilité (contre 56 % dans l’ensemble).
L’univers numérique ne se résume pas simplement à un espace de lien et de sociabilité mais paraît aussi entretenir la solitude, la pression sociale et expose à des formes inédites de violence38Voir Théophile Lenoir, Gilles Babinet et Thierry Jadot, Internet : le péril jeune  ?, Institut Montaigne, avril 2020..

Il intensifie les mécanismes de comparaison et peut créer un sentiment d’exclusion pour celles et ceux qui ne parviennent pas à s’y conformer. Dans cet environnement saturé d’interactions, mais potentiellement pauvre en relations authentiques, le sentiment d’isolement peut se creuser, tout comme le mal-être face à un monde surconnecté, mais pas nécessairement plus accessible ni plus bienveillant.

Réseaux sociaux et vulnérabilités : une spirale silencieuse ?

Ces résultats reflètent une dynamique marquée par des logiques addictives, des stratégies de captation de l’attention et des ajustements algorithmiques permanent aux comportements des utilisateurs39Voir Centre de recherche en neurosciences de Lyon, « Dopamine, comment les applis piègent notre cerveau », cnrl.fr, s.d.. Ce design pensé pour retenir, voire capturer, mobilise des mécanismes cognitifs puissants, en particulier chez les plus jeunes, pour qui la frontière entre vie sociale et vie numérique est souvent poreuse. Toutefois, la même question demeure : la surexposition aux réseaux sociaux est-elle un facteur causal du mal-être psychique ou bien un symptôme de celui-ci ? En d’autres termes, les jeunes vulnérables s’y réfugient-ils davantage pour compenser une solitude, un désœuvrement, ou bien ces usages excessifs contribuent-ils directement à entretenir, voire à aggraver, leur fragilité ? Les résultats apportent des éléments de réponse sans toutefois prétendre clore le débat. Ils révèlent un usage plus intensif des réseaux sociaux chez les jeunes présentant des caractéristiques qui semblent les exposer davantage aux problèmes de santé mentale. Ainsi, 53 % des jeunes en grande précarité financière y consacrent plus de trois heures par jour, contre 40 % de ceux qui n’en rencontrent pas.

Cette fréquence d’utilisation est aussi plus souvent associée à un renoncement répété à des activités en raison de difficultés de déplacements (47 %, contre 36 % parmi les moins connectés). À l’inverse, les jeunes qui s’investissent dans des activités culturelles ou sportives apparaissent globalement moins exposés à un usage soutenu des réseaux. Ainsi, 4 répondants sur 10 (41 %) qui pratiquent une activité physique y consacrent plus de trois heures par jour, soit 10 points de moins que ceux qui n’en pratiquent pas (51 %). Enfin, sur le plan du lieu de résidence, cette tendance à un usage prolongé s’observe avec une intensité légèrement plus accrue dans les espaces urbains : 45 % des jeunes vivant en milieu urbain passent plus de trois heures par jour sur les réseaux, contre 41 % en zone rurale40Nous faisons ici référence à la typologie par catégorie d’agglomération. L’expression « jeunes urbains » désigne les jeunes vivant dans des villes de plus de 100 000 habitants..

Ces données suggèrent que l’hyperconnexion ne relève pas uniquement d’un attrait spontané pour les outils numériques mais peut aussi traduire un manque d’alternatives hors ligne. Dans ce contexte, les réseaux sociaux pourraient constituer un refuge et acter une forme de repli pour des jeunes confrontés à des obstacles d’ordre matériel, social ou liés à leur territoire.

À défaut de pouvoir trancher la question de la causalité, l’enquête met en évidence une dynamique de surexposition face aux risques liés à la santé mentale. Les jeunes les plus connectés sont aussi ceux qui cumulent d’autres vulnérabilités : précarité économique, isolement social, renoncements multiples… Les réseaux sociaux ne sont sans doute pas à l’origine exclusive du mal-être, mais ils en sont potentiellement le miroir, le catalyseur et, parfois, le poison silencieux. Derrière l’écran, ils pourraient traduire autant qu’ils alimentent les failles d’un quotidien fragilisé.

Les réseaux sociaux, meilleurs ennemis d’une génération connectée ?

Dans un débat dont les contours demeurent flous, il semble important de ne pas réduire les réseaux sociaux à un simple facteur de risque. Ils remplissent, pour une large part de la jeunesse, une véritable fonction sociale. Après le divertissement, cité par 70 % des répondants, c’est la possibilité de maintenir le lien avec des proches éloignés qui constitue leur deuxième usage principal (51 %), bien loin devant le suivi de l’actualité et des tendances (27 %) ou la recherche d’informations sérieuses (22 %). À noter également que 7% des jeunes disent y chercher un soutien moral ou échanger sur des forums, signe que les plateformes peuvent aussi être perçues comme des espaces d’écoute, à défaut de mieux.
Mais derrière cette recherche d’aide se dessine une alerte : parmi ces jeunes qui investissent les réseaux comme espace de soutien, 45 % souffrent de dépression, un niveau nettement supérieur à la moyenne (25 %). Or les dérives sont désormais bien identifiées : cyberharcèlement, mises en scène de suicides41Voir, par exemple, Isabelle V., « Suicide sur internet : un effet d’entraînement », santé-sur-le-net.com, 1er juillet 2024., tendances incitant à l’anxiété ou à la glorification des troubles psychiques42Voir Michaël Stora, « La tendance “Skinny Tok” révèle la machine infernale des réseaux sociaux », la-croix.com, 15 juin 2025.

Ces phénomènes s’épanouissent dans un vide de régulation encore criant. Dernière évolution en date, le recours croissant à des outils d’intelligence artificielle comme substituts de soutien psychologique43Ibid.. Cette externalisation algorithmique de l’écoute pose une question collective : quelle place souhaite-t-on encore accorder à la relation humaine, au soin incarné, à l’échange réel, en particulier sur des enjeux aussi sensibles que la santé mentale ?


Ce questionnement rejoint un paradoxe rarement souligné : malgré leur usage massif et un rapport au numérique supposé instinctif, une partie importante de la jeunesse exprime envers celui-ci une lassitude, voire un rejet. Une étude récente indique que 1 jeune sur 2 rêve d’un monde sans Internet44Voir British Standards Institution, « Half of young people want to grow up in a world without internet », bsigroup.com, 20 mai 2025., une autre que la moitié considère que les réseaux sociaux nuisent à la santé mentale45Voir Cassandre Rogeret, « Réseaux sociaux : la santé mentale des jeunes en danger », informations-handicap.fr, 12 mai 2025.. Plus qu’une simple critique, c’est l’aspiration à une société plus ancrée dans le réel ou, a minima, moins happée par une réalité virtuelle de plus en plus déceptive, qui s’exprime. Mais c’est aussi l’aveu d’un enfermement, celui d’une génération qui, tout en en connaissant les effets, peine à s’affranchir d’un environnement numérique devenu quasiment incontournable.

III. Faire face : sensibilisation, accès aux soins et leviers territorialisés d’action

1. Une prise en charge encore fragmentée

Une réalité qui semble sous-diagnostiquée

Les chiffres sont sans appel : la santé mentale s’impose comme un enjeu central de santé publique, et la jeunesse en est l’un des premiers visages46Voir « Santé mentale : le mal du siècle ? », France Culture, radiofrance.fr, podcast, 7 mai 2025 ; Octave Larmagnac-Matheron, « La santé mentale des jeunes, nouveau “mal du siècle” ? », philomag.com, 3 janvier 2022 ; Didier Arnaud, « Au cœur de la bioéthique. Anxiété et dépression : le mal du siècle ? », libération.fr, 13 janvier 2025.. Confrontés à un enchevêtrement de pressions–sociales, économiques, scolaires, numériques ou environnementales–, les jeunes manifestent un mal-être. Mais derrière ce constat, une question essentielle persiste : ces jeunes parviennent-ils réellement à être accompagnés ? Trouvent-ils des espaces d’écoute, des interlocuteurs compétents, et un système de prise en charge à la hauteur de leurs besoins ? À travers les pratiques de recours ou de renoncement, se dessine en creux la fragilité d’un système encore trop peu adapté à leurs besoins spécifiques.

Si le tabou se fissure progressivement, le passage à la parole reste, pour nombre de jeunes, un chemin escarpé. Selon un récent sondage, 68 % des Français déclarent qu’il leur est facile d’évoquer leurs problèmes de santé physique, mais ils ne sont plus que 52 % à affirmer la même chose s’agissant de leur santé mentale47Voir « Enquête sur la santé mentale des Français », étude Ipsos-Cesi école d’ingénieur pour France 2, mai 2025, p. 4.. Ce chiffre chute encore davantage chez les plus jeunes (37 %), signe que le poids du silence et des représentations sociales reste encore prégnant.

D’après nos données, 7 jeunes sur 10 (69 %) déclarent avoir déjà évoqué leur santé mentale avec quelqu’un. Cette parole passe surtout par le cercle intime–amis (52 %) ou famille (47 %)–et reste ponctuelle. Seuls 38 % des jeunes interrogés ont déjà échangé avec un professionnel à ce sujet, et à peine 1 jeune sur 5 (21 %) l’a fait à plusieurs reprises.

En revanche, ceux qui en parlent ont tendance à le faire dans plusieurs cercles, notamment auprès de leur entourage proche, de leurs amis, mais aussi de professionnels. Ainsi, parmi les jeunes ayant parlé plusieurs fois à un professionnel, 80 % en ont également parlé à plusieurs reprises à des amis (contre 52 % dans l’ensemble) et à leur famille (contre 47 % pour l’ensemble). De même, ceux qui en ont parlé plusieurs fois à leur famille sont 81 % à le faire aussi avec leurs amis et 64 % avec un professionnel. L’âge intervient comme une variable déterminante : parmi les 15-17 ans, 61 % n’ont jamais consulté. Cette proportion diminue progressivement pour atteindre 57 % chez les 26-29 ans.

Parmi les personnes interrogées qui consultent un professionnel, 37 % se voient diagnostiquer un trouble psychiatrique (par exemple : anxiété, dépression, troubles bipolaires, obsessionnels ou encore troubles liés à une addiction). Ce chiffre important ne doit pas masquer une réalité plus inquiétante : il ne concerne que ceux qui ont consulté un professionnel de santé. Or, rappelons-le, selon nos données, un quart des jeunes (25 %) souffrent de dépression. Et pourtant, les jeunes qui ont déjà été diagnostiqués de divers troubles ne représentent « que » 14 % de l’ensemble des répondants. Ce décalage suggère un « manque à diagnostiquer » préoccupant qui révèle des failles dans la prise en charge de la souffrance mentale. Les chiffres issus de différentes enquêtes à ce sujet le confirment : à titre d’exemple, un sondage paru en 2024 révélait que 55 % des jeunes de 18 à 24 ans avaient déjà été affectés par un trouble de santé mentale48Voir Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, « Prendre soin de la santé mentale… », art. cit..

Recours aux soins : les jeunes vivant dans des territoires plus exposés
ne sont pas les mieux suivis

Les territoires où les signes de mal-être sont les plus marqués chez les jeunes ne sont pas toujours ceux où les formes d’accompagnement sont les plus sollicitées. C’est le cas dans les DROM, où la situation se distingue de celle observée dans l’Hexagone. Ces territoires cumulent souvent des fragilités socio-économiques49Voir Cédric Ménissier, France paralysée, Outre-mer sacrifiés ?, Institut Montaigne, 15 janvier 2025., des taux de chômage élevés50Voir Insee, Tableau de bord de l’économie française : taux de chômage selon la taille des zones d’emploi (outil interactif 5367857–indicateur 52_CHO), Insee, juin 2025., des inégalités d’accès aux logements51Voir « Lutte contre l’habitat indigne et insalubre en Outre‑mer », ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, juillet 2020. et des défis infrastructurels52Voir « Gestion de l’eau et de l’assainissement en Outre-mer », Conseil économique, social et environnemental, avril 2022., autant de facteurs qui peuvent aggraver le sentiment de solitude chez les jeunes. Ils sont 58 % à déclarer ressentir un tel état, contre 41 % des répondants en moyenne.

Bien que les indicateurs d’autoévaluation de la santé mentale y soient particulièrement dégradés, les jeunes recourent moins aux professionnels de santé (psychologue, psychiatre, médecin généraliste, infirmier, etc.) et expriment moins souvent le besoin de le faire. Près de la moitié des jeunes interrogés dans les DROM déclarent n’avoir jamais ressenti le besoin de consulter (47 % contre 40 % en moyenne), et seulement 30 % indiquent avoir parlé de leur santé mentale à un professionnel (contre 38 %). Cette situation masque cependant des disparités notables entre les différents territoires ultra-marins : 34 % des jeunes ont déclaré avoir consulté un professionnel en Martinique, contre seulement 26 % en Guyane et 27 % à Mayotte.

Cette moindre sollicitation ne semble pas s’expliquer uniquement par une réticence à se confier. En témoignent les données martiniquaises : 45 % des jeunes n’ont évoqué leur santé mentale qu’avec des proches, soit 15 points de plus que pour l’ensemble des Français (30 %). Ce recours au cercle amical souligne l’importance des solidarités de proximité, mais pourrait aussi pointer divers freins au recours professionnel. On peut ainsi envisager différents facteurs tels que le manque de sensibilisation à la santé mentale, ou encore des obstacles concrets d’accessibilité géographique53Voir Céline Dufour, « Accès aux soins en Outre-Mer : à situations particulières, solutions particulières », alcimed.com, 12 décembre 2022..

Une dynamique comparable, est observable dans les zones urbaines, où le contraste entre jeunes citadins et jeunes ruraux se manifeste de manière singulière. Comme l’a montré l’étude, les jeunes vivant dans des espaces densément peuplés sont plus fréquemment confrontés à des expériences corrélées à une mauvaise santé mentale : stress lié aux études ou au travail, sentiment d’isolement malgré la promiscuité, hyperconnexion numérique… Ces environnements, bien que riches en opportunités, pourraient correspondre à des contextes de saturation émotionnelle, d’instabilité, ou de difficulté à trouver du sens.

Cependant, le mal-être un peu plus marqué des jeunes urbains ne se traduit pas toujours par un recours effectif aux soins. Dans l’agglomération parisienne, par exemple, près d’un quart des jeunes (24 %) déclarent ne pas avoir consulté de professionnel malgré un besoin ressenti, un chiffre significativement plus élevé que dans les zones rurales (15 %) ou les agglomérations de moins de 20 000 habitants (14 %).

Ainsi, les jeunes vivant en milieu urbain déclarent plus fréquemment des symptômes dépressifs et un besoin d’aide non satisfait que ceux vivant en milieu rural. À l’inverse, les jeunes ruraux sont proportionnellement moins nombreux à déclarer un état dépressif ou à avoir ressenti le besoin de consulter sans l’avoir fait.

Face à des points d’entrée multiples, un enjeu de coordination territoriale

Lorsqu’ils consultent, les jeunes s’adressent à une grande variété d’interlocuteurs. Les professionnels les plus sollicités sont les psychologues (56 %) et les médecins généralistes (46 %), suivis par les psychiatres (25 %). D’autres figures, bien que moins fréquemment mobilisées, jouent également un rôle dans le premier accueil de cette parole : infirmiers (17 %), praticiens de médecines douces (14 %), médecins du travail (12 %), ou encore travailleurs sociaux (9 %).

La diversité des points d’entrée dans un éventuel parcours de soins semble traduire des parcours non coordonnés et un besoin de mieux orienter in fine les jeunes vers une prise en charge adaptée. Certaines initiatives récentes vont en ce sens, à l’image du projet Soins d’équipe en santé mentale (Sésame), dédié à la patientèle adulte et déployé dans le cadre de l’article 5154Les expérimentations permises par l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 ont vocation à promouvoir des organisations innovantes contribuant notamment à améliorer le parcours des patients, l’efficience du système de santé ou encore l’accès aux soins. Elles permettent ainsi de déroger au droit commun dans ce cadre. : s’appuyant sur la coopération entre médecins généralistes, infirmiers et psychiatres, ce dispositif propose d’améliorer le repérage et la prise en charge en soins primaires, mais également l’orientation précoce vers les soins spécialisés pour ceux qui en ont besoin55Voir Johanna Couvreur,« Soins collaboratifs en santé mentale : le modèle Sésame », Institut Montaigne, communiqué de presse, 
4 octobre 2023..

Chaque territoire possède ses propres spécificités en matière de recours aux soins en santé mentale. Ainsi, en Bretagne et dans les Hauts-de-France, respectivement 57 % et 54 % des jeunes ayant déjà consulté déclarent s’être tournés vers leur médecin généraliste, contre 46 % en moyenne.

Le généraliste devient alors l’interlocuteur privilégié et assure le recueil initial du mal-être des jeunes. Par ailleurs, 61 % des jeunes du Grand Est et 62 % de ceux d’Auvergne-Rhône-Alpes et de Bourgogne-Franche-Comté déclarent avoir échangé avec un psychologue, contre seulement 50 % en Nouvelle-Aquitaine et 47 % dans les Pays de la Loire. Cette hétérogénéité se retrouve dans le recours au psychiatre. Si, en moyenne, un quart des jeunes (25 %) déclarent avoir consulté un psychiatre, cette proportion varie fortement : elle atteint 32 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse et 29 % en Normandie, mais chute à 20 % dans les DROM.

2. Garantir l’accès aux soins : entre barrières logistiques, sociales et psychologiques

Ceux qui ne consultent pas malgré un besoin déclaré : les visages multiples du renoncement

Quatre jeunes sur dix (40 %) disent n’avoir jamais consulté de professionnel et « n’en avoir jamais ressenti le besoin », mais à l’inverse, 19 % reconnaissent avoir eu besoin d’aide sans jamais franchir le pas. Plusieurs motifs apparaissent comme des freins majeurs à la consultation. La première barrière identifiée est psychologique : un quart des jeunes concernés (24 %) déclarent ne pas oser franchir le pas, par peur du jugement ou de la stigmatisation.
Un autre obstacle réside dans la méconnaissance des dispositifs existants puisque 13 % des jeunes déclarent ne pas savoir vers qui se tourner : une donnée qui interpelle au regard de la multiplication des dispositifs d’écoute nouvellement déployés (Nightline, ligne de prévention suicide 3114, dispositif « Mon soutien psy »…). À cela s’ajoutent des freins matériels : 17 % mentionnent le coût comme principal motif de renoncement, 10 % évoquent ne pas avoir eu le temps. Enfin, les obstacles d’ordre structurel ou géographique apparaissent un peu plus marginaux : 5 % des jeunes concernés déclarent ne pas avoir réussi à obtenir un rendez-vous et 6 % évoquent des difficultés d’accès territoriales (transports, éloignement, etc.).

Des jeunes renoncent aussi en raison d’un scepticisme sur l’efficacité même de la démarche thérapeutique : 18 % estiment que consulter ne les aurait pas aidés. Cette défiance, qu’il ne faut pas interpréter trop hâtivement comme un rejet de la psychologie ou de la psychiatrie, peut provenir d’une mauvaise expérience passée, ou bien refléter une méconnaissance des approches disponibles, ainsi qu’une perte de confiance plus globale dans les institutions.

Prévenir pour mieux prendre en charge : l’enjeu de la sensibilisation

Face aux différentes barrières identifiées et à la prégnance du tabou qui entoure la santé mentale, la question de la sensibilisation pourrait constituer un maillon central de l’accès aux soins. Avant même de pouvoir consulter, encore faut-il avoir identifié un trouble, reconnu un mal-être comme digne d’attention et surtout, avoir été exposé à des cadres, à des discours et à des espaces qui rendent cette souffrance dicible. Le volet informatif de la prévention constitue ainsi un levier clé. La sensibilisation ne relève pas seulement d’un outil technique de santé publique : elle dit, en creux, ce que la société choisit de reconnaître, de rendre visible et de prendre en charge.

Or, si plus de trois quarts des jeunes (76 %) déclarent avoir déjà été sensibilisés à la santé mentale, ce résultat est relativement contrasté. En effet, seule une courte majorité des répondants (51 %) déclare avoir été sensibilisée par plusieurs sources ou acteurs à la fois. Plus inquiétant, 1 jeune sur 5 (21 %) affirme n’avoir jamais été exposé à un message de sensibilisation, et ce malgré la libération progressive de la parole sur la santé mentale dans l’espace public56Voir Louis Besmond de Senneville, « Bipolarité de Nicolas Demorand : l’indispensable #MeToo de la santé mentale », la-croix.com, 
27 mars 2025 ; Catherine Pacary,« “Santé mentale : briser le tabou” sur M6, des célébrités et des anonymes témoignent », lemonde.fr, 
6 mai 2025..

Le milieu scolaire, pourtant bien placé pour devenir un levier stratégique de prévention à large échelle, reste encore à la marge sur ces questions : seuls 20 % des jeunes déclarent avoir été sensibilisés par des initiatives de leur établissement et 15 % par la médecine scolaire ou universitaire. Même en les cumulant, les actions de prévention scolaires ne concernent que 29 % des répondants. L’information et la sensibilisation sur la santé mentale à l’école, à l’aune du plan santé scolaire57Voir Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, « Santé scolaire : agir pour les élèves, au cœur de l’école », education.gouv.fr, mai 2025., pourraient avoir un rôle charnière au sein d’une politique de santé mentale ambitieuse alors que selon les résultats de l’enquête, 19 % des 15-17 ans sont aujourd’hui en situation de dépression. Le monde médical, de son côté, ne joue pas un rôle beaucoup plus actif : 19 % des jeunes ont été sensibilisés par un médecin ou un professionnel de santé et seulement 11 % par des associations spécialisées.

À l’image d’un système de santé qui demeure focalisé sur le curatif et qui laisse peu de place au préventif58Voir Laure Millet, La Prévention en santé, les nouveaux impératifs, Institut Montaigne, « Note d’enjeux », septembre 2023., la sensibilisation sur les sujets de santé mentale n’est pas encore pleinement intégrée à l’accompagnement médical. Si des engagements récents ont été pris par le gouvernement sur le plan du repérage et de la prise en charge de la souffrance psychique, avec notamment les mesures santé scolaire59Voir Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, « Santé scolaire : agir… », art. cit. et le plan psychiatrie60Voir « Ce qu’il faut retenir du plan psychiatrie », info.gouv, 12 juin 2025., les question de la prévention en général et de la sensibilisation sont encore faiblement investies, malgré le plébiscite des différents acteurs, et notamment des praticiens hospitaliers61Voir « Le gouvernement dévoile un plan pour la santé mentale », lemonde.fr, 12 juin 2025..

À l’heure actuelle, la sensibilisation des jeunes semble circuler par d’autres canaux. Les proches demeurent le premier vecteur d’échanges : 43 % des jeunes déclarent avoir déjà été sensibilisés par leur biais (30 % par leur famille, 26 % par leurs amis). Les sphères intimes et relationnelles tendent ainsi à pallier ce dont les institutions peinent à se saisir efficacement. De plus, les réseaux sociaux (31 %) et les médias traditionnels (25 %) jouent un rôle central dans la fabrique des savoirs et des représentations sur la santé mentale. C’est ainsi que 41 % des jeunes se disent sensibilisés à ces enjeux par les médias et réseaux sociaux alors même que la qualité des contenus disponibles a démontré son hétérogénéité–plus de la moitié des contenus de santé mentale sur TikTok (52 %) contient de la désinformation selon une récente étude62Rachel Hall et Rachel Keenan, « More than half of top 100 mental health TikToks contain misinformation, study finds », theguardian.com, 
31 mai 2025..

Là où la sensibilisation est faible, les jeunes sont moins outillés pour nommer ce qu’ils vivent, pour chercher l’aide dont ils ont besoin et, dès lors, le soin peut s’avérer plus difficile et plus tardif, quand il n’est pas absent. Les jeunes qui ont été sensibilisés ont davantage tendance à parler de leur santé mentale, notamment auprès des professionnels, que ceux qui n’ont pas été sensibilisés (42 % de ces derniers ont parlé à un professionnel, contre 24 % pour ceux qui ne sont pas sensibilisés).

Il est important de noter par ailleurs que les jeunes non sensibilisés sont également les plus nombreux à ne pas avoir ressenti le besoin de parler de leur santé mentale. Ils sont ainsi environ 6 sur 10 à indiquer ne pas avoir ressenti le besoin d’en parler à un professionnel (62 %), à leur famille (57 %) ou à des amis (55 %). Ces chiffres s’élèvent respectivement à 40 %, 33 % et 31 % pour l’ensemble des répondants.

Les répondants non sensibilisés sont, dans leur grande majorité, en dehors d’un état dépressif : 84 % d’entre eux obtiennent un score indiquant une absence de trouble, contre 75 % pour l’ensemble des personnes interrogées. Est-ce le signe que les jeunes sensibilisés sont ceux ayant déjà un mal-être présent ? Renforcer les politiques de prévention permettrait de bâtir la condition même d’un droit à la santé mentale pour tous et ainsi pouvoir davantage assurer le repérage précoce de ceux qui en ont besoin pour les orienter dans des parcours de soins adaptés.

3. Écouter les jeunes : leurs propositions comme boussole

Les jeunes doivent être considérés comme des acteurs capables de formuler leurs attentes et de proposer des pistes d’amélioration. C’est dans cette optique que l’étude a intégré une question prospective sur les mesures jugées les plus efficaces pour améliorer la santé mentale des jeunes63Point méthodologique : la méthode retenue reposait sur un double filtrage qui visait en premier lieu à faire émerger des thématiques d’action prioritaires–faciliter l’accès aux soins et à l’information, renforcer l’offre de soins, améliorer l’accessibilité financière, renforcer la prévention et la sensibilisation, ou encore promouvoir le bien-être et l’autonomie–, puis à sélectionner, au sein de leurs deux thématiques préférées, deux mesures précises parmi une liste resserrée.. Les résultats montrent une répartition relativement équilibrée des choix entre les grands axes proposés. En tête, on retrouve « faciliter l’accès aux soins et à l’information » (36 %) et « renforcer la prévention et la sensibilisation » (36 %). Viennent ensuite les efforts pour « rendre les soins plus accessibles » (34 %) et « renforcer l’offre de soins et l’accompagnement » (31 %). Enfin, 29 % des jeunes jugent qu’il faut « promouvoir le bien-être et l’autonomie face aux troubles mentaux ». Les faibles écarts entre ces types d’initiatives confirment une attente globale et multidimensionnelle envers l’action publique, touchant à la fois à l’offre de soins, à sa lisibilité, à la prévention et aux leviers du quotidien.

À l’intérieur de ces axes stratégiques, certaines propositions concrètes suscitent une adhésion particulièrement forte. La réduction du coût d’accès aux soins en santé mentale (19 %) arrive en tête des propositions. Alors que le coût est le premier frein le plus cité par les répondants, cette attente semble confirmer le poids perçu des inégalités économiques dans les parcours de soin, y compris chez les plus jeunes. Cette préoccupation est d’autant plus forte chez les répondants déclarant être en mauvaise santé mentale : 27 % d’entre eux identifient ce levier comme prioritaire, soit un écart de 8 points par rapport à la moyenne (19 %). De même, 23 % des femmes le voient comme un levier majeur. Actuellement, l’accès aux soins psychiatriques est entièrement couvert dans les centres médico-psychologiques (CMP), mais il existe une forte pénurie de psychiatres, répartis inégalement sur le territoire64Voir Stéphanie Dupays et Julien Emmanuelli, « Les centres médico-psychologiques de psychiatrie générale et leur place dans le parcours du patient », Inspection générale des affaires sociales (Igas), rapport n° 2019-090R, juillet 2020, p. 71-135..

Si la psychiatrie libérale est un peu mieux distribuée, les territoires les mieux lotis en la matière sont souvent ceux où le dépassement d’honoraires est le plus important65Voir « Territoires captifs des dépassements d’honoraires pratiqués par les médecins libéraux. Question de Mme Sollogoub Nadia (Nièvre-UC) publiée le 13/08/2020 », Sénat, question écrite n° 17604-15e législature.. Enfin, si le dispositif « Mon Soutien Psy » vise à faciliter l’accès aux soins, il reste encore limité à une dizaine de consultations et la rémunération, très en deçà des tarifs standards, écarte de nombreux psychologues de cette initiative66Voir« “Mon soutien psy” ne répond pas à une exigence de qualité des soins, mais à une logique économique », tribune de 173 enseignants-chercheurs en psychologie clinique, lemonde.fr, 5 juin 2025..  

La deuxième mesure la plus citée est le soutien à des activités favorisant le bien-être mental, comme le sport, la pratique artistique, le contact avec la nature ou les dynamiques collectives (16 %). Ce résultat invite à penser la santé mentale, moins comme un état à réparer, que comme un équilibre à cultiver. Il dessine les contours d’une approche intégrative, où les politiques de prévention, les dynamiques associatives, les espaces de convivialité ou les environnements peuvent jouer un rôle décisif.

Plusieurs mesures suscitent le même niveau d’attention parmi les réponses. D’une part, les jeunes appellent à une plus grande prise en compte de la santé mentale dans les espaces éducatifs–écoles, universités, lieux de formation–pour favoriser la détection précoce et lutter contre la stigmatisation (15 %). Ce souhait reflète une demande de prévention et de ciblage précoce et appelle à la reconnaissance de la souffrance psychique dès les premières manifestations. D’autre part, une même proportion de répondants (15 %) cite l’amélioration de la lisibilité du système de soins : savoir à qui s’adresser, comprendre les étapes du parcours, disposer d’informations claires sur les services de proximité. Cette attente ne relève pas uniquement d’un problème de communication ; elle dit aussi la difficulté, pour de nombreux jeunes, à se repérer dans un système souvent perçu comme fragmenté et trop technicisé : selon un sondage de 2023, 51 % des Français considèrent que l’accès aux services de santé est compliqué, long ou partiel67« Les Français et le système de santé », sondage Elabe pour Les Échos et l’Institut Montaigne, 2 novembre 2023, p. 4.. Ce constat avait d’ailleurs motivé la réalisation d’une Mission Santé Jeunes, demandée par Olivier Véran, alors ministre de la Santé, afin de proposer des recommandations pour une culture de la promotion de la santé chez les jeunes en France68Voir Pauline Martinot et Aude Nyadanu, « Mission Santé Jeunes. Pour une culture de la promotion de la santé chez les jeunes en France. 10 propositions-50 mesures », sante.gouv, 4 mars 2022.. Or, trois ans plus tard, la nécessité d’un tel changement de paradigme demeure.

Enfin, la nécessité d’agir plus fermement contre le harcèlement chez les jeunes (15 %) s’impose comme un autre axe déterminant. Ce résultat met en lumière l’importance accordée à ce facteur et le positionnement au même niveau de priorité que des mesures structurelles (accès aux soins, formation, lisibilité), traduisant une conscience aiguë du rôle délétère de la violence sociale dans la genèse de la souffrance mentale.

Ce que disent les jeunes dépasse donc la seule énumération de mesures : ils dessinent un paysage social et politique de la santé mentale. Leurs attentes interrogent les angles morts des politiques actuelles, dénoncent les freins matériels autant que symboliques, et formulent une exigence de transformation. En ce sens, leurs propositions ne sont pas seulement des indicateurs de besoins, mais des boussoles pour refonder une politique de santé mentale à hauteur d’expérience.

Conclusion

La santé mentale des jeunes s’érige en ligne de faille majeure, révélatrice d’un désajustement entre les aspirations d’une génération et les structures dans lesquelles elle est sommée de se construire. Car ce que l’étude donne à voir ne se limite pas à un faisceau de symptômes. Ce sont une dynamique d’épuisement, une érosion diffuse du sentiment de stabilité, un effritement de la confiance qui traversent la jeunesse dans sa pluralité.

L’enquête met en lumière ce que les jeunes expriment–et aussi ce qu’ils taisent–sur la fatigue, la pression, sur la peur d’un avenir qui se dérobe. Elle nous oblige à regarder en face les mécanismes qui affectent leur équilibre : précarité, périodes de transition, sentiment de surcharge, harcèlement scolaire ou numérique, manque d’accès aux soins, insatisfactions territoriales.
Elle invite à tenir compte des conditions dans lesquelles cette santé mentale se construit ou se délite. La santé mentale est située, enracinée dans des contextes, façonnée par des territoires de vie, tendue par des rythmes, des normes, des attentes sociales. Elle est traversée d’inégalités.

En prendre la mesure, c’est reconnaître que toute décision publique–qu’elle relève de l’éducation, du logement, de la mobilité, de l’aménagement du territoire ou environnementale…–engage aussi quelque part, la santé mentale. C’est tenir compte de la réalité des expériences qui traversent la jeunesse aujourd’hui et l’affectent. Ces résultats donnent ainsi à voir une cartographie sensible de l’état de la santé mentale des jeunes aujourd’hui, dans l’Hexagone et dans les territoires ultramarins. Ils offrent des repères concrets pour comprendre et agir efficacement. Mais cette action publique ne peut se limiter à réparer. Elle doit prévenir, soutenir, accompagner, et écouter ce que les jeunes ont à dire de leurs expériences et de leurs besoins. À travers cette étude, un appel se dessine avec force : faire de la santé mentale des jeunes un axe structurant de notre contrat social.

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