Depuis quelques mois, des signaux émergent dans les territoires : ralentissements de projets, reports d’aménagements, discrétion sur les ZFE ou sur l’artificialisation des sols. Après plusieurs années de mobilisation autour de la transition écologique, l’horizon municipal de 2026 suscite une forme de prudence. L’écologie inquiéterait, diviserait, et les élus redouteraient d’être associés à des mesures impopulaires.
Cette lecture est compréhensible et se traduit d’ailleurs fortement dans les débats au Parlement, mais elle est pourtant inexacte. Les résultats de notre dernière note publiée à l’Institut Terram, fondée sur une enquête nationale réalisée par Project Tempo, montrent que les Français ne rejettent pas la transition écologique. Ce qu’ils refusent, ce sont les politiques jugées injustes, technocratiques, ou déconnectées de leur réalité quotidienne.
Une adhésion massive à la transition, mais un doute sur la méthode
Contrairement aux discours alarmistes sur un prétendu « backlash écologique », 7 Français sur 10 considèrent au contraire qu’il est essentiel que la France mette en place une politique de lutte contre le dérèglement climatique. Une très large majorité de Français, qu’ils habitent dans des communes rurales (65%), dans des communes de 20 000 à 100 000 habitants (69%) ou dans des communes de plus de 100 000 habitants (74%) partagent cette volonté, confirmant ainsi l’existence d’un large consensus de principe.
Mais ce soutien s’accompagne d’un malaise sur la mise en œuvre, avec un sentiment marqué que les politiques environnementales sont trop descendantes et ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités locales. Ainsi, moins d’un quart des citoyens estiment que leur territoire a été correctement protégé et valorisé par les gouvernements successifs. Cette défiance est particulièrement marquée dans certaines régions, au premier rang desquelles la Normandie (15 % de satisfaits), les Pays de la Loire (17 %) et la Bretagne (18 %). L’ouest, traditionnellement attaché à son identité territoriale, apparaît ainsi comme l’un des foyers d’insatisfaction les plus marqués.
Les maires, acteurs légitimes d’une transition ancrée
En matière environnementale, les maires disposent d’un avantage décisif : la légitimité. Selon notre enquête, 7 Français sur 10 déclarent même que lors de la prochaine élection présidentielle, ils chercheront à voter pour un candidat qui donnera davantage de pouvoirs aux élus locaux, pour qu’ils puissent apporter les changements nécessaires dans leurs territoires. Dans le même ordre d’idées, la moitié des répondants déclarent préférer que les responsables politiques tiennent compte des spécificités territoriales plutôt que de parler du pays comme d’un ensemble uniforme. Seuls 22 % se prononcent en faveur d’une approche unitaire et centralisée – les 28 % restants n’exprimant pas de préférences sur ce sujet).
Ces résultats peuvent être interprétés comme le reflet d’un désajustement croissant entre les attentes citoyennes et la structure actuelle de l’action publique, perçue comme trop descendante, standardisée et insuffisamment réceptive aux spécificités locales.
C’est donc à cette échelle locale qu’il est possible de faire le lien entre l’environnement et les autres priorités quotidiennes de la population : logement, mobilités, énergie, alimentation, qualité de vie. C’est aussi à ce niveau que certaines résistances peuvent être désamorcées.
Piloter la transition avec précision : l’apport d’outils comme le MRP
Encore faut-il que les élus locaux disposent d’outils de compréhension fine des attentes territoriales. Trop souvent, la transition écologique se construit à l’aveugle, faute de données solides sur les perceptions locales.
C’est tout l’intérêt d’approches comme le MRP (régression multiniveau avec post-stratification), utilisé dans notre enquête. Cette méthodologie, inédite en France, permet d’estimer finement les attitudes vis-à-vis de la transition à l’échelle de chaque commune, en croisant données d’opinion et données sociodémographiques. Elle révèle, par exemple, où les attentes sont les plus fortes sur l’adaptation au changement climatique, quels profils soutiennent la transition énergétique, où les préoccupations liées au réseau de transports en commun sont les plus marquées…
Grâce à ce type d’outils, les maires ne sont plus seuls face à l’incertitude : ils peuvent piloter leurs politiques en s’appuyant sur une lecture claire de leur territoire.
Ne pas céder à la frilosité : faire de la transition un projet démocratique
Ces résultats appellent ainsi à un double renversement dans la manière de concevoir la transition écologique. Il s’agit, d’une part, de rompre avec une logique prescriptive et unilatérale, qui tend à imposer un modèle unique de transformation écologique, au profit d’une approche plus contextuelle, négociée et coconstruite à l’échelle des territoires. Il convient, d’autre part, de ne plus appréhender l’« écologie » comme un bloc homogène mais de distinguer les politiques publiques selon leur nature, leur temporalité et leur impact local, tant leur acceptabilité varie selon ces dimensions. En effet, certains enjeux environnementaux sont perçus comme globaux, tels que les émissions de gaz à effet de serre ou la politique énergétique nationale, tandis que d’autres sont ressentis comme beaucoup plus locaux : qualité de l’air, préservation de la biodiversité, circuits alimentaires de proximité, etc. Dès lors, redéfinir un partage clair et équitable des compétences et des responsabilités – tant en matière d’action que d’inaction – apparaît comme un impératif.
Les collectivités ont un rôle majeur à jouer en matière de transition environnementale et sont les acteurs les plus plébiscités par la population pour cela. Dans la perspective des élections municipales, c’est un point majeur que les futurs candidats doivent garder en tête.