Les ruraux face aux déchets sauvages : principes, pratiques, attentes

Auteur(s)

Victor Delage est le fondateur de l’Institut Terram. Il est diplômé d’un master of arts en études politiques et de gouvernance européennes au Collège d’Europe à Bruges, et d’un double master en affaires européennes et en sciences économiques à Sciences Po Grenoble. Il a été responsable des études et de la communication à la Fondation pour l’innovation politique entre 2017 et 2023. Il est coauteur de l’étude Jeunesse rurale et mobilité : la fracture rurale (Institut Terram-Chemins d’avenirs, mai 2024). Il dispense un cours intitulé « Les think tanks dans l’Union européenne : rôles, stratégies, dynamiques » au master Gouvernance européenne de Sciences po Grenoble.

Résumé

Cette étude explore pour la première fois le rapport des ruraux vis-à-vis des déchets sauvages. Abandonnés dans les espaces publics ou en pleine nature, les types de déchets rencontrés dans ces zones sont les mêmes que dans les centres-villes : mégots de cigarette, chewing-gums, emballages alimentaires, bouteilles en plastique, canettes, trognons de fruit, et parfois des déchets plus volumineux laissés dans des zones naturelles ou agricoles. Tous, à des degrés divers, représentent une menace pour les écosystèmes locaux. Les données récoltées mettent en lumière une dissonance entre principes et pratiques : si les habitants des campagnes, en première ligne face aux bouleversements environnementaux, affichent un profond respect pour leur cadre de vie et condamnent fermement les incivilités liées à l’abandon de déchets, une proportion non négligeable continue à pratiquer le littering. L’enjeu est d’autant plus complexe que ces comportements ne se limitent pas à une simple question d’incivilité. Ils touchent à des dynamiques sociales, politiques et morales, où se croisent la tolérance à l’égard de certains gestes, l’influence du contexte socio-économique et le rapport à l’espace public. L’étude s’attache à décrypter ces mécanismes, tout en analysant les paradoxes qui persistent dans les pratiques de gestion des déchets en milieu rural. Elle s’intéresse également aux attentes des habitants en matière de solutions, révélant une aspiration commune à des mesures alliant infrastructures adaptées, sanctions dissuasives et sensibilisation renforcée. Les enjeux soulevés vont au-delà de la propreté des espaces : ils touchent au respect de l’environnement, au renforcement du lien social et, plus globalement, à l’amélioration de la qualité de vie en milieu rural. L’enquête a été administrée par Opinion Way et menée auprès d’un échantillon représentatif de 1 082 résidents ruraux français âgés de 18 ans et plus, définis comme les habitants de communes de moins de 2 000 habitants. La représentativité de cet échantillon a été garantie par la méthode des quotas, prenant en compte le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle et la région de résidence. Les données ont été recueillies au moyen d’interviews avec un questionnaire auto-administré en ligne, réalisées entre le 22 et le 25 septembre 2024.

Synthèse

Huit ruraux sur dix (80 %) déclarent être préoccupés par les enjeux environnementaux. Cette inquiétude est encore plus marquée chez les femmes (82 % contre 77 % chez les hommes), chez les jeunes de 18-24 ans (82 % contre 77 % chez les 65 ans et plus) et atteint 85 % chez les diplômés de l’enseignement supérieur (contre 72 % chez les non-diplômés). Dans les campagnes, les habitants sont les témoins directs de la dégradation de leur environnement, que ce soit à travers l’érosion des sols, les sécheresses et les incendies, le recul de l’enneigement ou du trait de côte.

Cette prise de conscience environnementale s’accompagne d’une forte intolérance envers l’abandon de déchets dans les espaces publics : 80 % des ruraux considèrent le littering – l’acte de jeter ou d’abandonner des déchets dans un espace public – comme « inacceptable ». Cependant, près d’un rural sur cinq (18 %) juge que certains comportements peuvent être « dérangeants mais compréhensibles » en fonction du contexte, par exemple en raison de la taille ou de la nature du déchet. Seuls 1 % des répondants considèrent encore ces actes polluants comme « acceptables, quel que soit le déchet ».

Les données révèlent un rapport complexe entre le positionnement politique et la perception du littering. La proportion de ruraux condamnant l’abandon de déchets sauvages est ainsi plus élevée chez ceux qui se situent à droite (81 %) qu’à gauche (78 %). Ce contraste est encore plus prononcé aux extrêmes du spectre politique : parmi les personnes s’identifiant comme « très à droite », 87 % considèrent le littering comme « inacceptable », soit 9 points de plus que ceux se positionnant « très à gauche » (78 %). Cela démontre que cette problématique va au-delà des préoccupations environnementales et touche également à des valeurs plus larges telles que la discipline, la préservation de l’espace public et le respect des normes sociales.

L’enquête met en évidence une hiérarchie des déchets perçus comme les plus « choquants ». Les bouteilles en plastique et les canettes suscitent la réprobation de 60 % des ruraux, suivies par les mégots de cigarette (19 %), les papiers et emballages (8 %), les déchets alimentaires (7 %) et les chewing-gums (6 %).

Dans la pratique, une part non négligeable de ruraux continue de jeter ses déchets sur la voie publique : plus d’un quart des ruraux (28 %) reconnaissent jeter un trognon de fruit dans la rue « au moins de temps en temps ». Le comportement est similaire pour les papiers et les emballages (18 %), et les chewing-gums (17 %). Les mégots de cigarette sont abandonnés par 14 % des ruraux et, surtout, par 48 % des fumeurs ruraux. Seulement un fumeur rural sur deux (50 %) ne jette « jamais » ses mégots sur le trottoir ou dans un caniveau Enfin, 4 % des répondants affirment jeter occasionnellement une bouteille en plastique ou une canette dans la rue.

Le facteur âge révèle un paradoxe frappant : malgré leur sensibilité aux enjeux écologiques, les moins de 35 ans sont plus enclins à abandonner leurs déchets. Ainsi, 38 % d’entre eux admettent jeter « au moins de temps en temps » des trognons de fruit (contre 23 % des plus de 50 ans). Il en va de même pour les papiers et emballages (respectivement 29 % contre 14 %), les chewing-gums (27 % contre 12 %), les mégots (22 % contre 9 %) et les bouteilles en plastique ou canettes (13 % contre 2 %).

Les motifs avancés pour l’abandon de déchets varient entre le manque d’information, la déresponsabilisation individuelle et des justifications douteuses. Parmi les ruraux pratiquant le littering, 51 % justifient leur geste en affirmant que les déchets se décomposent rapidement. D’autres raisons révèlent un déficit de sensibilisation aux impacts écologiques et sanitaires ou un fort détachement vis-à-vis des conséquences collectives des actions individuelles : 16 % pensent que jeter des déchets « ne met personne en danger », 14 % estiment que « les services publics sont payés pour nettoyer », 8 % considèrent que « la rue n’est pas un espace naturel » et 4 % affirment que cela « ne gêne personne ».

La présence visible de déchets peut donner l’impression d’une plus grande tolérance à cette pratique. Si 83 % des ruraux affirment ne pas être influencés, 17 % admettent être plus enclins à jeter leurs déchets lorsqu’ils en voient déjà. Cette minorité peut suffire à enclencher un cercle vicieux : un paysage jusque-là préservé peut rapidement se dégrader, et les actions de quelques-uns peuvent suffire à altérer les attitudes des autres.

La moitié des ruraux (49 %) déplorent un manque d’infrastructures pour jeter leurs petits déchets dans leur commune. L’isolement géographique joue ici un rôle important : cette proportion grimpe à 55 % pour les habitants des hameaux, soit 7 points de plus que ceux vivant dans les petites villes (48 %). Chez les fumeurs, près des deux tiers (64 %) d’entre eux soulignent ce manque, ce qui favorise des comportements inappropriés.

Une autre difficulté réside dans la compréhension même des dispositifs de collecte existants. Un rural sur quatre (25 %) considère que le fonctionnement et l’utilité des points de collecte sont « incompréhensibles ». Ces données mettent en lumière des problèmes de signalisation, de conception des équipements et un manque d’information. La signalétique ambiguë des corbeilles, par exemple, peut entraîner des doutes sur l’usage correct. Par exemple, lorsqu’une corbeille est présente, la signalétique ne permet pas toujours de comprendre clairement si on peut ou ne peut pas y déposer son mégot.

Pour lutter contre le littering dans les zones rurales, les habitants réclament la mise en place d’infrastructures adaptées, l’application de sanctions dissuasives et une éducation précoce sur les enjeux environnementaux : 27 % prônent l’installation de poubelles et de cendriers de rue, 26 % demandent des sanctions systématiques et 20 % souhaitent l’intégration de l’éducation environnementale dans les programmes scolaires. D’autres propositions incluent des campagnes de sensibilisation (8 %), des journées citoyennes de nettoyage (7 %) et l’utilisation de cendriers de poche (7 %). Des innovations telles que des applications mobiles (3 %) et des ateliers de recyclage (2 %) reçoivent un accueil plus modéré.

IntroductionLes territoires ruraux n’échappent pas aux déchets sauvages

Souvent perçus comme des sanctuaires naturels, les espaces ruraux n’échappent pas aux défis des déchets sauvages. Abandonnés dans les espaces publics ou en pleine nature, les types de déchets rencontrés dans ces zones sont les mêmes que dans les centres-villes : mégots de cigarette, chewing-gums, emballages alimentaires, bouteilles en plastique, canettes, trognons de fruit, et parfois des déchets plus volumineux laissés dans des zones naturelles ou agricoles. Tous, à des degrés divers, représentent une menace pour les écosystèmes locaux.

Or, dans le débat public, la gestion des déchets est souvent envisagée sous un prisme urbain, où la forte densité de population et la visibilité immédiate des détritus en font un enjeu prioritaire de propreté et de santé publique. En revanche, les zones rurales, avec leurs vastes étendues et leur faible densité démographique, sont perçues comme moins affectées par ce problème. Cette idée, largement répandue, tend à banaliser les comportements de ce que l’on nomme littering – l’acte de jeter ou d’abandonner des déchets dans un espace public – en milieu rural, où la nature est souvent vue comme capable d’absorber ces gestes isolés.

L’enquête menée par l’Institut Terram et administrée par Opinion Way explore pour la première fois le rapport des ruraux vis-à-vis des déchets sauvages. Elle met en lumière une dissonance entre principes et pratiques : si les habitants des campagnes, en première ligne face aux bouleversements environnementaux, affichent un profond respect pour leur cadre de vie et condamnent fermement les incivilités liées à l’abandon de déchets, une proportion non négligeable continue à pratiquer le littering. L’enjeu est d’autant plus complexe que ces comportements ne se limitent pas à une simple question d’incivilité. Ils touchent à des dynamiques sociales, politiques et morales, où se croisent la tolérance à l’égard de certains gestes, l’influence du contexte socio-économique et le rapport à l’espace public.

Cette étude s’attache à décrypter ces mécanismes, tout en analysant les paradoxes qui persistent dans les pratiques de gestion des déchets en milieu rural. Elle s’intéresse également aux attentes des habitants en matière de solutions, révélant une aspiration commune à des mesures alliant infrastructures adaptées, responsabilisation individuelle et sensibilisation renforcée. Les enjeux soulevés vont au-delà de la propreté des espaces : ils touchent au respect de l’environnement, au renforcement du lien social et, plus globalement, à l’amélioration de la qualité de vie en milieu rural.

Méthodologie

L’enquête a été menée auprès d’un échantillon représentatif de 1 082 résidents ruraux français âgés de 18 ans et plus, définis comme les habitants de communes de moins de 2 000 habitants. La représentativité de cet échantillon a été garantie par la méthode des quotas, prenant en compte le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle et la région de résidence. Les données ont été recueillies au moyen d’interviews avec un questionnaire auto-administré en ligne, réalisées entre le 22 et le 25 septembre 2024.

I. L’abandon sauvage de déchets dans l’espace public : une forte opposition de principe

1. Les ruraux en première ligne face aux enjeux environnementaux

L’enquête révèle que 80 % des ruraux se disent préoccupés par les enjeux environnementaux. Un chiffre qui traduit une sensibilité aiguë aux problématiques du dérèglement climatique et de la préservation de la biodiversité. Dans les campagnes, les habitants sont les témoins directs de la dégradation de leur environnement, que ce soit à travers l’érosion des sols, les sécheresses et les incendies, le recul de l’enneigement ou du trait de côte.

Nos données montrent que les femmes manifestent une inquiétude plus marquée (82 %) que les hommes (77 %) aux enjeux environnementaux1Voir Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « The Unjust Climate. Measuring the Impacts of Climate Change on Rural Poor, Women and Youth », Rome, 2024.. Sans surprise, les jeunes générations, en particulier les 18-24 ans, se révèlent plus préoccupées (82 %) que les 65 ans et plus (77 %). Le niveau d’éducation est également déterminant : 85 % des diplômés de l’enseignement supérieur se disent soucieux des questions environnementales, soit 13 points de plus que les personnes sans diplôme ou titulaires d’un CAP ou d’un BEP (72 %).

2. Un rejet massif des incivilités liées aux déchets sauvages

Les préoccupations et les attentes citoyennes en matière environnementale s’accompagnent depuis des années d’un changement de mentalité à l’égard de l’abandon de déchets sauvages dans l’espace public. Ce phénomène, largement relayé par une multitude d’articles ciblés dans la presse locale, a peu à peu sensibilisé l’opinion publique aux effets dévastateurs des déchets sur la biodiversité. Ce message est également porté par les réseaux sociaux, où associations, particuliers et élus locaux, y compris des maires, alertent régulièrement sur la situation. Cette exposition catalyse un consensus autour de la nécessité d’une responsabilisation collective accrue.

Il est particulièrement révélateur que 80 % des ruraux jugent « inacceptable » le fait que quelqu’un jette des déchets, quels qu’ils soient, sur la voie publique. Cette forte désapprobation se distingue par sa symétrie parfaite avec la proportion des habitants des zones rurales préoccupés par les enjeux écologiques (80 %).

Cette condamnation n’est toutefois pas partagée par tous avec la même rigueur. Près d’un rural sur cinq (18 %) estime que certains comportements peuvent être « dérangeants mais compréhensibles » selon le contexte, par exemple la taille ou la nature du déchet. Seuls 1 % des répondants considèrent encore ces gestes polluants comme « acceptables, quel que soit le déchet ».

3. Le littering, au carrefour des préoccupations environnementales, politiques et morales

Ce sont les ruraux les plus « intéressés » par la politique qui sont les plus nombreux à rejeter le littering : 85 % d’entre eux le jugent « inacceptable, quel que soit le déchet », soit 6 points de plus que ceux qui déclarent n’avoir aucun intérêt pour la politique (79 %). Jeter un déchet n’est plus simplement perçu comme une simple infraction mineure, mais comme une atteinte morale menaçant l’avenir de la planète et des générations à venir. 

Fait notable, les données font état d’un rapport complexe entre positionnement politique et perception du littering. Ainsi, la proportion des ruraux à condamner l’abandon de déchets sauvages est plus élevée chez ceux qui se positionnent à droite (81 %) qu’à gauche (78 %). Ce contraste est encore plus marqué aux extrêmes du spectre politique : parmi ceux qui s’identifient comme « très à droite », 87 % jugent le jet de déchets sauvages « inacceptable », soit 9 points de plus que ceux se positionnant « très à gauche » (78 %). Cela démontre que cette problématique va au-delà des préoccupations environnementales et touche également à des valeurs plus larges telles que la discipline, la préservation de l’espace public et le respect des normes sociales.

II. En pratique, une intolérance plus nuancée face au jet de déchets sauvages

1. Le littering occasionnel : un acte plus courant qu’il n’y paraît

L’opposition à l’abandon sauvage de déchets ne se traduit pas toujours au quotidien par l’adoption de pratiques écoresponsables. Tout comme en milieu urbain, une part non négligeable de ruraux continue de jeter ses déchets sur la voie publique. Comme l’indique le général Sylvain Noyau, chef de l’Office 
central de lutte contre les atteintes à l’environnement et la santé publique, « le nombre d’infractions liées aux dépôts de déchets sauvages constatés par la gendarmerie a augmenté de 85 % entre 2017 et 20212Cité in Françoise Gatel, « Rapport d’information fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation relatif aux décharges sauvages », Sénat, rapport d’information n° 552, 25 février 2022, p. 8. ». Près d’un maire sur deux considère aujourd’hui que ce phénomène est en aggravation et c’est une préoccupation pour 90 % des collectivités territoriales3Voir Agence de la transition écologique (Ademe), « Caractérisation de la problématique des déchets sauvages. Compréhension de leur formation, description de leur gestion au niveau national, retours d’expérience », rapport, février 2019, p. 13.. Cette dissonance entre principes et pratiques reflète un phénomène bien documenté en sociologie : l’écart attitude-comportement (attitude-behavior gap).

La fréquence des gestes polluants renseigne sur les dynamiques sociales et morales qui sous-tendent la relation des citoyens à leur environnement. Si seule une minorité de ruraux admet pratiquer régulièrement le littering, une proportion nettement plus importante reconnaît s’y livrer « au moins de temps en temps ». Cela révèle une tolérance plus diffuse vis-à-vis de certaines de ces incivilités, qui, bien que non systématiques, se manifestent en fonction du contexte ou du type de déchet. 

D’après nos données, plus d’un quart des ruraux (28 %) reconnaissent jeter « au moins de temps en temps » un trognon de fruit dans la rue. D’autres pratiques polluantes, telles que laisser tomber des papiers et des emballages (18 %) ou des chewing-gums (17 %), concernent encore près d’un rural sur cinq.

Les mégots de cigarette, pourtant reconnus pour leur impact environnemental désastreux en raison de leur contenu toxique – nicotine, arsenic et métaux lourds –, sont abandonnés par 14 % des ruraux. Surtout, ce chiffre grimpe à 48 % lorsque l’on se concentre uniquement sur les fumeurs, signe d’un manque de sensibilisation ciblée et d’équipements adaptés pour les consommateurs de tabac. Selon l’éco-organisme Alcome, il y a en moyenne en France 1,3 mégot abandonné tous les 10 mètres de voirie, chiffre allant de 0,8 mégot (en milieu rural) jusqu’à 4,5 mégots (en zone urbaine dense)4Voir Alcome, « Mégots dans la rue : un nouveau dispositif pour aider les communes », 9 février 2024..

Enfin, 4 % des répondants affirment jeter occasionnellement une bouteille en plastique ou une canette dans la rue.

Pour l’ensemble des déchets sauvages étudiés, le facteur âge révèle un paradoxe frappant : si, comme nous l’avons vu, les nouvelles générations sont celles qui se disent les plus sensibles aux enjeux environnementaux, elles sont largement les plus enclines à abandonner leurs déchets dans l’espace public. Soulignons également que l’impact environnemental des fumeurs ne s’arrête pas aux mégots. De manière générale, ils se montrent, toutes générations confondues, plus enclins que la moyenne à abandonner d’autres types de déchets. Par exemple, près d’un tiers des fumeurs (31 %) déclarent jeter des trognons de fruit ou des déchets organiques (contre 27 % des non-fumeurs). Il en va de même pour les chewing-gums (respectivement 23 % contre 15 %) ou pour les papiers et emballages (22 % contre 17 %).

2. Les motifs avancés pour l’abandon de déchets : entre manque d’information, déresponsabilisation individuelle et justifications douteuses

 Lorsque l’on interroge les habitants en zone rurale qui pratiquent le littering sur les raisons qui les poussent à jeter leurs déchets dans la rue, 51 % d’entre eux indiquent « en premier » qu’ils se décomposent rapidement. Cette croyance, particulièrement répandu chez les ruraux âgés de 65 ans et plus (67 %), repose sur une vieille idée : des éléments comme les trognons de fruit ou les papiers seraient rapidement absorbés par la nature et ne constitueraient donc pas une nuisance durable. Or cette vision est trompeuse, même pour les déchets organiques. Leur processus naturel de dégradation est souvent bien plus long que ce que l’on imagine. Et cet argument tient encore moins face aux déchets non organiques, tels que les mégots de cigarette, les chewing-gums ou les bouteilles en plastique, qui persistent dans l’environnement pendant des années, voire des décennies. Bien plus résistants à la dégradation naturelle, ils constituent une menace pour les écosystèmes terrestres et aquatiques. 

D’autres réponses témoignent d’un manque de sensibilisation aux répercussions écologiques et sanitaires de ces comportements. Ainsi, 16 % des ruraux pratiquant le littering estiment que jeter des déchets dans la rue « ne met personne en danger », méconnaissant leurs effets cumulatifs. Les déchets sauvages attirent les nuisibles, dégradent la qualité des sols et peuvent obstruer les réseaux d’évacuation des eaux pluviales, aggravant la pollution des cours d’eau et des océans. De plus, 8 % des habitants des campagnes estiment que « la rue n’est pas un espace naturel » et que, par conséquent, jeter un déchet n’a pas d’impact environnemental direct. 

Enfin, les autres justifications révèlent un fort détachement face aux conséquences collectives des actions individuelles. Ainsi, 14 % des ruraux qui abandonnent au moins de temps en temps leurs déchets considèrent que « les services publics sont payés pour nettoyer ». Si les collectivités investissent effectivement dans le nettoyage des espaces publics, cette approche alourdit les dépenses publiques et nourrit une fausse idée selon laquelle la gestion des déchets serait uniquement une affaire institutionnelle, alors qu’elle devrait être une responsabilité partagée entre les citoyens et les pouvoirs publics. 

Enfin, 4 % des répondants affirment que jeter des déchets « ne gêne personne ».

3. Déchets sauvages et contagion des comportements

La présence de déchets dans l’espace public nous influence-t-elle à adopter des comportements similaires ? Lorsqu’un trottoir est jonché de détritus, sommes-nous plus enclins à y laisser nos propres déchets ? Ce phénomène de mimétisme, bien documenté dans les centres urbains, repose sur une forme de contagion comportementale : la présence visible de déchets peut donner l’impression que cette pratique est plus tolérée ou moins répréhensible. De nombreux passants interprètent alors cet état comme une norme tacite, abaissant inconsciemment leurs propres standards de propreté. Dans les quartiers les plus défavorisés, cette dynamique est souvent amplifiée. Selon un rapport du ministère de la Transition écologique, « les lieux connaissant un faible contrôle social sont ceux qui ne semblent pas entretenus et ceux où personne n’est présent pour juger l’acte d’abandon5Ministère de la Transition écologique, « Guide relatif à la lutte contre les abandons et dépôts illégaux de déchets », décembre 2020, p. 13. ». Les habitants peuvent voir dans le manque de propreté un désintérêt des autorités pour leur cadre de vie, ce qui les démotive à prendre soin de l’espace public. Ce sentiment d’abandon participe à alimenter un malaise social et à un rejet des normes collectives de propreté. 

Comme le montre notre enquête, ce phénomène trouve un certain un écho dans les campagnes, notamment dans certains segments de la population rurale, souvent les plus précaires. En moyenne, 83 % des ruraux affirment ne pas être plus enclins à mal jeter leurs déchets en présence de détritus. Cette majorité solide témoigne globalement d’un respect des espaces communs. Il n’en reste pas moins que 17 % des habitants des zones rurales reconnaissent être plus susceptibles de jeter leurs propres déchets lorsqu’ils en voient déjà sur la voie publique. Bien que minoritaire, cette proportion peut suffire à enclencher un cercle vicieux : un paysage jusque-là préservé peut rapidement se dégrader, et les actions de quelques-uns peuvent suffire à altérer les attitudes des autres. Cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes générations rurales, qui apparaissent comme les plus vulnérables à cet effet de contagion des comportements.


Au-delà de l’âge, les disparités socio-économiques jouent un rôle clé. Les ménages ruraux aux revenus modestes, notamment ceux gagnant moins de 2 000 euros par mois, sont les plus susceptibles d’adopter ce comportement : quasiment un quart d’entre eux (24 %) reconnaissent être influencés par la présence de déchets, contre 15 % des foyers les plus aisés (revenus supérieurs à 3 500 euros).

III. Attentes et perspectives des ruraux face aux défis des déchets sauvages

1. La moitié des ruraux déplorent un manque d’infrastructures pour jeter leurs petits déchets dans leur commune…

Dans nos sociétés contemporaines, la gestion des déchets s’inscrit dans une logique de responsabilité partagée, où chaque individu est tenu d’adopter des comportements responsables et respectueux de l’environnement. L’idée selon laquelle chaque citoyen doit jeter ses déchets dans des lieux spécifiquement prévus à cet effet fait partie de cette « attente normative ». Ce cadre suppose néanmoins des conditions matérielles favorables pour son application concrète. En effet, pour que la norme soit non seulement acceptée mais aussi pratiquée, elle doit être soutenue par des infrastructures adéquates, accessibles et en nombre suffisant. En milieu rural, la disponibilité de ces infrastructures de collecte – poubelles, cendriers de rue, bornes de tri – devient un enjeu central. Contrairement aux espaces urbains, les campagnes et les petites communes peuvent disposer de ressources plus limitées et d’un maillage de services publics plus restreint. Cette situation peut être source d’inégalités d’accès aux infrastructures, c’est-à-dire une disparité dans la répartition des équipements publics qui limite les possibilités pour les individus de respecter les normes de propreté publique.

Or, selon nos données, 49 % des habitants des communes rurales estiment ne pas disposer d’un nombre suffisant de lieux pour jeter leurs petits déchets dans leur commune. L’isolement géographique joue ici un rôle important : cette proportion grimpe à 55 % pour les habitants des hameaux, soit 7 points de plus que ceux vivant dans les petites villes (48 %).


Les résultats concernant les fumeurs appellent une attention particulière : près des deux tiers d’entre eux (64 %) estiment manquer de lieux pour jeter leurs déchets. Ce groupe est particulièrement concerné, car les mégots, très polluants, nécessitent des dispositifs dédiés. En milieu urbain, les cendriers de rue sont omniprésents aux abords des zones fréquentées (arrêts de transport, zones piétonnes, centres commerciaux…), mais dans les communes rurales ces équipements sont plus rares, exposant ces territoires à une pollution accrue.

2. …et un quart estiment que le fonctionnement et l’utilité des points de collecte sont incompréhensibles

Une autre difficulté réside dans la compréhension même des dispositifs de collecte existants. Selon nos données, un rural sur quatre (25 %) considère que le fonctionnement et l’utilité des points de collecte sont « incompréhensibles ». Il s’agit là d’un obstacle majeur dans l’adoption de comportements responsables en matière de gestion des déchets. L’incompréhension de ces dispositifs, qui va au-delà de la simple question de l’accessibilité, pointe des lacunes en matière de signalisation, de design des équipements, mais aussi d’un manque d’information et de pédagogie environnementale. Par exemple, lorsqu’une corbeille est présente, la signalétique ne permet pas toujours de comprendre clairement si on peut ou ne peut pas y déposer son mégot. Ce flou autour des usages autorisés peut rendre les dispositifs de collecte moins intuitifs et limiter leur utilisation optimale. 

Cette réalité touche particulièrement les plus défavorisés et révèle des failles dans l’accès à l’information et dans l’implantation des infrastructures de propreté publique en milieu rural. Ainsi, près d’un tiers des ouvriers (30 %) trouvent les dispositifs de collecte incompréhensibles, contre seulement 18 % des professions intermédiaires et 22 % des cadres et professions intellectuelles. De même, parmi les ruraux sans diplôme, 32 % déclarent trouver les infrastructures de collecte incompréhensibles, un chiffre bien supérieur à celui des diplômés de niveau supérieur à bac + 2, où l’incompréhension tombe à 21 %.

3. Combattre le littering dans les zones rurales : les habitants réclament des infrastructures, des sanctions et une éducation précoce

Les habitants des zones rurales ont été invités à exprimer leurs opinions sur les mesures jugées les plus efficaces pour prévenir le jet de déchets dans l’espace public. Les résultats révèlent un mélange de besoins concrets en matière d’infrastructures de collecte, mais aussi une forte attente en matière de responsabilisation individuelle et de sensibilisation, en particulier pour les jeunes générations. Ce triple axe – infrastructures, responsabilisation et éducation – souligne une volonté de voir des solutions pragmatiques, adaptées aux spécificités du milieu rural.

Plus d’un quart des habitants des zones rurales (27 %) considèrent que l’installation de poubelles supplémentaires, de cendriers de rue et de stations de tri dans les espaces publics est la mesure la plus efficace pour lutter contre le littering. Cette demande traduit un besoin d’équipements mieux répartis, visibles et accessibles, pour inciter les citoyens à adopter des comportements responsables. La présence renforcée de ces dispositifs dans des lieux stratégiques de la commune doit jouer un rôle de rappel concret et constant de l’importance à préserver la propreté des espaces partagés.

Toutefois, le problème du littering ne se limite pas à un simple déficit d’équipements. Pour les ruraux, une responsabilisation accrue des citoyens est nécessaire afin de renforcer le sens civique et le respect des espaces communs. À ce titre, l’imposition de sanctions systématiques pour ceux qui abandonnent leurs déchets dans l’espace public se place en deuxième position (26 %). Déposer, abandonner, jeter ou déverser tout type de déchets sur la voie publique ou privée sont des actions déjà punies d’une amende forfaitaire et peuvent entraîner une procédure judiciaire. Néanmoins, selon une étude, « 64 % des communes qui mettent en place de la sanction/surveillance n’ont jamais entamé de procédures judiciaires6Citeo, « Étude relative à l’élaboration d’un état des lieux partagé des connaissances sur la thématique des déchets sauvages diffus. Consultation en ligne des acteurs concernés par la problématique des déchets sauvages diffus », 7 juin 2021, p. 95. », jugées coûteuses, chronophages et complexes.

L’éducation se distingue également comme un puissant levier pour encourager des pratiques écoresponsables dès le plus jeune âge. Rappelons que les jeunes restent la classe d’âge la plus susceptible d’adopter des comportements de littering. Ainsi, 20 % des ruraux interrogés préconisent l’intégration de l’éducation environnementale dans les programmes scolaires, estimant qu’une sensibilisation précoce pourrait contribuer à changer les mentalités. 

D’autres actions, bien que moins prioritaires, viennent compléter cette approche équilibrée axée sur les infrastructures, la responsabilisation et l’éducation. Par exemple, 8 % des ruraux soutiennent le lancement de campagnes de sensibilisation publique pour rappeler les conséquences environnementales des déchets jetés dans la nature, et 7 % suggèrent l’organisation de journées citoyennes de nettoyage pour impliquer activement la communauté. Parmi les solutions individuelles, l’utilisation de cendriers de poche (7 %) est évoquée pour gérer ses déchets en l’absence de dispositifs publics. Enfin, des solutions innovantes telles que des applications mobiles pour signaler les problèmes de déchets (3 %) et des ateliers pratiques sur le recyclage (2 %) rencontrent un succès bien plus modéré.

Conclusion Déchets sauvages en milieu rural : une prise de conscience nécessaire pour des solutions pérennes

Cette étude révèle que bien que les ruraux témoignent d’une forte sensibilité aux enjeux environnementaux et d’un attachement profond à leur cadre de vie, la prise de conscience demeure insuffisante à l’égard de la problématique des déchets sauvages. La persistance de leur présence dans l’espace public révèle une dissonance entre les valeurs partagées de respect et de préservation de la nature et leur traduction concrète dans le quotidien. 

Dans ce contexte, les habitants des zones rurales attendent la mise en place de solutions complètes et pragmatiques, alliant infrastructures adaptées, responsabilisation des individus et éducation continue. Citoyens, élus locaux, collectivités territoriales, acteurs publics et privés doivent conjuguer leurs efforts pour bâtir un modèle de gestion des déchets en milieu rural à la fois durable et cohérent. Les enjeux soulevés ne concernent pas uniquement la propreté des espaces, mais aussi le respect de l’environnement, le renforcement du lien social et de la discipline collective, et, plus largement, la préservation du cadre de vie des générations actuelles et futures. 

Entretiens

Entretien n° 1 : « En milieu rural, la lutte contre les mégots mal jetés mérite des efforts » – Trois questions à Marie-Noëlle Duval, directrice générale d’Alcome

Alcome est un éco-organisme agréé depuis août 2021 par les pouvoirs publics sur la filière à responsabilité élargie du producteur (REP) des produits du tabac, en application de la loi antigaspillage pour une économie circulaire (Agec). L’objectif d’Alcome est de réduire de 40 % la présence des mégots jetés de manière inappropriée dans l’espace public d’ici à 2027.

En quoi les campagnes de sensibilisation d’Alcome sont-elles pensées pour répondre aux particularités des zones rurales ? Quels messages ou approches semblent particulièrement efficaces auprès des habitants de ces territoires ? 

Marie-Noëlle Duval – Les actions de sensibilisation d’Alcome sont élaborées pour prendre en considération les spécificités des communes situées dans les zones rurales, tout en restant également efficaces dans les zones à forte densité urbaine. Nous développons des méthodes spécifiques et adaptées, en particulier en utilisant des nudges, ces « coups de pouce » comportementaux qui encouragent les individus à adopter des comportements plus responsables. 

Nous employons aussi des messages qui mettent en avant la particularité locale et l’importance de préserver son environnement pour les générations à venir. Nous rendons les solutions pratiques et à « portée de main » : l’installation de dispositifs de rue, la mise en place d’une signalétique claire et attrayante ou encore la distribution de cendriers de poche à des moments spécifiques et des endroits adaptés. 

De plus, dans les régions rurales, nous nous appuyons sur les liens sociaux qui y sont particulièrement forts. Nous favorisons ainsi une approche par les pairs que nous renforçons par des actions collectives (journées de nettoyage ou collecte de mégots), notre intention étant de développer un comportement responsable dans la culture locale.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par Alcome dans la lutte contre les mégots abandonnés en milieu rural, et comment l’organisation adapte-t-elle ses actions à ces défis spécifiques ? 

M.-N. D. – En milieu rural, la lutte contre les mégots mal jetés rencontre des obstacles en raison de la faible densité de la population. La dispersion des logements et le manque de points de collecte appropriés peuvent complexifier la démarche de réduction du nombre de mégots au sol. Comme sur l’ensemble du territoire, nous devons, en milieu rural, améliorer le niveau de conscience sur l’impact environnemental des mégots mal jetés. En réponse à ces enjeux spécifiques en milieu rural, nous choisissons des solutions sur mesure, plus locales, qui correspondent aux spécificités de chaque territoire. 

L’une des méthodes les plus efficaces est de concentrer les efforts de sensibilisation dans des endroits de passage où les habitants sont plus nombreux à se rassembler (marchés, commerces…). Ces endroits où les individus se rencontrent fréquemment offrent la possibilité d’inciter à l’utilisation des dispositifs de rue (éteignoirs ou cendriers de rue), qui permettent de sensibiliser concrètement les habitants et de les encourager à adopter des comportements plus responsables. Nous soutenons également des initiatives locales occasionnelles qui incitent les habitants à prendre part à des collectes de mégots. 

Quels sont les bénéfices et résultats observés par Alcome grâce aux partenariats avec les collectivités locales et les associations rurales pour limiter l’impact des mégots sauvages ? 

M.-N. D. – À l’échelle nationale, nous accompagnons un tiers de la population française dans la diminution des mégots au sol. L’objectif d’Alcome est de réduire de 40 % la présence des mégots jetés de manière inappropriée dans l’espace public d’ici à 2027. De nombreuses initiatives ont été mises en place en partenariat avec les collectivités locales afin de combattre la pollution causée par les mégots abandonnés dans l’espace public. Les villes de La Ferté-sous-Jouarre, en Seine-et-Marne, ou de Landerneau, dans le Finistère, sont de bons exemples de l’effet de ces actions. La mise en place d’éteignoirs ou de cendriers publics dans des endroits stratégiques, comme les zones de forte affluence ou à proximité des plages, encourage les fumeurs à ne pas jeter leurs mégots au sol et à les déposer dans des dispositifs appropriés. Cela contribue ainsi à maintenir la propreté des lieux publics et à préserver l’environnement en évitant la présence de mégots dans les sols et les cours d’eau. 

Dans le même temps, ces collaborations favorisent la sensibilisation de la population locale. Nous lançons des campagnes d’information adaptées à la spécificité du territoire, visant à rappeler les risques des mégots pour l’environnement. Par exemple, cet été, nous avons déployé une campagne d’information spécifique dans le sud-ouest et le sud-est de la France, régions les plus fortement exposées au risque d’incendies de forêt, pour favoriser le bon jet de mégot. À ce titre, nous travaillons également en étroite collaboration avec la Confédération nationale des buralistes et avec la Fédération des sapeurs-pompiers. 

Depuis son lancement, Alcome travaille avec de nombreuses associations de collectivités et environnementales afin d’amplifier son périmètre d’intervention et d’accélérer sa montée en puissance. L’Association des maires de France (AMF), l’Association nationale des élus des territoires touristiques (Anett), l’Association des villes pour la propreté urbaine (AVPU), l’Association nationale des élus de la montagne (Anem), l’Association nationale des élus des littoraux (Anel), Gestes Propres, Mountain Riders, le World Cleanup Day ou encore Swim for Change sont autant d’associations ou d’événements qui contribuent activement à nos actions sur le terrain et dans les zones rurales. Nous sommes également présents lors de grands évènements nationaux organisés en région. Par exemple, nos équipes étaient présentes cet été sur plusieurs villes étapes du Tour de France ou lors des Jeux olympiques Paris 2024. 

Enfin, un programme d’expérimentation sur le terrain a été lancé dès janvier 2022. Alcome a organisé des travaux sur le terrain avec six communes pilotes de typologie différente. La Ferté-sous-Jouarre, Rouen, Grenoble, Megève, Châlons-en-Champagne et Lalinde ont ainsi travaillé étroitement pendant dix-huit mois avec Alcome, accompagnées par un bureau d’études indépendant, sur tous les volets d’actions pour diminuer le nombre de mégots sur la voie publique, de la contractualisation à l’identification des hotspots, en passant par l’efficacité des dispositifs de rue (éteignoirs ou cendriers de rue), l’impact des campagnes d’affichage, les programmes de sanctions et les cendriers de poche. Ces travaux ont abouti à des fiches techniques opérationnelles mises à disposition des responsables propreté des villes sur le portail de l’éco-organisme. En 2024, Alcome a réalisé un nouveau programme plus élargi avec quatre villes « vitrines », dont deux parmi les premières villes pilotes, et six nouvelles villes pilotes (Dieppe, Landerneau, Massy, Strasbourg, Tours et Bourg-en-Bresse). Nous disposons ainsi d’une méthodologie solide coconstruite avec les collectivités. 

Entretien n° 2 : « Pour diminuer les déchets, tous les acteurs doivent travailler ensemble » – Trois questions à Simon Lebeau, chargé de mission à l’Anett 

Depuis 1930, l’Association nationale des élus des territoires touristiques (Anett) est la seule à fédérer les élus des territoires touristiques avec leurs spécificités (littoral, thermal, montagne, outre-mer, rural et urbain). Elle compte plus de 900 membres : maires, présidents d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), de conseils régionaux et départementaux, parlementaires…

Quelles stratégies spécifiques l’Anett recommande-t-elle aux collectivités rurales pour favoriser la prévention des déchets sauvages, avant même de lancer des actions de nettoyage ? 

Simon Lebeau – La commission Tourisme durable de l’Anett a mis en avant plusieurs dispositifs pour lutter contre les déchets sauvages. La mise à disposition de poubelles et de bacs temporaires ou d’équipements pérennes est une première étape. Cependant, sur des sites naturels ce n’est pas ce que nous préconisons. L’accès à certains sites pour collecter les déchets peut être une difficulté pour les communes et cela représente un coût significatif. Il est donc nécessaire de faire de la pédagogie avec des panneaux d’information placés à des endroits stratégiques et visibles. Il faut également informer le visiteur sur les points de collecte à disposition, par exemple au début des chemins de randonnée, ou l’inciter à conserver ses déchets. L’Anett met également en avant la mise à disposition de cendriers de poche comme le conseille Alcome. 

Mais si plusieurs bonnes pratiques s’imposent pour diminuer les déchets, telles la lisibilité de la signalétique sur les déchets et l’information, tous les acteurs (communes, associations, éco-organismes…) doivent travailler ensemble. Par exemple, lors d’événements sportifs en pleine nature, certaines communes mettent en place des conventions avec les organisateurs afin que les sportifs jettent leurs bouteilles ou leurs emballages au bon endroit. 

L’Anett sensibilise aussi les élus en s’associant à différentes campagnes de l’association Gestes Propres. Elle a ainsi incité ses adhérents à installer des panneaux d’information sur les sites naturels. Plusieurs communes ont ainsi bénéficié de panneaux offerts par Citeo et Gestes Propres. Par ailleurs, certaines communes du littoral mettent en place des poubelles en mer ou à proximité des ports, pratique assez développée sur les bords de la Méditerranée. 

Enfin, les élus alertent aussi sur l’augmentation du dépôt des déchets électroménagers de manière sauvage.

L’Anett a-t-elle repéré des initiatives locales innovantes pour réduire les déchets sauvages en milieu rural ? Si oui, quelles bonnes pratiques pourraient être répliquées dans d’autres territoires ? 

S.L. – Nous pouvons citer en exemple le projet mené par la communauté de communes Lacs et Gorges du Verdon, où le dispositif déployé visant à augmenter le geste de tri et à préserver les espaces naturels a permis en quatre mois une diminution nette des ordures ménagères enfouies. Le projet comportait plusieurs objectifs environnementaux (réduire la quantité d’ordures ménagères et celle des déchets abandonnés sur les berges du lac), liés au tourisme (tendre vers un tourisme écoresponsable sur les plages du lac de Sainte-Croix, valoriser cette action auprès des visiteurs actuels et futurs, étendre ce dispositif à l’ensemble des plages de la rive droite) ou qualitatifs (simplifier, faciliter et systématiser le geste de tri, éviter les débordements des contenants aux abords des sites naturels et des points d’eau, préserver le personnel et les véhicules, renforcer les partenariats entre les différents acteurs : communes, parc national régional du Verdon). Dix-neuf points de tri ont été déployés à l’entrée des plages au niveau des parkings afin de faciliter et de systématiser le geste de tri des usagers des plages, leur permettre de trier tous leurs emballages et papiers dans un même endroit, adapter la collecte au contexte saisonnier par ces colonnes de gros volume et prévenir l’accès des véhicules de collecte sur les berges du lac pour préserver l’environnement et la sécurité des usagers. 

Les moyens humains et matériels ont été renforcés avec un doublement pour la collecte sur la saison afin d’adapter la fréquence à chaque point de tri et éviter les débordements. Une campagne de communication a été mise en place avec des spots sur une radio locale en été, des posts et l’installation de 45 panneaux aux abords du lac de Sainte-Croix. Le projet comportait également la sensibilisation du grand public aux abords des plages par les ambassadeurs du tri de la communauté de communes, les écogardes du parc national régional du Verdon, les gendarmes et les pompiers. Les professionnels du tourisme (offices du tourisme, commerçants, restaurateurs, hébergeurs, activités nautiques…) se sont également mobilisés grâce à un kit de communication. 

En quatre mois, le bilan de l’opération a été positif, avec une baisse des ordures ménagères enfouies de 35 tonnes, une hausse de 43 % des emballages ménagers recyclables collectés, une hausse de la collecte de verre de 21 % et plus de 7 tonnes de cartons collectés 

Ce projet a mis en évidence les clés de réussite d’un programme de réduction des déchets : un portage politique fort, un diagnostic complet, des moyens humains, un maillage fort du territoire et une communication importante. Néanmoins, plusieurs freins persistent pour faire face à l’afflux de touristes, tel le manque d’homogénéisation des consignes de tri. Nous avons aussi observé que la préoccupation environnementale des Français en vacances progresse mais que les gestes de tri, par exemple, ne sont pas leur priorité. Cela nécessite de la pédagogie.

En quoi les partenariats avec les éco-organismes contribuent-ils aux actions de l’Anett ? Quels avantages ces collaborations apportent-elles concrètement ? 

S.L. – L’Anett entretient des partenariats avec deux éco-organismes, Alcome et Citeo. Elle travaille également avec l’association Gestes Propres et a récemment conclu un partenariat avec Pollustock qui produit des paniers à déchets à placer dans les évidoirs ou sous les ponts. 

La question des déchets est très présente lors des débats avec les élus, notamment dans les communes touristiques, et l’Anett anime des réunions sur le tourisme durable dans lesquelles la gestion des déchets est un sujet primordial. 

Les éco-organismes ont pour mission la réduction des déchets et l’accompagnement des communes dans leurs politiques de gestion des déchets. Avoir des partenariats avec eux permet de donner des outils aux élus, surtout dans les plus petites communes, pour améliorer la propreté. L’expertise et la compétence des éco-organismes sont une véritable ressource pour nos adhérents. 

L’Anett propose par ailleurs à ses partenaires d’organiser des webinaires informatifs et de participer aux commissions liées à leurs domaines d’intervention. Elle organise aussi un congrès annuel qui permet de rencontrer les élus et de leur présenter des solutions. Elle facilite les synergies et les interactions entre ses différents partenaires, comme la rencontre entre Pollustock et Alcome qui a tout son sens tant les mégots sont présents dans les eaux.

Entretien n° 3 : « Les communes rurales disposent de moyens limités pour prévenir les déchets abandonnés » – Trois questions à Clara Seligmann, directrice des affaires institutionnelles de Citeo

Citeo, éco-organisme agréé par l’État, oeuvre depuis trente ans afin de réduire l’impact environnemental des emballages et des papiers à travers des solutions de réduction, de réemploi et de recyclage, tout en sensibilisant les consommateurs aux gestes écocitoyens. La lutte contre les déchets abandonnés est au coeur de la mission de Citeo pour limiter l’extraction de nos ressources et préserver notre environnement. Citeo accompagne notamment le déploiement par les collectivités de plans structurés de diagnostic, de prévention et de nettoiement.

Quel rôle joue Citeo dans la prévention et la gestion des déchets abandonnés en milieu urbain et rural ? 

Clara Seligmann – En milieu rural, en ville ou dans les espaces naturels, les déchets abandonnés constituent une pollution dont on mesure de plus en plus les effets négatifs : perte de biodiversité, impacts sanitaires et sur la santé humaine, incidences économiques pour les collectivités locales… 

Au-delà de l’interdiction de vente de certains produits en plastique à usage unique, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) a étendu la responsabilité élargie du producteur (REP), des emballages ménagers aux déchets abandonnés. 

Désormais, Citeo accompagne les collectivités et personnes publiques pour prévenir et traiter les déchets abandonnés. Grâce à un plan de lutte contre les déchets abandonnés (PLDA), il s’agit à la fois de prévenir et de gérer efficacement les déchets abandonnés sur un territoire en identifiant des actions complémentaires associant des outils de diagnostic et des outils préventifs et curatifs. 

Citeo a prioritairement étudié le gisement des déchets abandonnés en milieu urbain. Parmi les principaux enseignements, 1 % des emballages ménagers mis sur le marché chaque année dans l’Hexagone finissent par terre dans la rue, de manière involontaire ou pas. Cela représente chaque jour 6,4 millions d’emballages. C’est beaucoup trop et inacceptable, d’autant que l’abandon de déchets peut avoir plusieurs sources sur lesquelles nous pouvons agir : incivilités, dispersions, dispositifs non adaptés, etc. 

Ce sont bien les différents facteurs de l’abandon que Citeo a pris en compte pour construire une campagne nationale de mobilisation des citoyens. Pour changer les représentations associées aux déchets abandonnés et inviter les citoyens-consommateurs à adopter les bons comportements, le mot d’ordre retenu (« On ne lâche rien ! ») permet de cerner les différentes situations qui peuvent mener à un déchet d’emballages abandonné.

De façon complémentaire, Citeo vise les enjeux des espaces naturels de manière plus ciblée. À titre d’exemple, nous soutenons l’association Mountain Riders, qui fédère associations, collectivités, stations, entreprises et citoyens, afin d’atteindre l’objectif « Montagne zéro déchet sauvage » à l’horizon 2030. La campagne nationale, lancée par Mountain Riders en 2021 et 2022, et soutenue et suivie par Citeo, a permis de réaliser une cinquantaine de ramassages, qui ont donné lieu à l’analyse de 11,5 tonnes de déchets. Pour s’inscrire dans la durée et viser les 250 tonnes de déchets abandonnés par saison, les acteurs de la montagne ont été formés et équipés pour qu’ils soient autonomes dans les ramassages et la caractérisation. En parallèle, un travail de fond a été mené avec les commerçants, les restaurateurs, les entreprises et les magasins pour prévenir l’apparition des déchets.

En milieu rural, où les ressources de gestion des déchets sont parfois limitées, quelles stratégies Citeo met-elle en place pour encourager une responsabilité collective et réduire les comportements de déchets sauvages ? 

C.S. – Les communes rurales disposent effectivement de moyens limités, à la fois en ingénierie de projets et en ressources techniques, pour prévenir les déchets abandonnés. Dès 2023, Citeo a proposé des conventions de soutiens financiers et techniques permettant aux communes et aux intercommunalités de former des groupements pour formaliser des plans de lutte contre les déchets abandonnés communs. Cela permet de définir une politique publique à une échelle territoriale élargie, de mettre en musique les différentes compétences liées à la lutte contre cette pollution – nettoiement, collecte des déchets, gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), entreprise de la voirie, espaces verts – et de mutualiser les ressources – pilotage de projet, financement des REP, campagnes de prévention, équipements de captage des déchets… Nous proposons une convention de groupement-type en ce sens pour faciliter ce mode de portage. 

Citeo conventionne également avec d’autres personnes publiques – parcs naturels marins, syndicats mixtes gestionnaires d’espaces naturels… – qui jouent un rôle dans l’animation territoriale de plans de lutte contre les déchets abandonnés. Ce sont souvent ces acteurs qui animent des territoires ruraux pour agir en commun contre la pollution. Cette coopération, extrêmement bénéfique pour l’action sur cette pollution, implique toutefois une vision politique partagée entre acteurs du territoire.

Une meilleure coordination des éco-organismes est-elle aujourd’hui possible et nécessaire ? 

C.S. – La coordination des éco-organismes va dans le sens des objectifs de politiques publiques et de la mobilisation de la REP sur cet enjeu environnemental prioritaire. Il existe une vingtaine de filières REP, dont quatre exercent des responsabilités dans la lutte contre les déchets abandonnés diffus, et toutes sont concernées par les dépôts sauvages. Il n’est ni souhaitable ni efficient pour une commune rurale de devoir gérer des engagements contractuels différents pour un même sujet. 

Une absence de coordination présente aussi un risque pour notre efficacité collective : imaginons que Citeo soutienne des mobiliers de tri sans prendre en compte la question des mégots, cela aurait pour effet d’accroître les mégots abandonnés là où un équipement de collecte aurait pu être prévu. 

Nous constatons un rapprochement de fait de nos propositions avec les éco-organismes : le nettoiement seul ne suffit pas, car cela reviendrait à éponger sans cesse la fuite d’un robinet ouvert. Pour « fermer le robinet » des déchets abandonnés, il est nécessaire d’agir à la source en diagnostiquant la pollution et en menant des actions préventives adaptées aux zones et aux pratiques identifiées. Citeo et Alcome accompagnent les collectivités pour recenser des hotspots et mener des actions de prévention : c’est une attente exprimée par les collectivités et un enjeu d’efficacité de nos actions. Le sujet est nouveau pour les filières REP mais une coordination est évidemment souhaitable.

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