Très petites entreprises : une force économique pour le développement des territoires

Auteur(s)

Nicolas Portier est consultant indépendant et enseignant au sein de l’École urbaine de Sciences Po. Son cours et ses recherches portent sur les stratégies économiques territoriales revisitées par les transitions écologique et énergétique. Ancien délégué général d’une association nationale de collectivités (Intercommunalités de France, ex-AdCF), il a longuement travaillé, de 2004 à 2021, au service de décideurs publics locaux et contribué aux réformes de l’organisation territoriale française. Il s’est occupé auparavant d’aménagement du territoire et de développement local en tant que conseiller au sein d’une administration rattachée au Premier ministre (Datar). Il est membre du conseil scientifique de l’Institut des hautes études d’aménagement des territoires (Ihédate) et préside le Cercle pour l’aménagement du territoire.

Résumé

Consacrée à la place des très petites entreprises (TPE) dans l’économie française, cette étude mesure leur « part de marché » dans le parc des entreprises et l’emploi salarié privé, mais aussi leur rôle dans les processus de recomposition des tissus productifs. Proposant un regard géographique, elle montre qu’elles contribuent à la création d’emplois dans la plupart des territoires français et jouent un rôle amortisseur des chocs dans les économies locales en contribuant à l’aménagement du territoire. Leur part dans l’emploi local est deux fois plus élevée dans les espaces de faible densité (petites villes, ruralités) que dans les grandes agglomérations. L’étude souligne également l’extrême hétérogénéité des projets entrepreneuriaux qui les inspirent, leurs avantages comparatifs et leurs points de fragilité, leurs secteurs d’expansion privilégiés. Elle s’efforce d’expliquer pourquoi les TPE occupent une place centrale dans la création d’emplois sans pour autant voir augmenter leur poids relatif dans l’économie. À travers une analyse dynamique, attentive au cycle de vie des entreprises, à leur développement spontané et aux phénomènes de croissance externe (rachats), l’étude met l’accent sur la fonction régénérative des TPE dans l’entrepreneuriat. Surreprésentées dans les activités présentielles, localo-centrées, proches du client final, elles représentent un levier important du développement local. En conclusion, l’étude formule un certain nombre de recommandations pour réévaluer le rôle des TPE, mieux les accompagner dans les phases post-création et optimiser leurs capacités contributives au développement économique local.

Synthèse

La France affiche depuis une décennie des statistiques impressionnantes en matière de création d’entreprises et plus de 1 million de nouvelles immatriculations sont désormais recensées chaque année. Ce dynamisme entrepreneurial apparent doit néanmoins être relativisé par l’essor des nouveaux statuts de l’auto-entrepreneuriat, lesquels comptabilisent à présent sous le nom « entreprise » des formes d’activité qui relevaient auparavant du travail indépendant. La notion de micro-entreprise employée depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008 regroupe de fait des réalités plurielles, en agrégeant dans une même catégorie statistique d’authentiques entreprises, composées de salariés, et des centaines de milliers de structures unipersonnelles, dont beaucoup sont très éphémères et n’ont pas d’activité réelle.

En se concentrant sur les très petites entreprises (TPE) qui emploient de 1 à 9 salariés, l’étude les distingue des formes les plus « ubérisées » et précaires de l’économie contemporaine. Elle met en exergue la contribution de ces TPE au développement local et au renouvellement des tissus économiques en soulignant trois caractéristiques :

  • les TPE, surreprésentées dans certains secteurs d’activité (bâtiment, artisanat, commerce, hôtellerie-restauration…), sont très connectées à l’économie de proximité, dite « présentielle », centrée sur la consommation locale ; 
  • la répartition géographique des TPE est ubiquitaire, leur poids dans l’emploi s’avérant même proportionnellement plus élevé dans les ruralités et les petites agglomérations que dans les métropoles, de même qu’il est plus significatif dans la moitié sud du pays ;
  • Le tissu des TPE, relativement stable, même s’il est constamment renouvelé par le turn over des créations et liquidations, joue un rôle de couche protectrice pour les économies locales et contribue à amortir les chocs des crises. Bien que les confinements et fermetures administratives de la période Covid aient impacté des secteurs dans lesquels elles sont très représentées, les TPE ont su faire preuve de résilience en mobilisant les dispositifs de soutien public (chômage partiel, prêts garantis, fonds de solidarité…) et les mesures de relance.

Ultramajoritaires (plus de 80 %) au sein du parc des entreprises employeuses, les TPE n’accueillent pour autant qu’un petit cinquième des emplois salariés privés. En revanche, leur contribution à la création d’emplois (en solde net) est, en proportion, beaucoup plus intense. Leur part dans le flux de la création d’emplois salariés est bien supérieure à leur part dans le stock total des emplois. Cet écart se comprend mieux dès lors que l’on tient compte des changements de périmètre des entreprises qui voient des TPE en croissance franchir des seuils et basculer vers les catégories supérieures des PME, voire des entreprises de taille intermédiaire. Pour certaines d’entre elles, les TPE font l’objet de stratégies de rachat par de plus grandes entités. Elles disparaissent des statistiques mais leur énergie entrepreneuriale se perpétue à l’intérieur d’entités plus vastes. Elles alimentent ainsi la régénération constante du tissu productif.

Les premières années de vie des entreprises et la phase durant laquelle elles disposent encore d’un format compact sont propices à l’expansion. À l’opposé du spectre, les grands groupes détruisent davantage d’emplois qu’ils n’en créent. Pour autant, ils concentrent une part croissante des effectifs à travers leurs absorptions d’autres entreprises. C’est ce mouvement à double détente qui explique que le poids des TPE dans le stock de l’emploi est plus faible que celui qu’elles représentent dans les flux.

Nombre de TPE à croissance rapide ont vocation à changer de catégorie ou à rejoindre un grand groupe pour passer à l’échelle, étendre leur pouvoir de marché ou déployer une innovation. Caractérisées par des progressions fulgurantes de leurs effectifs et de leur chiffre d’affaires, les fameuses « gazelles » contribuent significativement aux créations d’emplois mais elles sont loin d’être les seules. Les TPE à croissance lente et progressive, appelées « souris », sont beaucoup plus nombreuses et spatialement mieux réparties. Leur contribution active à la création d’emplois est tout autant à considérer que celle des pépites technologiques et des start-up en hypercroissance convoitant le statut de « licorne » (valorisation de plus de 1 milliard d’euros).

Extrêmement hétérogènes, les TPE recouvrent des modèles économiques très contrastés. Nombre d’entre elles s’inscrivent dans un projet entrepreneurial autolimité, dont la vitesse de croisière est assez vite atteinte en termes d’effectifs. Restaurants, agences immobilières, épiceries, concessions ou garages automobiles, salons de coiffure, cabinets médicaux… sont par exemple des entités qui se stabilisent rapidement dans leur modèle d’affaires et leur format. Leur volume d’activité et leur propension à recruter sont largement tributaires de la propension locale à consommer des habitants et des pouvoirs d’achats des résidents (permanents ou occasionnels) de leur territoire d’implantation. La densité des coopérations et des échanges interentreprises peut également exercer un effet multiplicateur sur les volumes d’affaires des TPE.

Les TPE présentent des avantages évidents en termes d’agilité et de vitesse d’adaptation. Elles sont souvent appréciées pour la proximité et la relation directe qu’elles établissent entre dirigeants et salariés. Les niveaux hiérarchiques et le formalisme bureaucratique y sont faibles. En contrepartie, les TPE ne peuvent assurer des progressions de carrière. Elles sont trop restreintes pour pouvoir s’attacher certaines compétences en interne (agent commercial, comptable, informaticien…), ce qui leur impose une certaine polyvalence, le recours à des prestataires ou à des solutions mutualisées entre pairs. Elles souffrent parfois d’une trésorerie fragile, exposée à des délais de paiement incertains, et d’une insuffisance de fonds propres.

De nombreuses TPE s’insèrent dans des réseaux, voire des groupes de TPE-PME. L’essor considérable connu par les franchises au cours des trente dernières années permet de combiner l’indépendance du dirigeant d’entreprise avec le pouvoir de marché d’une enseigne : environ 2 000 réseaux, représentant plus de 450 000 emplois et 88 milliards d’euros de chiffre d’affaires, maillent aujourd’hui les territoires dans la plupart des secteurs d’activité : alimentaire, immobilier, bien-être et beauté, optique, réparation, location, campings, cavistes…

Au cours des deux dernières décennies, la résilience des TPE et leur contribution au développement local ont profité d’un maillage très dense et professionnalisé de structures d’accompagnement à la création d’entreprises. Professionnalisés, ces réseaux ont accompagné plusieurs dizaines de milliers de projets avec des prêts d’honneur, des mécanismes de garantie, voire des interventions en capital-investissement. Ils mobilisent l’expertise et la solidarité de pairs (dirigeants d’entreprises en activité ou retraité) pour conseiller le créateur, l’aider à surmonter son isolement et faire des choix. Ce nouveau climat entrepreneurial est également matérialisé par la constitution, partout en France, de clubs d’entrepreneurs et de réseaux collaboratifs interentreprises, tels que des clusters dans lesquels s’insèrent de nombreuses TPE de production ou de services aux entreprises. Le profil des créateurs d’entreprise a également changé, marqué par un rajeunissement, une plus forte féminisation, une élévation des niveaux de diplômes et d’expérience professionnelle des néo-entrepreneurs.

Ces constats invitent à développer des stratégies adaptées au public cible des TPE, mises en oeuvre au plus près des territoires et centrées sur les phases post-création. Ces politiques doivent conforter la propension des TPE à recruter et leur contribution active à la circulation locale des revenus. Le renforcement des synergies interentreprises et des démarches collaboratives doit contribuer à sécuriser leurs modèles d’affaires et à permettre à nombre d’entre elles d’accéder à la commande publique. Les offres d’interface (de type market place) peuvent également activer les relations d’affaires croisées entre TPE et féconder leurs carnets de commandes respectifs.

Aujourd’hui diluées dans les statistiques des micro-entreprises, les TPE doivent redevenir un sujet d’étude spécifique afin de mieux en saisir l’hétérogénéité et les dynamiques globales, en observant leurs évolutions sur longue période et leurs diverses contributions aux économies territoriales.

IntroductionRéévaluer et documenter les TPE, un besoin nécessaire

Cette publication a pour ambition de mieux cerner la contribution des très petites entreprises (TPE) au développement économique local. Bien que cette famille d’entreprises (moins de 10 salariés) n’assure en volume qu’un petit cinquième des emplois du secteur marchand, il est apparu utile d’en réévaluer la fonction motrice dans le renouvellement du tissu productif, la création d’emplois et l’aménagement du territoire. Ceci présuppose de s’intéresser à la cinétique de l’entrepreneuriat et à ses évolutions les plus récentes. De l’aveu même des pouvoirs publics nationaux, les TPE forment des réalités encore assez mal connues et faiblement étudiées1Céline Bazard, « Les TPE françaises et leur accès au financement », Trésor-Éco, n° 159, décembre 2015., trop souvent ballottées d’une nomenclature à une autre, ce qui rend complexe la lecture de leurs évolutions au long cours.

Quelles sont les caractéristiques de ces petites structures ? Quels sont leurs avantages comparatifs et leurs points faibles ? Dans quels domaines d’activité sont-elles les plus prospères ? Existe-t-il des territoires plus favorables à leur épanouissement ? La présente étude s’efforce d’apporter des éléments de réponse à toutes ces questions en mobilisant l’information disponible, souvent éclatée entre des sources différentes et des catégories statistiques instables.

Alors que les créations d’entreprises se sont multipliées depuis le début de ce siècle et qu’une partie importante des créations d’emplois relève des petites structures, il nous semble également nécessaire de mieux identifier les mécanismes par lesquels se poursuit la concentration des salariés dans les plus grandes entités. Comment expliquer cet apparent paradoxe ? Quelle division du travail s’organise entre les différentes catégories d’entreprises dans la recomposition permanente du tissu productif ?

Nous entendons mobiliser ici les informations ou les données disponibles pour mieux cerner le rôle spécifique des TPE dans la vie économique des territoires. Le parti a été pris, avec l’Institut Terram, de préserver l’expression « très petite entreprise », familière au grand public, sans recourir à celle de « micro-entreprise » aujourd’hui de plus en plus employée mais qui amalgame des réalités excessivement hétérogènes. Nous reviendrons sur ce choix de centrer l’étude sur les entreprises employeuses en laissant de côté l’autoentrepreneuriat.

Les très petites entreprises constituent de très loin l’immense majorité des acteurs économiques. Leur poids relatif dans les « stocks » des emplois salariés privés est assez stable sur la durée, mais c’est leur contribution très active à la création des emplois analysée en logique de « flux » qu’il nous a semblé fondamental de mettre en valeur. À travers la réorganisation profonde du fonctionnement du système productif qui a marqué le premier quart de siècle, les TPE jouent des rôles multiples et contribuent à la régénération permanente des chaînes de valeur. Mais bien que régulièrement valorisées dans les propos publics et bénéficiant de mesures fiscales favorables, elles se sentent mal considérées via les systèmes de représentation du monde économique. Beaucoup d’entre elles s’estiment marginalisées dans le fonctionnement d’un capitalisme français marqué par une centralisation extrême, centralisation renforcée par la financiarisation du dernier quart de siècle. Force est de constater que perdurent un certain nombre de freins à l’épanouissement des TPE et de « plafonds de verre » qui en limitent la croissance organique.

Par ailleurs, l’accès des TPE à la commande publique ou aux différents dispositifs financiers d’accompagnement reste encore inégal et leurs difficultés de recrutement brident leur potentiel. Dans le même temps, les surperformances de certains territoires à très forte densité de TPE montrent que la miniaturisation d’un appareil productif est conciliable avec des dynamiques soutenues.

Bien entendu, cette étude ne saurait répondre à toutes les questions posées, mais elle propose un premier éclairage sur des entreprises qui restent assez peu observées. Dans une première partie, nous tenterons de mieux cerner les contours de ces TPE et d’en dresser un panorama. Nous mesurerons également leurs dynamiques au cours des deux dernières décennies. Championnes de créations d’emplois, les TPE ne voient pas pour autant leur poids relatif s’accroître dans le système productif : analyser ce dernier en termes dynamiques et non statiques nous permettra d’en comprendre les ressorts.

La seconde partie propose un regard plus géographique pour évaluer le rôle des TPE au coeur des économies locales. Pourvoyeuses de nombreux emplois liés aux activités de proximité, elles entretiennent des liens étroits avec leurs territoires d’implantation et servent de « couches protectrices » dans les périodes de crise. Elles ont été résilientes durant la séquence pandémique et ont montré d’étonnantes capacités d’adaptation. Seront enfin évoquées les nouvelles formes d’entrepreneuriat apparues au coeur des territoires depuis le début du siècle. Inscrit dans des approches en réseau, très ouvert sur les questions numériques et les transitions écologiques, ce néoentrepreneuriat est à même de contribuer à un fort renouvellement du tissu productif en l’ancrant dans des dynamiques territoriales et régionales de développement.

L’étude s’achève par des recommandations en faveur d’une politique structurée de soutien des très petites entreprises, de mise en oeuvre très décentralisée, au plus près des territoires, tout en s’adossant à des programmes budgétaires d’impulsion nationale ou européenne.

I. Les TPE, championnes de créations d’emplois dans les territoires

1. Panorama de la démographie des entreprises et de la place des TPE

Définitions et données disponibles

Analyser la place des TPE au coeur des dynamiques économiques territoriales invite en premier lieu à cerner le périmètre d’étude. Depuis une quinzaine d’années, les organismes statistiques recourent à la notion de « micro-entreprise » qui regroupe les agents économiques de moins de 10 employés, y compris les auto-entreprises sans salariés, dont le nombre s’est accru avec la création de nouveaux statuts juridiques. Cette extension de périmètre a amplifié l’hyper-prépondérance des plus petites entreprises dans les données brutes.

L’Insee a ainsi recensé quelque 4,3 millions de micro-entreprises en 2023, ce qui représente 96 % des entreprises et environ 92 % des sociétés immatriculées (unités légales). Pour autant, ces micro-entreprises regroupent des réalités économiques d’une hétérogénéité extrême, ce qui ne facilite pas la compréhension des réalités entrepreneuriales.

Le segment des entreprises étudié dans les pages qui suivent est volontairement plus restreint : 

  • l’analyse proposée ne porte que sur des entités « employeuses » et s’est recentrée sur les entreprises composées de 1 à 9 salariés, disposant d’une immatriculation et d’un capital social ;
  • la définition des TPE proposée s’aligne sur celle de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail qui retient ce critère de nombre d’emplois (ainsi qu’un plafond de chiffre d’affaires à 2 millions d’euros) ; 
  • sont mises de côté les différentes formules d’auto-entrepreneuriat et d’entreprises sans salariés qui se combinent souvent avec d’autres statuts (chômage, salariat à temps partiel, préretraite, commerce familial…) ; 
  • les TPE observées sont des entités indépendantes, à savoir ni des établissements rattachés à une entreprise de plus grande taille, ni des sociétés filles d’une maison mère.

Selon les données les plus récentes de la Dares qui dispose d’informations actualisées sur les employeurs et les salariés, en 2022, 3,6 millions de salariés travaillaient dans 1,24 million de TPE de notre périmètre2Dares, « L’emploi dans les très petites entreprises en 2022 », dares.travail.gouv.fr, 16 janvier 2024., en forte progression au cours de la décennie3En 2012, en France, on comptait 2,1 millions de TPE (dont 1,2 million sans salariés), employant 2,3 millions de salariés (Hervé Bacheré, « Les très petites entreprises, 2 millions d’unités très diverses », Insee Focus, n° 24, mars 2015). De fait, l’Insee recensait 900 000 TPE employeuses en 2012, alors que la Dares en recensait pour sa part plus d’un million. La progression du nombre de TPE en une décennie peut ainsi être estimée autour de 250 000-300 000 entités.. Elles représentent 82,1 % des entreprises employeuses en France, les 17,9 % restantes, de 10 salariés et plus, étant composées dans leur grande majorité des petites ou moyennes entreprises (PME) (voir graphique 1).

Un cinquième de l’emploi

La distribution des salariés présente un symétrique quasiment parfait. Presque 82 % des salariés relèvent d’entreprises de dix salariés ou plus quand les très petites entreprises en regroupent environ 18 %, soit 3,6 millions de personnes. Ce rapport 80/20 semble parfaitement obéir au principe de Pareto4À la fin du XIXe siècle, l’économiste et sociologue italien Vilfredo Pareto (1848-1923) a mis en évidence la régularité de cette distribution 80/20 à partir d’études fiscales en Europe : 20 % des foyers disposaient de 80 % des richesses dans de nombreux pays malgré leurs différences notables en termes d’inégalités. observé dans de nombreux domaines.

La plupart des très petites entreprises employeuses ne comptent que 1 salarié (37,9 %) ou 2 salariés (19,8 %) et relèvent pour beaucoup des métiers de l’artisanat. Les entreprises de 3 à 5 salariés constituent 27,8 % du parc total alors que les structures de 6 à 9 employés en forment 14,5 %. Si l’on regarde du côté de la distribution des emplois, les effectifs des TPE se répartissent de manière équilibrée entre structures de 6 à 9 salariés (36,4 %) et entités de 3 à 5 salariés (36,6 %). Bien que majoritaires en nombre, les TPE de 1 à 2 salariés ne contribuent qu’à hauteur de 27 % des effectifs de ces tissus (voir graphique 2).

De manière assez logique, l’ancienneté des TPE contribue à élargir leur socle d’emplois. En première année de vie, trois quarts des nouvelles entreprises sont sans salariés mais elles ne sont plus qu’une sur deux dans ce cas au bout de dix ans. Ces TPE recruteuses, au coeur de notre étude, s’affirment avec le temps. Au sein d’un nouveau millésime (année de création), les TPE employeuses d’au moins 2 salariés sont encore assez rares, de l’ordre de 1 sur 10, alors qu’elles sont 30 % au bout de dix ans. Les TPE de 4 salariés ou plus sont ultraminoritaires dans leur phase de création, de l’ordre de 3 %, alors qu’elles seront cinq fois plus nombreuses au terme d’une décennie (voir graphique 3).

Il ressort que les TPE contribuent de manière assez stable au marché de l’emploi. Trois quarts de leur apport reposent sur les structures d’au moins 3 salariés. Un dualisme assez marqué s’opère entre les TPE recruteuses, à développement parfois rapide, et celles qui s’installent très vite dans un format stabilisé, sans désir manifeste de croissance. Dans les typologies proposées par certains auteurs, cette option de non-croissance est présentée comme « hédoniste » ou « lifestyle », marquée par le refus des contraintes, la crainte du supplément de stress ou la peur de perdre le contrôle de l’outil de travail. Elle peut aussi se traduire par des modèles d’affaires fragiles, maintenus aux forceps par le dirigeant pour préserver son autonomie au risque d’y consacrer beaucoup de temps, voire de son argent, dans une logique « autophage »5Annabelle Jaouen, « Typologie des dirigeants de très petite entreprise », Journal of Small Business & Entrepreneurship, vol. 23, n° 1, janvier 2010, p. 133-152.. Il est enfin nécessaire de préciser que de nombreuses activités professionnelles, exercées sous forme de TPE, parviennent rapidement à maturité. Exploiter un restaurant, un cinéma, un salon de coiffure, une droguerie, de même que créer un cabinet vétérinaire, une étude notariale ou encore une petite imprimerie d’étiquettes n’invite pas nécessairement à se projeter dans une croissance perpétuelle ou de vastes changements d’échelle, sauf à s’engager dans l’ouverture de plusieurs établissements similaires.

L’immense majorité des TPE s’inscrivent dans une logique d’autolimitation de leur propre croissance et travaillent davantage sur leur profitabilité que sur leur extension de périmètre. À l’inverse, les projets entrepreneuriaux à ambition XXL sont rares. Ce sont eux qui feront appel à des levées de fonds pour assurer des sauts d’échelle, aussi bien par croissance organique que par croissance externe. Pour illustrer ce modèle, on peut citer par exemple le groupe Babilou qui, vingt ans après avoir créé une première crèche, revendique aujourd’hui 5 000 salariés dans son dense réseau de lieux de garde (450 crèches en propre et 1 500 établissements partenaires). Né sous forme de TPE en 2013, Doctolib est devenu une entité de 2 500 salariés à partir du succès de son application de santé. Le numéro un mondial des laboratoires d’analyse, le groupe d’origine nantaise Eurofins (62 000 salariés), n’était encore qu’une TPE au début des années 1990 avant de multiplier les acquisitions en Europe et dans le monde.

Surreprésentées dans le commerce, les transports, l’hébergement-restauration, la construction

Au regard des spécialisations sectorielles, les TPE présentent certaines particularités. Elles sont proportionnellement surreprésentées dans des domaines tels que le commerce, les transports, l’hébergement-restauration, la construction ou les activités culturelles, mais sont en revanche deux fois moins importantes en proportion dans l’industrie manufacturière, plus capitalistique, ou dans les secteurs de la santé, de l’action sociale et de l’éducation6L’hyper-prépondérance du nombre de TPE dans le parc total des entreprises les rend en fait majoritaires dans tous les secteurs de l’économie. C’est en termes relatifs que doit être comprise leur moindre présence dans l’industrie, la santé ou l’action sociale : 7,6 % des TPE sont recensées dans l’industrie contre 17,7 % des entreprises de plus grande taille.. Strictement indépendantes ou insérées dans de puissants réseaux de franchises, sur lesquels nous reviendrons, elles prédominent nettement dans les métiers de l’artisanat (bâtiment, coiffure, cordonnerie, réparation…), les secteurs du bien-être, les agences immobilières, les professions libérales, les prestations de services… Le poids des TPE dans l’emploi au sein des différentes branches de l’économie est également variable : il est inférieur à 10 % des effectifs de l’industrie, du transport, de la logistique, de la finance et de l’assurance, où prédominent de grands acteurs, alors qu’elles emploient plus de 20 % des salariés dans le commerce, près de 30 % au sein des activités immobilières, 35 % des salariés dans la construction (bâtiment surtout) et 39 % dans l’hébergement-restauration.

La taille d’une entreprise n’offre guère d’indication sur sa profitabilité. La part des TPE dans la valeur ajoutée nationale est supérieure de 4 à 5 points à leur part dans les chiffres d’affaires et proche de leur proportion dans les effectifs salariés. La valeur ajoutée par emploi des TPE apparaît dans certaines études comme étant supérieure à celle des autres catégories. Une forte dispersion est néanmoins constatée autour de cette moyenne haute, notamment dans les services aux entreprises, les activités d’information et de communication, les secteurs industriels. On notera également que la valeur ajoutée par emploi tend à décroître légèrement avec le nombre de salariés, en particulier dans les services aux entreprises et la construction7Hervé Bacheré, art. cit., ce qui peut s’expliquer par des niveaux de qualification moins élevés des nouvelles recrues. Le taux de marge des TPE (excédent brut d’exploitation rapporté à la valeur ajoutée) est plus faible que celui des entreprises de plus grande taille et notamment des grands groupes.

La nécessité de mesurer l’effet d’ubérisation

Depuis le début des années 2000, l’économie française a vu s’accroître de manière régulière et continue son parc d’entreprises, passées d’environ 3 millions à plus de 4 millions en 2023. Si elle est assez impressionnante et présentée souvent comme un signe de vitalité, cette progression doit être interprétée avec prudence. Elle doit notamment tenir compte des évolutions législatives qui ont donné naissance au statut d’auto-entrepreneur et facilité la création de sociétés unipersonnelles. Les flux de créations d’entreprises, qui oscillaient entre 250 000 et 300 000 immatriculations annuelles au début du siècle, ont dépassé le million d’unités en 2022 et en 2023. Comme le montre le graphique 4, la progression des volumes de créations d’entreprises s’est accélérée durant les épisodes de crise. Elle alterne des périodes de plat avec d’importants ressauts lors de la création de nouveaux statuts.

Ces flux de créations sont largement supérieurs aux volumes des défaillances recensées chaque année, de l’ordre de 50 000 au cours de la décennie 2010, soit des taux situés entre 1 % et 2 % du parc selon les périodes et les secteurs d’activité. En l’espace d’une décennie (2010-2019), le nombre d’entreprises en activité, principalement porté par les micro-entreprises (auto-entreprises et TPE), s’est ainsi accru de 40 %. Malgré ses difficultés structurelles, l’économie française est devenue une championne de l’entrepreneuriat et a vu ses taux de créations d’entreprises largement surpasser ceux constatés dans les pays de l’OCDE8OCDE, Panorama de l’entrepreneuriat 2017, Paris, Éditions de l’OCDE, 2018.. Les changements de périmètre de calcul exercent alors un effet majeur, avec la transformation progressive des travailleurs indépendants en auto-entrepreneurs, dans un contexte de mutation de l’emploi, de désir de mise à son compte (self employment), parfois à temps partiel9Selon l’OCDE, la France est le pays qui voit la plus forte progression du travail indépendant à temps partiel entre 2005 et 2016. Il a plus que doublé sur cette période, sans pour autant atteindre les taux les plus élevés de travail indépendant à temps partiel que l’on recense aux Pays-Bas, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou au Royaume-Uni (OCDE, op. cit., p. 27-29).. Une part très importante des entrepreneurs concernés déclarent qu’ils n’auraient pas créé d’entreprise sans ces nouveaux statuts10Insee Première n°1487, « Créateurs d’entreprises : avec l’auto-entreprenariat, de nouveaux profils », février 2014.. Le développement de formes éclatées de prestations (VTC, livraisons…), à travers l’économie à la demande que stimule le numérique, joue également un rôle important. À cet égard, les records de créations d’entreprises peuvent faire illusion et masquer l’ubérisation de l’économie, faite d’emplois précaires, de temps partiels subis, d’activités de complément11Frédéric Barruel, Stéphane Thomas, Olivier Filatriau et Henri Mariotte, « Créateurs d’entreprises : avec l’auto-entreprenariat, de nouveaux profils », Insee Première, n° 1487, février 2014.. L’OCDE insiste sur cette précaution à prendre et considère que certains auto-entrepreneurs se rapprochent dans la réalité de salariés mais dépourvus des protections sociales afférentes. Il est notable que la tendance historique à la salarisation de l’emploi s’est inversée en France depuis la crise financière de 2008. Alors que l’emploi indépendant avait chuté de 18 % à environ 10 % entre 1982 et 2008, il rebondit depuis cette période avec l’apparition des nouveaux régimes et l’uberisation du travail. Selon l’Insee, le nombre d’emplois indépendants a progressé d’environ un million entre 2006 et 2022 (de 2,35 millions à 3,31 millions), ce qui questionne l’avenir de la couverture sociale des personnes concernées12Du point de vue des retraites, le régime de la micro-entreprise pour les chefs d’entreprise qui y recourent peut devenir une bombe sociale à retardement : en 2023, l’URSSAF dénombre 2,715 millions de chefs d’entreprise assujettis à ce régime, 49 % d’entre eux déclarant un chiffre d’affaires nul. Le chiffre d’affaires trimestriel moyen déclaré s’établit à 4 988 euros. Ces nouvelles formes de travail marquées par l’intermittence et la précarité peuvent conduire des centaines de milliers de personnes au minimum vieillesse..

La progression des créations de sociétés

L’analyse des dynamiques entrepreneuriales françaises reste néanmoins avantageuse lorsque l’on observe les seules créations de sociétés. Celles-ci sont passées de 90 000 par an au début des années 2000 à 290 000 de nos jours. Même si elles peuvent être unipersonnelles et dépourvues de salariés13Les sociétés ne peuvent toutes être assimilées à des entreprises. Certaines n’ont pas de réel modèle entrepreneurial et c’est ce qui explique qu’elles sont beaucoup plus nombreuses que les entreprises dans les recensements. L’Observatoire national des greffiers des tribunaux de commerce recense 7,53 millions de sociétés. La catégorie la plus fournie est celle des sociétés civiles immobilières (SCI), qui s’est fortement développée pour la gestion des patrimoines familiaux. Elle regroupe 1,7 million de sociétés à elle seule, devant les SARL et les SAS. Ceci explique le poids impressionnant des sociétés actives dans les activités immobilières (2,28 millions)., elles s’inscrivent a priori dans un projet plus robuste, davantage prédisposé à des recrutements. Deux sociétés sur trois sont encore en activité au bout de cinq ans alors qu’une auto-entreprise sur deux a disparu. On notera que certains pays ne connaissent l’entreprise que sous la forme d’une société, à l’image du Royaume-Uni ou de l’Espagne, alors que d’autres pays combinent sociétés et statuts individuels. Quel que soit le périmètre retenu, l’économie française « surperforme » quand on observe les flux de créations d’entreprises14Christel Gilles, « La dynamique entrepreneuriale sur 2000-2022 : y a-t-il une spécificité française ? », France Stratégie, 12 novembre 2023..

Mesurée à l’aune des seuls taux de création, la vitalité entrepreneuriale n’est pas en soi synonyme de croissance économique, de densité d’emplois et de performance en termes de valeur ajoutée. Un nombre très élevé d’entreprises, apprécié en valeur absolue ou rapporté à la population, n’a pas d’influence directe sur le produit intérieur brut (PIB) par habitant ou les taux de croissance. En 2023, l’Allemagne disposait d’un PIB de 4 120 milliards d’euros, supérieur d’un tiers à celui de la France (2 800 milliards d’euros), avec environ 600 000 entreprises en moins, et le Royaume- Uni, dont la production est comparable à celle de la France, compte un parc d’entreprises de 1,3 million d’unités en moins. Les États-Unis, au PIB sept fois supérieur au PIB français, ne décomptent qu’un tiers d’entreprises de plus. A contrario, avec son économie de petites entreprises familiales, l’Italie décompte davantage d’entreprises que la France, malgré un PIB inférieur15Ces comparaisons incluent l’ensemble des entreprises immatriculées au sein des différentes économies, ce qui réintègre pour le cas de la France les statuts individuels de micro-entrepreneurs..

On doit en conclure que : 

  • les indicateurs tels que les taux de créations et de défaillances n’ont de sens qu’en se rapportant à la taille du stock total d’entreprises d’un pays et aux périmètres d’analyse retenus ; 
  • la densité d’une économie en entreprises n’informe que très peu sur sa performance globale tant cette densité est tributaire des modes d’organisation des firmes, des régimes juridiques et sociaux en vigueur, et de certains traits culturels qui affectent les rapports au travail.

Il apparaît ainsi essentiel de se projeter au-delà des chiffres bruts de la création ou du nombre d’agents économiques pour observer le profil des entreprises créées. Leur propension à recruter, leur aptitude à croître et à devenir des pourvoyeuses d’emplois pérennes au sein des territoires sont très différenciées.

Souris et gazelles

Le stade de la TPE correspond au premier acte du cycle de vie des projets entrepreneuriaux. Si une fraction d’entre eux ont vocation à connaître un fort développement, beaucoup d’autres reposent sur des intentions plus modestes. Les travaux universitaires distinguent ainsi les « gazelles », à croissance rapide, aux « souris », qui se développent à pas mesurés et se stabilisent ensuite dans un format qui peut correspondre au gabarit idéal souhaité par le dirigeant. Depuis les travaux de David Birch, ancien chercheur du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui ont popularisé à partir des années 1980 cette notion de « gazelle », certains auteurs considèrent que ces championnes de la croissance portent l’essentiel des gains nets d’emplois. Au demeurant, ces gazelles sont peu nombreuses et ne coïncident pas toutes avec le storytelling dominant, réactivé depuis quelques années par les trajectoires fulgurantes des entreprises numériques américaines et des start-up à hypercroissance. Les études conduites en France sur les gazelles, définies comme des entreprises dont le taux de croissance du chiffre d’affaires est supérieur à 20 % par an, confirment qu’elles sont assez peu nombreuses. Sur une cohorte de 1 million d’entreprises nées entre 2010 et 2018, toujours en activité à la fin de la période, l’Insee a évalué que 95 % d’entre elles demeurent sous le seuil des 10 salariés. Quelque 1 600 entreprises de cet échantillon (soit 0,16 %) sont assimilables à des gazelles au vu de la progression de leur activité et ont franchi le seuil des PME. Une cinquantaine d’entre elles sont même devenues des entreprises de taille intermédiaire (ETI) en franchissant le seuil des 250 salariés16Kymble Christophe et Valentin Dillies, « Caractéristiques et dynamiques de l’emploi dans les start-up en France », in Les Entreprises en France, Insee, 2021, p. 55-66. Sur les gazelles plus spécifiquement, voir Claude Picart, « Les gazelles en France », Insee, document de travail G2006/02, juin 2006.. L’apport de ces gazelles en nouveaux emplois créés s’élève à 75 000, ce qui est significatif sans être prépondérant dans le flux des créations. Les analyses montrent que ces entreprises ne sont pas toutes actives dans des secteurs à forte intensité technologique, emblématiques de l’innovation schumpetérienne. Nombre d’entre elles se déploient dans des secteurs assez traditionnels. Leur développement repose également pour beaucoup sur des modèles de croissance externe (acquisitions) et par l’adossement à des groupes ou à des fonds d’investissement.

Les gazelles n’épuisent donc pas les réalités entrepreneuriales. Si elles contribuent effectivement à la création d’emplois, la composante organique de cette création est plus nuancée. Leur faible volume invite à ne pas parier seulement sur ce modèle. D’autres travaux conduisent ainsi à revaloriser les profils d’entreprises plus répandus, au développement moins rapide mais qui pèsent très lourd dans l’emploi par effet masse. Cent mille TPE créant un emploi chacune pèsent autant qu’un millier de gazelles qui en créeraient toutes une centaine. Les profils de souris ont en outre l’intérêt de présenter une répartition géographique plus diffuse des emplois créés. Il n’y a donc pas lieu d’opposer les modèles de croissance mais plutôt d’en comprendre la complémentarité et les différences de ressorts. Les gazelles ne sont des TPE que durant une période provisoire, souvent brève. C’est fréquemment dans cette période qu’elles contribuent le plus à la dynamique de l’emploi avant de procéder à un changement d’échelle ou de statut. À l’opposé, l’immense majorité des TPE s’inscrivent dans un projet assez différent, celui de perdurer en format compact, sans rigidité de structure, ou de ne prospérer que de manière très graduelle en pariant parfois sur la passation de relais à des héritiers mieux armés17Jacques Arlotto, André Cyr, Olivier Meier et Jean-Claude Pacitto, « Très petite entreprise et croissance : à la découverte d’un continent inexploré », Management & Avenir, n° 43, avril 2011, p. 16-36..

L’agilité, une force pour les TPE

Les enquêtes régulièrement conduites auprès des dirigeants de TPE ou de petites PME de moins de 20 salariés mettent systématiquement l’accent sur leur volonté de demeurer à la tête d’une structure agile et souple. Nombre de créateurs d’entreprises ont choisi de quitter le salariat soit pour se mettre à leur compte en « solo », soit pour animer une équipe réduite, parfois en codirection avec des associés (32 % des projets sont portés par deux ou trois cocréateurs).

La force économique de la TPE est celle de l’échange direct entre dirigeants et salariés, de la rapidité de décision, de la motivation des équipes. Ce sont la simplicité et la réactivité attendues de l’organigramme « à plat ». La TPE est marquée par de fortes relations interpersonnelles et cultive souvent un esprit familial, sans nécessairement emprunter au registre paternaliste. Le tutoiement est fréquent, la flexibilité valorisée. La division des tâches est plus évolutive, moins formalisée que dans les grandes structures. La substituabilité doit être forte, au moins sur une partie des tâches, pour faire face aux imprévus ou aux périodes de congés. De nombreux profils de dirigeants épousent ce format managérial malgré la diversité des motivations initiales (reprise d’une activité familiale, sortie du chômage, projet entrepreneurial à la sortie d’une grande école…). Dans les enquêtes, de nombreux salariés plébiscitent également la convivialité des plus petites entreprises, la responsabilité accrue des personnels, la solidarité des équipes, l’accessibilité et l’engagement fort des dirigeants… La TPE est valorisée pour son aspect polyvalent mais aussi pour sa capacité créative. Beaucoup d’entre elles sont de jeunes structures (44 % ont moins de cinq ans), ouvertes à de nouveaux modèles. Le temps d’absorption de nouveaux process, notamment numériques18La diffusion du numérique est encore inégale au sein des TPE et différenciée selon les secteurs. Le baromètre 2023 de France Num consacré aux TPE et aux PME indique que 84 % ont une solution de visibilité en ligne et que trois quarts d’entre elles ont une perception positive du numérique. Dans le même temps, des interrogations s’accroissent sur la sécurité des données et le retour sur investissement., peut se montrer extrêmement court une fois la décision prise.

En termes réglementaires et fiscaux, les TPE bénéficient d’avantages comparatifs non négligeables en étant exonérées de nombreuses obligations réglementaires et déclaratives mais aussi de certaines cotisations socio-fiscales. Les entreprises de moins de 11 salariés sont par exemple exonérées du versement mobilité qui finance les transports publics urbains. Le barème de la cotisation à la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), fixé en fonction du chiffre d’affaires, exonère aussi de fait les très petites entreprises. Et, dans le commerce, seules les surfaces de plus de 400 mètres carrés sont assujetties à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom).

Au-delà des nombreuses mesures prises depuis les années 1990 pour simplifier et encourager la création d’entreprises, des dispositions sont venues favoriser leur propension à recruter. En juin 2015, un plan gouvernemental a ainsi créé une prime à l’embauche d’un premier salarié, autorisé le renouvellement de contrats à durée déterminée (CDD), amélioré le régime fiscal des groupements d’employeurs, lissé les impacts des franchissements de seuils (10 et 50 salariés) sur les prélèvements socio-fiscaux, institué un service d’accompagnement des dirigeants dans leur politique de gestion des ressources humaines. Ces mesures ciblées se sont ajoutées aux annonces bénéficiant à toutes les entreprises (allégements de cotisations sur les bas salaires, préfinancements du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi…). De fait, la contribution active des TPE à la création d’emplois et à la lutte contre le chômage a été progressivement mieux identifiée. Les pouvoirs publics ont essayé de lever les freins psychologiques à la croissance et au changement de dimension. Ces incitations ciblées ont eu des effets sur les créations d’emplois tout en se heurtant à d’autres types de freins en période de reprise économique et d’accentuation des logiques de concentration.

Les facteurs limitants des TPE

Ce qui fait la force de la TPE peut aussi être lu comme son facteur limitant. Sa taille est trop réduite pour entrer dans une différenciation fonctionnelle importante, organisée autour d’expertises métiers et de compétences pointues, et ce plafond de verre va jouer sur l’attractivité de l’entreprise dans ses projets de recrutement. Les niveaux de rémunération sont en moyenne plus faibles, même s’il existe des contre-exemples (notamment dans les professions libérales). L’absence de strates hiérarchiques réduit les perspectives d’ascension professionnelle et les espoirs de promotion interne.

Le projet d’entreprise est indissociable du projet personnel du dirigeant et assez peu négociable. Une TPE présuppose une adhésion forte et un alignement des points de vue. La représentation syndicale y est presque nulle. Dispensées de négociation collective d’entreprise et d’élections de délégués du personnel, les TPE sont marquées par un dialogue social très hétérogène. L’absence de formalisme peut être un atout dans les périodes de beau fixe mais se retourner lorsque la situation économique se dégrade. La démocratie sociale est ainsi embryonnaire dans les TPE, marquée par des réalités contrastées19Frédéric Rey, « La démocratie politique contre la démocratie sociale ? Analyse de la négociation sur la représentation des salariés des TPE », Négociations, n° 21, 1er semestre 2014, p. 35-49.. Les tensions internes peuvent menacer l’avenir de la société.

Au-delà des difficultés de recrutement soulignées par les dirigeants de TPE (notamment ceux exerçant dans les professions du bâtiment ou de l’hôtellerie-restauration), la faiblesse de ces entreprises provient de la faiblesse de leurs fonds propres (une TPE sur cinq a des fonds propres négatifs) et leur trésorerie souvent tendue. Nombre d’entre elles sont fragilisées par les délais de paiement de leurs clients et sont trop petites pour pratiquer l’affacturage. En deçà de 7 ou 8 salariés, il est difficile d’allouer un poste complet aux questions de comptabilité et de gestion. De même, les fonctions commerciales ne se structurent qu’à partir de 8 ou 9 salariés. Le recrutement d’un cadre à temps plein intervient autour de ce seuil et se systématise parmi les PME. Prospecter de nouvelles clientèles, notamment en direction de clients-entreprises (B to B), voire de grands comptes, est le fait de très peu de TPE. Très rares sont celles qui sortent de leur bassin de vie local. Atteindre les seuils critiques qui permettent ces professionnalisations est parfois douloureux pour un dirigeant habitué à tout faire lui-même. La délégation de certaines tâches est un pas compliqué à franchir au regard des habitudes passées. Les processus de recrutement deviennent plus formels, imposant de mieux spécifier les tâches. Les Anglo-Saxons parlent de « douleurs de la croissance » (growing pains) pour décrire ces contrariétés. La collaboration du conjoint, jusque-là épisodique et parfois informelle, se transforme en un recrutement salarial à partir de certains seuils et de trois ans d’ancienneté de la structure. C’est l’âge auquel le développement d’outils numériques performants s’impose, de même que les outils de gestion. 

Tout en pouvant être très innovantes par ailleurs, les TPE n’ont pas la taille ni les orientations de marché pour investir dans la recherche-développement ou dans des collaborations avec l’enseignement supérieur. Leur poids est négligeable dans les dépôts de brevet (malgré la prégnance des petites sociétés de haute technologie), le financement de travaux de recherche ou les dépenses intérieures de R&D. De même, les TPE disparaissent quasiment des activités d’export dès lors que l’on retire les filiales spécialisées de grands groupes (2,6 % des 660 milliards d’exportations françaises)20Insee Références, Les entreprises en France, édition 2022. Ce faible poids global ne doit pas conduire à occulter la réalité de TPE très exportatrices situées dans des activités de niche ou de très haute qualité.. Leurs immobilisations sont également très faibles, constituées essentiellement au démarrage de l’activité21Trésor-Eco, « Les TPE françaises et leur accès au financement », n°159, décembre 2015. Une étude du Trésor a montré que le taux d’investissement des TPE est élevé dans les deux premières années de vie, puis chute fortement ensuite. Les immobilisations interviennent au démarrage pour les locaux et les outillages professionnels. De 120 % en première année (investissement rapporté à la valeur ajoutée), le taux tombe ensuite autour de 10 % en vitesse de croisière..

Les TPE sont au coeur du processus de destruction créatrice au sens large22L’expression « destruction créatrice » est ici employée dans un sens générique, plus large que l’acception que lui a donnée l’économiste Joseph Schumpeter dans le cadre des phénomènes d’innovation., en étant positionnées dans des secteurs à faibles barrières à l’entrée, au sein desquels sont constatés de forts taux de création et de défaillance. Leur structure financière est souvent vulnérable, avec des portefeuilles de clients en dents de scie. Les entrées-sorties dans les immatriculations sont particulièrement élevées dans les grandes agglomérations, où la concurrence locale est très intense. Le renouvellement des tissus de TPE y est plus rapide que dans les espaces de faible densité.

Les activités artisanales, inscrites au répertoire des métiers, regroupent un gros tiers des emplois des TPE. Celles-ci sont pour la plupart en lien direct avec le client final dans des bassins de chalandise de très court rayon. La proportion croissante des activités dites de « proximité » dans les consommations collectives et les chiffres d’affaires des entreprises est un facteur favorisant pour les petites structures qui peuvent fidéliser des clientèles et valoriser des relations interpersonnelles. Leur capacité à se projeter en dehors de leur territoire d’implantation est en revanche plus réduite ou réservée à certains métiers très spécifiques tels que ceux du conseil.

Crise Covid : soutiens publics massifs et résilience des tissus de TPE

Si les TPE ont été de très importantes pourvoyeuses de créations d’emplois durant la décennie qui a suivi la crise financière de 2008, qu’en a-t-il été de la séquence Covid de 2020-2021 ? Le double choc simultané que cette pandémie a provoqué tant sur l’offre que sur la demande a saisi de manière très hétérogène les différentes activités sociales. Dans l’ensemble, les orientations sectorielles des entreprises ont été plus déterminantes que leur taille dans les différentes mesures d’impact. Démentant de nombreux pronostics, la crise sanitaire et les confinements successifs n’ont pas provoqué une explosion de la sinistralité. Les flux de défaillances se sont même spectaculairement effondrés durant les trimestres de forte intensité de la crise, alors que les rythmes de créations d’entreprises demeuraient à des niveaux très élevés. Les évaluations ex post des mesures de soutien des acteurs économiques mobilisées en 2020-2021 ont pu montrer leur efficacité et leur puissance. Ces mesures ont été d’inspiration proche en Europe23DG Trésor, Parangonnage des mesures d’urgence en Europe, avril 2021..

Aux mesures générales de compensation de l’activité partielle et de prise en charge des salaires se sont ajoutés les mécanismes de protection des trésoreries, les compensations des pertes d’exploitation et les aides aux loyers. La socialisation des pertes des entreprises a été, en France, l’une des plus importantes constatées parmi les pays de l’OCDE : 250 milliards d’euros de mesures d’aides publiques de tout type (garanties, avances remboursables, reports de cotisations sociales…) auront été mobilisées, pour un coût final (après remboursements) estimé à plus de 80 milliards d’euros répartis sur deux ans, avant même que n’entrent en vigueur les mesures du plan de relance, puis celles du plan de résilience lié à la crise ukrainienne24Cour des comptes, « Garantir l’efficacité des aides de l’État pour faire face aux crises », juillet 2023.. Ce pare-chocs budgétaire, aux effets contracycliques, a massivement protégé le tissu des très petites entreprises, notamment celles intervenant dans des métiers de contact et subissant le plus les fermetures administratives et restrictions de circulation. Les entreprises du commerce (hors alimentaire), de l’hôtellerie-restauration, des activités culturelles ou ludiques (discothèques), du tourisme… ont subi les conséquences les plus lourdes, aux effets assez asymétriques entre filières. Elles ont éprouvé un très fort choc négatif de trésorerie. L’orientation sectorielle des entreprises a été évaluée à environ la moitié du choc subi par les plus exposées25Benjamin Bureau, Anne Duquerroy, Julien Giorgi, Mathias Lé, Suzanne Scott et Frédéric Vinas, « L’impact de la crise sanitaire sur la situation financière des entreprises en 2020 : une analyse sur données individuelles », Insee, document de travail n° 2021-003, juillet 2021.. Certaines mesures spécifiques sont venues les cibler préférentiellement.

Avec l’appui des chambres consulaires, des intercommunalités et des associations d’aide à la création d’entreprises, les dirigeants de petites entreprises ont pu accéder au fonds de solidarité nationale et recourir aux divers dispositifs. En 2020, 654 000 entreprises, dont 89 % de TPE, ont bénéficié de prêts garantis par l’État (PGE), à hauteur de 131 milliards d’euros, selon une évaluation de la Banque de France26Banque de France-Assemblée des communautés de France (AdCF), « Contexte : crise sanitaire 2020 », 12 mars 2021, p. 6.. Au-delà des PGE, 3,7 millions d’entreprises ont bénéficié d’au moins une mesure d’aide nationale ou locale.

La résilience des entreprises s’est avérée de fait extrêmement forte en sortie de confinements, conjurant les prophéties pessimistes. Même les très jeunes entreprises ont fait preuve de robustesse27Insee Première n°1962, juillet 2023. Sur 350 000 entreprises créées en 2018 (hors micro-entrepreneurs), 8 sur 10 étaient encore en activité fin 2021.

La multiplication des « entreprises zombies »28Éric Séverin et David Veganzones, « Les PGE vont-ils changer les entreprises françaises en zombies ? », latribune.fr, 8 septembre 2020., maintenues artificiellement en vie grâce aux aides publiques, mais dépourvues de modèles économiques viables, ne s’est pas confirmée à court terme. Les taux de défaillance ont en revanche commencé à se redresser à partir de 2023, et à s’accélérer au printemps 2024 avec les difficultés de remboursement de la dette Covid et de la remontée des taux29Selon les données Banque de France, les défaillances des TPE en juin 2024 sont supérieures de 40 % au mois de juin de l’année précédente et de 60 % à la moyenne de la décennie 2010-2019..

3. Le rôle des TPE dans la recomposition des tissus productifs et des chaînes de valeur

Lilliput versus Gulliver ou la bipolarisation de l’économie française

Alors que les très petites entreprises contribuent, par leur nombre et la densité des structures à susciter une image d’atomisation du tissu économique, il convient de souligner le processus de concentration qui s’opère à l’autre extrême du spectre. L’économie française apparaît surtout bipolaire, confrontant le monde de Lilliput à celui de Gulliver. Cette bipolarisation apparaît avec plus de netteté sous l’effet des changements intervenus dans les modalités de détourage des entreprises depuis la loi de modernisation de l’économie de 2008. Alors que ce détourage prenait en compte chaque société immatriculée (notion d’unité légale), il tient désormais compte des liaisons financières entre sociétés pour les regrouper dans une même entreprise lorsqu’elles atteignent certains seuils de contrôle. L’entreprise est alors définie comme une même organisation de production de biens et services, dotée d’une unité de décision et de commandement. Une filiale intégralement pilotée par une maison mère est une unité légale mais non une entreprise. Fixée par un règlement européen de 1993 relatif aux unités statistiques d’observation et d’analyse du système productif, cette nouvelle définition de l’entreprise permet de mieux comprendre, comme nous le verrons plus loin, les processus constants de recomposition de l’appareil productif. Elle est d’autant plus éclairante que les réglementations et les jurisprudences intervenues depuis trois décennies au sein des pays de l’OCDE ont eu tendance à renforcer les pouvoirs de contrôle des détenteurs du capital sous l’influence du néo-capitalisme actionnarial.

Les analyses récentes de l’Insee nous apprennent par exemple que les 300 plus grandes entreprises françaises (plus de 5 000 salariés) sont des groupes qui rassemblent au total 28 000 sociétés. Les 6 600 entreprises de taille intermédiaire (ETI) confédèrent près de 70 000 sociétés. En cumulé, près de 100 000 sociétés relèvent des 6 900 principales entreprises de l’Hexagone, que celles-ci soient françaises ou filiales de groupes étrangers. Formant seulement 0,15 % des entreprises, ces 6 900 entreprises emploient 55 % des salariés du secteur privé. Les entités XXL continuent de fait de concentrer les salariés depuis le début des années 2000. À l’opposé, malgré leur croissance en nombre, les TPE voient leur poids relatif stagner dans l’emploi total, et même régresser quelque peu dans les lendemains de crise. Comment expliquer ce phénomène alors que les plus nombreuses créations de postes de travail se déploient dans les petites entités ? Deux causes majeures expliquent ce paradoxe apparent : le développement spontané des petites entreprises d’un côté, les fusions et rachats par les grandes de l’autre.

Le développement spontané

Cette première cause tient à l’évolution naturelle des entreprises qui, par développement organique, sont conduites pour certaines à changer de dimension et de catégorie statistique. Avant d’être des PME, nombre de firmes sont passées provisoirement par un statut de TPE. Certaines n’y sont restées que quelques années, traversant la strate comme des comètes, quand d’autres ont pu y faire un séjour prolongé avant de « monter à l’échelle ». Le succès commercial d’une entreprise, la réussite d’une mise en marché d’un produit, d’un service ou d’une technologie assurent ces changements de format. Les TPE les plus dynamiques en matière de création d’emplois sortent alors de la catégorie statistique de départ pour rejoindre celle des PME voire, dans quelques cas, celle des ETI.

Les fusions et rachats

Au-delà du développement spontané d’une entreprise sous une même raison sociale, beaucoup de sociétés disparaissent des statistiques des TPE lorsqu’elles achètent une autre structure ou font l’objet elles-mêmes d’un rachat. La trace juridique et comptable de la société peut persister lorsque celle-ci demeure sous forme de filiale du groupe acquéreur mais il arrive souvent que l’entreprise rachetée se fonde intégralement dans une autre entité juridique du groupe. Cette absorption se traduit par une disparition apparente de la très petite entreprise, bien que sa dynamique entrepreneuriale se perpétue sous une autre organisation. Elle continue à créer de la richesse et de l’emploi mais avec d’autres habits.

Ces agrégations récurrentes permettent ainsi de comprendre pourquoi l’emploi se concentre au sein de grandes entités bien que les entreprises les plus contributrices aux créations de postes de travail soient les petites entités. Une approche en dynamique, attentive aux recompositions juridiques et financières des tissus productifs, est de fait indispensable.

La surperformance des TPE en matière de création d’emplois

La question de savoir qu’elles sont les championnes de la création d’emplois est ancienne. Elle a fait l’objet de nombreuses controverses parmi les économistes et les chercheurs, notamment aux États-Unis, à partir des années 1930, avec les thèses du statisticien Horace Secrist contestées par Harold Hotelling et Milton Friedman, puis celles de David Birch lors du regain d’intérêt pour les petites entreprises et les fameuses gazelles évoquées plus haut. Répondre à la question implique de tenir compte des différences de cycles économiques mais aussi de la diversité des modèles nationaux qui, nous l’avons vu, présentent des structures entrepreneuriales différentes. En outre, l’analyse comparée des dynamiques présuppose des conventions méthodologiques pour attribuer les créations d’emplois à des agents économiques dont les frontières évoluent.

Une étude appliquée au tissu économique français dans la décennie qui a suivi la crise financière (2008-2017) montre que les TPE forment, de très loin, la catégorie la plus créatrice d’emplois (plus de 220 000), suivie par celle des entreprises de taille intermédiaire (environ 60 000)30Zoé Brassier, Hervé Macheré, Benoît Mirouse, « Décomposition de l’évolution de l’emploi par catégorie d’entreprise », Insee, Documents de travail, février 2021. Ce document explique également les méthodes employées pour affecter les créations d’emplois.. Les PME connaissent une légère érosion du nombre de salariés, alors que les grandes entreprises perdent plus de 240 000 emplois. La surperformance des très petites entreprises est certes moins élevée que dans la méthode en base-sizing (qui attribue plus de 520 000 créations nettes d’emplois aux TPE), mais elle est réévaluée par rapport à la méthode en end-sizing (qui n’impute que 90 000 créations nettes d’emplois environ aux TPE).

Ces progrès méthodologiques viennent ainsi confirmer le rôle central des petites structures entrepreneuriales dans les flux de créations d’emplois et la transformation du travail. Les TPE servent de véhicules pour incorporer des innovations de toutes sortes dans les chaînes de valeur et les circuits économiques. Dans le contexte français des années post-crise de 2008, les TPE sont également moins affectées par les restructurations industrielles que les autres catégories d’entreprises. Les PME et ETI perdent beaucoup d’emplois manufacturiers et parviennent inégalement à les compenser par leurs créations d’emplois dans les activités tertiaires. Les grandes entreprises détruisent des emplois aussi bien dans l’industrie que dans le tertiaire marchand sur cette période d’analyse.

Il est ainsi possible de mieux comprendre le double mouvement qui affecte l’économie française, d’apparence contradictoire, qui voit le flux de créations d’emplois porté principalement par les petites unités, alors que le stock des emplois se concentre parmi les plus grandes. Un effet de noria contribue à ce mécanisme à double détente. La croissance organique des entreprises ainsi que les logiques de consolidation auxquelles conduisent les rachats, fusions-acquisitions (M&A) ou encore les procédures de LBO provoquent cette accumulation de l’emploi dans des grands groupes qui, dans le même temps, en détruisent à travers des restructurations.

La visibilité de ce phénomène est augmentée par la nouvelle technique de détourage des entreprises issue de la loi de modernisation de l’économie (LME) qui prend en compte, nous l’avons vu, les liaisons financières au sein des groupes. Ceux-ci absorbent de nombreuses sociétés et effectuent en continu des arbitrages de rationalisation de leurs organisations pour mutualiser des services supports et recentrer leurs coeurs de métier sur les segments les plus productifs.

L’extension du domaine des franchises : un compromis entre agilité entrepreneuriale et pouvoir de marché

Le phénomène de concentration préside également au déploiement rapide et généralisé du modèle de la franchise. À la différence des rachats, ce modèle a pour particularité de préserver l’autonomie juridique de la société franchisée et la liberté de décision du dirigeant. De fait, les TPE franchisées restent les véritables entreprises, au sens statistique, même si les contrats passés avec leurs franchiseurs les inscrivent dans une appartenance de groupe.

S’il a émergé dès les années 1970-1980, le maillage des réseaux franchisés a totalement changé de dimension. Une trentaine de réseaux étaient recensés en 1975, déployés pour la plupart à des échelles régionales. En 2023, plus de 2 000 réseaux de franchise sont comptabilisés par la Fédération française de la franchise (FFF), dont une part importante s’inscrit dans un ressort national, voire transnational. La progression du phénomène se mesure dorénavant davantage à travers l’extension du nombre de magasins et points de contact franchisés, passés d’environ 31 000 en 2000 à plus de 92 000 en 2023, et en chiffre d’affaires (plus de 88 milliards d’euros en 2023 contre un peu plus de 31 milliards en 2000)31Fédération française de la franchise, « La franchise c’est quoi ? », franchise-fff.com et Observatoire de la franchise, « Statistique d’évolution de la franchise », observatoiredelafranchise.fr.. Des dizaines de milliers de TPE sont affiliées à ces réseaux et travaillent sous enseigne. Les salariés relevant de ces différents réseaux sont évalués à environ 450 000, ce qui représente 4,9 emplois en moyenne par magasin ou point de contact.

Apportant professionnalisation et services supports aux entrepreneurs, le système de franchise s’apparente à une forme de concentration mais tempérée par le maintien d’un statut juridique d’indépendant pour le chef d’établissement ou l’existence d’une société autonome. La relation contractuelle engage néanmoins le dirigeant dans des conditions strictes d’exercice de son métier, que ce soit en matière d’approvisionnement, de pratiques commerciales, de design et d’ergonomie des locaux. Des réseaux majeurs, déployés désormais dans l’ensemble des régions, ont transformé en une génération la trame commerciale des villes françaises, voire des centres-bourgs.

Même si le modèle semble se stabiliser depuis quelques années sous l’effet de la saturation des centres commerciaux, il a triplé de volume depuis le début des années 2000 et a totalement transformé l’économie présentielle, dite de proximité. Salons de coiffure, boutiques de vêtements ou de chaussures, commerces alimentaires généralistes ou spécialisés (cavistes, fruits et légumes, produits bio, surgelés…), magasins de meubles ou de bricolage, agences immobilières, brasseries, restaurants, hôtels, campings, opticiens, magasins de jouets, agences de voyages, spas, librairies, garagistes, réparateurs… ont connu ces affiliations massives à des enseignes.

II. Nouveaux visages de l’entrepreneuriat dans les territoires

1. Une transformation de l’économie favorable aux TPE

Le refuge de l’économie résidentielle

Parmi les facteurs favorables à l’essor des TPE figure en premier lieu la place croissante prise par les secteurs des services à la personne dans le fonctionnement contemporain de l’économie et les circuits de consommations. Moins capitalistiques que les activités de production, ces secteurs sont marqués par de plus faibles barrières à l’entrée et permettent un fort renouvellement du tissu entrepreneurial. Nombre de ces secteurs agrègent des activités en connexion directe avec le consommateur final et se situent dans la sphère de l’économie dite présentielle, à savoir celle des emplois de proximité, largement abrités de la concurrence d’entreprises éloignées. Elles ne subissent que très peu, ou très indirectement, la compétition internationale32Est évoquée ici la concurrence inter-entreprises. Une concurrence internationale demeure en revanche du côté de l’emploi avec l’enjeu des travailleurs détachés qui représentent en 2020 près de 500 000 emplois, notamment dans des secteurs fortement organisés par des TPE (construction, sous-traitance industrielle, tourisme, travaux agricoles…). Malgré l’adoption de la directive européenne du 28 juin 2018, transposée en droit français et entrée en vigueur depuis le 30 juillet 2020, le travail détaché peut créer des distorsions de concurrence. Les représentants des TPE plaident pour un encadrement plus strict du travail détaché.. Les concurrences sont circonscrites au sein d’un même bassin de chalandise, à la différence des activités de fabrication qui exportent en dehors de leur territoire ou s’insèrent dans des chaînes de valeur internationalisées.

Ces activités que nous appelons « localo-centrées », constituées d’acteurs économiques préservés de la compétition internationale, sont en revanche étroitement tributaires des pouvoirs d’achat des résidents et de leur propension à consommer. Ce sont ces secteurs et gammes d’emplois, souvent présentés comme non délocalisables, qui ont le plus prospéré au cours des dernières décennies. Entre 1999 et 2015, les emplois considérés comme « abrités » ont augmenté de 2,7 millions, quand les emplois « exposés » ont vu 400 000 postes disparaître33Philippe Frocrain et Pierre-Noël Giraud, « L’évolution de l’emploi dans les secteurs exposés et abrités en France », Économie et Statistique, n° 503-504, 2018, p. 87-107.. Les activités de production et les secteurs qu’elles entraînent ont connu une très forte compression sous les effets cumulés des gains de productivité et des délocalisations des approvisionnements, mais aussi des changements des comportements de consommation. La part des biens manufacturés et produits alimentaires dans les consommations intérieures a reculé de manière continue, de même que la proportion de « made in France » dans cette consommation de biens. La globalisation des chaînes de valeur et les délocalisations des activités de production ont eu pour effet de réduire la fraction des économies locales exposée. Les baisses de prix obtenues ont ainsi libéré du pouvoir d’achat pour des consommations de prestations plus immatérielles mais contraintes à une localisation proche du client final. Le redéploiement s’est ainsi opéré au profit des consommations de services, des loisirs, de la santé ou encore de la construction, des secteurs largement abrités et dans lesquels interviennent un très grand nombre de TPE.

Des impacts territoriaux et géographiques différenciés

D’un point de vue territorial, cette bascule de l’emploi en faveur des secteurs abrités n’a pas été sans conséquence. Dans de nombreux bassins industriels, petites villes, bourgs et espaces ruraux, les emplois créés par les activités localo-centrées n’ont pas suffi à compenser les pertes d’emplois exposés. Une rétrospective sur quarante ans (1975-2015) réalisée par Olivier Portier a montré que dans les territoires les moins denses (intercommunalités les plus rurales), l’essor des emplois de la sphère présentielle (451 000 emplois) est juste parvenu à compenser les pertes d’emplois exposés, liés à la sphère dite « productive concurrentielle »34« Tissus économiques des intercommunalités : le poids respectif des secteurs “exposés” et des secteurs “abrités” », OPC, Les Notes de l’AdCF, n° 3, juin 2019.. Quelque 451 000 emplois ont été gagnés d’un côté, pour 438 000 pertes de l’autre, soit un solde net de seulement 0,7 % en quatre décennies, alors que la croissance de l’emploi à l’échelle nationale était de 23 %, en lien avec la croissance démographique et l’essor de l’emploi féminin. La réduction des emplois agricoles et l’érosion des activités manufacturières disséminées dans de nombreuses ruralités ou petits bassins productifs ont été juste compensés mais sans trouver un moteur de substitution pour le développement local. Seul le tourisme, combiné avec des activités de loisirs (culture, sports, bien-être…), a pu jouer un rôle de relais de croissance dans les destinations au plus fort potentiel.

La variable locale

Même si elles prédominent partout en nombre, les TPE pèsent différemment dans l’emploi local. Certains territoires connaissent des taux de concentration de l’emploi extrêmement élevés dans les établissements de moins de 10 salariés35« Concentration de l’emploi dans les établissements à l’échelle des intercommunalités », OPC, Les Notes de l’AdCF, n° 2, avril 2019.. Au sein de communautés de communes telles que celles de Cambremer en Normandie, de la Montagne d’Ardèche en Auvergne-Rhône-Alpes, du Mont-Lozère en Occitanie, du Cap Corse dans l’île de Beauté, le pourcentage d’emplois porté par les plus petits établissements excède le seuil de 60 %, soit trois fois plus que la moyenne nationale. À l’échelle nationale, les petits établissements concentrent 31,5 % des emplois des intercommunalités de moins de 20 000 habitants, de profil rural et peu dense. Cette proportion tend à se réduire au fur et à mesure que la strate démographique des groupements de communes s’élève. Elle n’est plus que de 16 % dans les plus grandes agglomérations (200 000 habitants et plus). La faible densité va ainsi de pair avec une certaine atomisation de la structure de l’emploi au sein de petits établissements.

Au-delà des seuils de densité, ces analyses révélaient des taux de concentration de l’emploi dans les TPE plus élevés dans les régions méridionales, les arrière-pays méditerranéens et les contreforts du Massif central (Cévennes, Aveyron…) et la Corse. À l’inverse, le Grand Ouest se caractérise par une densité remarquable de grosses PME et ETI, sur lesquelles repose l’essentiel de l’emploi.

La vitalité des créations d’entreprises et du renouvellement des tissus locaux est souvent présentée comme un bon indicateur de développement économique. Nombre de diagnostics territoriaux intégrés dans les documents stratégiques des collectivités mobilisent cette variable des taux de création d’entreprises pour se comparer à d’autres territoires. Au-delà du problème posé par la définition extensive des entreprises, la corrélation entre créations d’entreprises et créations d’emplois est néanmoins très imparfaite.

Les cartes 2 et 3 montrent que des taux élevés de créations d’entreprises ne garantissent pas une contraction des taux de chômage. Un certain nombre d’intercommunalités combinent des taux élevés dans les deux registres, quand d’autres présentent un taux de chômage réduit malgré le faible renouvellement de leur tissu entrepreneurial, comme dans le Cantal, en Aveyron ou en Savoie.

Le rapprochement des cartes des créations d’entreprises avec celle des taux d’évolution de l’emploi est également opportun. Là encore rien n’est simple ni mécanique. La forte corrélation des deux dynamiques constatée dans certains secteurs géographiques comme le Var, les Bouches-du-Rhône, la Gironde ou le Doubs ne saurait occulter les territoires qui affichent des taux élevés de créations d’entreprises tout en subissant des évolutions négatives de l’emploi (Cher, Indre-et-Loire, Aisne, Oise…).

De fait, les taux bruts de création d’entreprises sont peu prédictifs quant à la résilience des nouvelles entreprises et leur propension à recruter. Les définitions très extensives données aux microentreprises conduisent, nous l’avons vu, à intégrer des formes très précaires d’activité. C’est notamment le cas de nombreux quartiers populaires, classés en quartiers prioritaires de la politique de la ville ou en programmes de rénovation urbaine, qui ont connu des volumes importants de créations d’entreprises avec l’apparition des chauffeurs VTC et des activités de livraison. Cette ubérisation du travail tend ainsi à déformer les flux des créations d’entreprises et les enseignements que l’on peut en retirer36Hugo Botton, « L’ubérisation des quartiers populaires », Compas Zoom, n° 27, 24 novembre 2022.. Cela confirme la nécessité de recentrer le regard non sur l’acte de création mais sur le premier recrutement et les premières cotisations sociales pour y voir clair.

Au regard du développement territorial, de nombreux travaux ont mis en évidence le fait que la performance du tissu économique dépend des capacités des entreprises à mobiliser des ressources, à recruter et à investir, à assurer leur développement organique au sein de leur bassin de vie. Le territoire est souvent perçu comme une base arrière ou un tremplin pour se projeter vers l’extérieur.

Il importe également, notamment pour les TPE, de porter le regard sur le circuit local de consommation et les échanges entre agents économiques locaux. L’intensité des relations interentreprises au sein du territoire détermine les volumes d’affaires des activités B to B. Des politiques stimulant la circulation des revenus et la propension des habitants à consommer ou investir provoquent des effets de rétroaction positive.

L’agencement de l’écosystème institutionnel est déterminant pour accroître les synergies public-privé, fabriquer des collectifs et réduire les coûts de transaction. Il présuppose d’agir sur les qualifications des salariés, l’offre foncière et immobilière à destination des entreprises, la qualité des infrastructures collectives, des réseaux techniques (numérique, eau…), des aménités de toutes sortes (culture, loisirs…). Il doit être aussi attentif aux revenus des ménages et aux pouvoirs d’achat disponibles (hors dépenses contraintes ou pré-engagées) dont dépendra in fine la demande locale dans une logique de multiplicateur keynésien. Les ressources cognitives et informationnelles, la facilité d’accès à des réseaux d’affaires organisés, de même que la disponibilité d’une épargne locale disposée à s’investir dans des aventures entrepreneuriales sont également des éléments constitutifs de la performance des territoires.

Sans renoncer aux démarches tournées vers l’attractivité externe (tourisme, investissements industriels et logistiques…), les stratégies de développement territorial ont beaucoup à faire pour activer des ressources endogènes. Un territoire doit conforter ses dotations en ressources fixes mais aussi être capable de retenir ses actifs les plus mobiles ou d’organiser leur retour (jeunes diplômés, par exemple). La multiplication des démarches collectives peut conduire à l’émergence de savoir-faire spécifiques ou encore de pôles de compétences au coeur de stratégies de différenciation territoriale et de montée en gamme. Certains spécialistes parlent de « munificence » des territoires pour évoquer, à l’instar de l’économiste Pierre Veltz, ces « sucres lents » du développement local37Philippe Moati, Marjorie Mazars et Laurent Pouquet, « Croissance des jeunes entreprises et territoires », Revue d’économie industrielle, n° 113, 1er trimestre 2006, p. 61-82.. Pour les TPE, l’ancrage territorial est le principal levier disponible pour s’insérer dans des réseaux d’affaires et mobiliser un capital social.

2. Accélérer ou freiner la destruction créatrice ?

Accélérer ou protéger ?

Certains travaux de recherche ont montré que si les gains de productivité étaient assurés au début du XXIe siècle essentiellement par des entreprises pérennes et plutôt âgées, une inversion s’est opérée après la crise de 200838Clémentine David, Romain Faquet et Chakir Rachiq ,« Quelle contribution de la destruction créatrice aux gains de productivité en France depuis 20 ans ? », Direction générale du Trésor, document de travail n° 2020/5, décembre 2020.. Les jeunes entreprises entrantes sur le marché ont concentré les gains de productivité, sans doute en lien étroit avec l’essor des services numériques. Le processus de destruction créatrice est alors perçu comme le principal levier de développement et de réallocation des forces de travail.

Une question posée aux politiques publiques est aujourd’hui de savoir si elles doivent privilégier un rôle procyclique, en accélérant le renouvellement des tissus entrepreneuriaux, ou venir au contraire en soutien des firmes en difficulté pour les aider à rebondir et effectuer leur transition. Les choix politiques divergent assez fortement entre pays à ce sujet. Là où certains systèmes publics cherchent à prolonger l’espérance de vie des entreprises et leur donner une seconde chance par des dispositifs béquilles, d’autres privilégient au contraire un « assainissement » accéléré du marché, pour améliorer l’allocation des ressources (travail et capital). Cette seconde option recoupe l’idée que les petites structures étant les fers de lance de la création d’emplois, des innovations et des gains de productivité, il est optimal de stimuler leur potentiel de transformation « disruptive ».

L’opposition entre petites et grandes entreprises, nouvelles et plus anciennes, est en fait assez théorique et ne prend pas assez en compte les recompositions constantes des périmètres qui voient les petites entreprises ressourcer les plus grandes. Pour préserver leur productivité après la crise financière et lors de la période de croissance molle qui a fait suite à la crise des dettes souveraines en Europe39Sarah Guillou et Lionel Nesta, « La crise de 2008 et la productivité totale des facteurs des entreprises françaises », Revue de l’OFCE, n° 142, septembre 2015, p. 55-74., nombre de grands groupes ont accentué leurs stratégies d’acquisition et profité des taux d’intérêt très bas ouverts par les politiques d’assouplissement monétaire. L’élargissement du périmètre de nombre de groupes est alors essentiellement imputable à cette croissance externe. Dès lors que l’on observe ces entreprises à format constant (hors acquisitions), elles détruisent massivement de l’emploi et se délestent de leurs composantes les moins productives. Elles se comportent en entreprises darwiniennes et prédatrices.

Une analyse conduite par l’Insee est très éclairante de ce point de vue : entre 2008 et 2017, soit presque une décennie, les micro-entreprises employeuses (donc les TPE) ont été les championnes de la création nette d’emplois40Insee, Les entreprises en France, Insee références, édition 2022, p. 33-41.. Les dynamiques sont positives dans la totalité des régions et dans la majorité des zones d’emplois. Les territoires où les créations d’emplois sont insuffisantes pour compenser les suppressions se concentrent dans les arrière-pays et l’axe Meuse-Creuse où les soldes sont légèrement déficitaires. Les TPE se révèlent de fait amicales avec la plupart des territoires. Elles jouent un rôle de « couche protectrice » de l’emploi et d’amortisseur des crises.

Prendre en compte la division territoriale du système économique

Les dynamiques des créations d’emplois dans les PME et les ETI sont géographiquement plus contrastées. Le grand quart nord-est de la France passe en solde négatif, alors que ces catégories d’entreprises continuent à créer davantage d’emplois qu’elles n’en détruisent sur les façades atlantique et méditerranéenne, dans la région toulousaine, le long de l’axe rhodanien ou en Île-de-France. Quant aux grandes entreprises, elles deviennent, à périmètre constant (en neutralisant leurs rachats d’entreprises), les grandes destructrices de l’emploi presque partout en France. Les soldes nets ne sont positifs que dans une quinzaine de zones d’emplois sur plus de 300. Parmi ces zones performantes, on retrouve le bassin de Toulouse, dynamisé par l’aéronautique et les activités associées, les métropoles de Nantes et Bordeaux, des bassins industriels comme Saint-Nazaire et Cherbourg portés par la construction navale ou encore quelques zones d’emplois franciliennes (mais minoritaires). Ces destructions d’emplois sont en outre massives : plus de 300 000 emplois ont été détruits par les grandes entreprises en France dans la décennie qui a succédé à la crise financière. Elles sont l’image inversée des TPE qui apportent autant de créations nettes.

Cette analyse des tissus d’entreprises en mode dynamique permet de mieux comprendre la division du travail qui s’opère dans les hiérarchies du système productif national. La productivité des grandes entités est liée à leur capacité à absorber par rachat (ou montée au capital) des sociétés en croissance ou à fort potentiel. Elles procèdent dans un second temps à l’élagage de doublons avec d’autres entités du groupe ou se séparent des composantes les moins rentables des entités achetées. Ce processus d’acquisition-restructuration est un moteur deux temps qui voit les grandes entreprises à la fois concentrer les emplois et en détruire.

Le rôle de régénération du tissu économique par l’entrepreneuriat devient ainsi plus clair. Ce sont bien les TPE qui créent le plus d’emplois, notamment dans leurs premières années de vie, mais ceci n’enraye pas le processus d’agrégation de l’emploi dans les plus grandes entités. Par croissance organique, certaines TPE se transforment en PME avant de rejoindre, dans quelques rares cas (le plus souvent par acquisitions successives), les strates des ETI ou grandes entreprises. Par croissance externe, beaucoup de TPE rejoignent des groupes d’entreprises ou disparaissent par absorption. C’est cet « effet de noria » qui marque la réorganisation du tissu productif national.

La plupart des secteurs de la vie économique voient quelques grands groupes se partager l’essentiel des parts de marché. Commerce et grande distribution, travaux publics, services aux collectivités, transports urbains et interurbains, santé (cliniques, laboratoires…), loisirs et jeux (parcs à thèmes, casinos…), hébergement (hôtels, campings…), affichage publicitaire, restauration collective, activités financières (banques, assurances…), enseignement supérieur privé, énergies renouvelables, culture (spectacle vivant, cinémas…) ou encore édition et presse assistent à la mise en place d’oligopoles dominants. La course aux extensions de pouvoir de marché est encouragée par les baisses de taux d’intérêt intervenues depuis le début des années 2000, amplifiées au cours des années 2010-2022. Le faible coût de l’argent favorise la rentabilité des opérations à levier de type LBO et les fusions-acquisitions. Cette consolidation des grands secteurs de la vie économique préserve néanmoins sur ses flancs de très nombreuses petites entités. Sur le modèle de l’« oligopole à franges concurrentielles » que décrivait l’économiste Georg Stigler dans les années 1960 aux États-Unis, une répartition des rôles s’opère entre les majors et les petites structures. Le système productif national, organisé en son coeur par les grands comptes et les superstars, est dans le même temps alimenté par sa frange concurrentielle.

3. La montée en puissance d’écosystèmes dédiés

Structures d’appui et ingénierie

Pour contribuer à la création d’entreprises plus résilientes, capables de prolonger leur espérance de vie et prospérer, la France s’est progressivement recouverte d’un maillage très dense de structures d’accompagnement, adossées en général aux collectivités et organismes consulaires. 

À partir d’initiatives personnelles ou d’associations, des réseaux nationaux – tels qu’Initiative France, le mouvement Entreprendre, l’Association pour le développement des initiatives économiques (ADIE) – ont vu leurs implantations territoriales se multiplier en un quart de siècle et leur activité changer d’échelle. Avec des variantes dans leur coeur de métier, ces réseaux accompagnent les créateurs d’entreprises par des prêts ou des avances remboursables, du conseil et du parrainage par des pairs, des facilités administratives et comptables, du portage salarial… Forts de centaines d’implantations locales, de milliers de bénévoles et de centaines de milliers d’entrepreneurs accompagnés depuis leur origine, ces différents réseaux se sont professionnalisés dans leurs méthodes et ont largement contribué à la diffusion d’une nouvelle culture entrepreneuriale dans les territoires. Ils sont entrés en synergie avec la structuration progressive d’une offre de capital-investissement, orientée vers les projets à potentiel de développement rapide mais aussi avec des réseaux à dominante thématique (coopératives, économie solidaire, mécénat…). Ce nouvel écosystème d’accompagnement ne laisse guère de territoires sans possibilité d’accompagnement structuré.

En parallèle se sont également renforcées les offres d’accueil, temporaires ou pérennes, des créateurs dans des espaces adaptés au démarrage d’une entreprise. Pépinières et hôtels d’entreprises, incubateurs et couveuses, structures d’amorçage, technopoles (pour les projets à forte composante de recherche) ont essaimé sur l’ensemble du territoire national à l’initiative des collectivités locales.

Les solutions de financement des entreprises et d’accès à des fonds propres sont également beaucoup plus abondantes qu’au début des années 2000, période qui a vu de nombreuses TPE et PME françaises disparaître faute de capital et d’assise financière. Adossées aux produits d’assurance-vie ou à la puissance publique (comme la BPI), de nombreuses structures de capital-investissement maillent désormais le territoire national pour s’inscrire dans des tours de table et favoriser des projets de croissance. Des fonds dédiés et des avantages fiscaux couvrent de manière assez exhaustive les différentes étapes de la vie des entreprises.

Au regard des règles de concurrence qui président à l’encadrement des aides d’État, les TPE trouvent un avantage non négligeable à travers le régime de minimis qui autorise de manière assez souple les soutiens publics dans la limite d’un plafond fixé depuis le 1er janvier 2024 à 300 000 euros sur trois ans par entreprise. S’il est insignifiant pour un grand groupe, ce plafond laisse d’importantes capacités aux collectivités publiques pour accompagner le développement des plus petites entités.

Néoentrepreneuriat

Dans la plupart des régions, le potentiel entrepreneurial français est également traversé par un important renouvellement générationnel et des changements de profil des dirigeants. L’âge moyen de la création d’entreprise a été sensiblement abaissé (36 ans) et la moitié des projets sont portés par des personnes de moins de 40 ans41Audrey Dorolle, « Les créateurs d’entreprises de 2018 : deux sur trois sont seuls à l’origine du projet de création », Insee Première, n° 1818, septembre 2020.. Les créations d’entreprises par des jeunes diplômés issus des grandes écoles ne sont plus exceptionnels. En effet, 28 % des créateurs disposent d’un diplôme d’ingénieur ou de troisième cycle universitaire. À l’opposé, la part des chômeurs ou des non diplômés dans l’entrepreneuriat a eu tendance à faiblir. Une création sur trois est le fait d’une personne expérimentée, ayant déjà créé une ou plusieurs entreprises par le passé. Un entrepreneuriat issu de l’immigration s’est également structuré, souvent appuyé sur des solidarités familiales42Thierry Lévy-Tadjine, « Réalités et mythes de l’entrepreneuriat immigré en France », Migrations Société, vol. 21, n° 126, novembre- décembre 2009, p. 19-34. : 16 % des créations sont même le fait d’entrepreneurs de nationalité étrangère.

Par ailleurs, alors que les dirigeants de PME et ETI restent très masculins, les TPE sont marquées par une féminisation accélérée des chefs d’entreprise (41 % des créations). L’essor des activités de services aux personnes (santé, bien-être, éducation…) et du commerce, plus féminisées, contrebalance le caractère très masculin des activités de construction, de la logistique ou du transport.

Si elle reste marquée par une proportion importante de personnes en recherche d’emploi, la création d’entreprises se combine avec les ruptures conventionnelles pour correspondre à un véritable projet personnel et pas seulement à un choix contraint. Un nombre important de dirigeants expérimentés se retrouvent également dans les nouveaux projets. Des « serial entrepreneurs » combinent plusieurs projets simultanés ou successifs (dans une logique de création-développement-cession), de même que se développent les projets collaboratifs de création en équipe.

De nombreuses études, à l’image du baromètre de France Num, mettent l’accent sur les progrès réguliers des TPE dans les usages numériques. La pandémie de 2020-2021 a accéléré leur transformation et le recours au télétravail. Une part croissante des chiffres d’affaires des TPE passe désormais par les réseaux et les plateformes. Les places de marché virtuelles constituent un levier exceptionnel pour leurs démarches de référencement et de prospection commerciale. Nombreuses à agir dans les activités digitales en tant que coeur de métier, les TPE incorporent très rapidement les nouvelles technologies dans leurs process et peuvent souvent servir de référence. Même si elles se diffusent à l’ensemble des usages sociaux, les technologies numériques contribuent à revisiter l’entrepreneuriat et à abaisser certaines barrières à l’entrée.

Rompre l’isolement : le foisonnement des réseaux

Autre phénomène notable, le néoentrepreneuriat contemporain s’appuie sur un maillage aujourd’hui très dense de communautés d’entreprises et de réseaux formels ou informels. Depuis vingt ans se sont multipliés les clubs d’industriels et d’entrepreneurs, avec l’appui fréquent des chambres consulaires, des collectivités et des fédérations patronales locales. Plusieurs milliers de ces clubs sont recensés en France et servent de lieux d’échange à l’échelle d’une agglomération, d’un parc d’activité, d’un arrondissement ou d’un bassin d’emploi. Dans les Hauts-de-France, par exemple, 300 clubs rassemblent quelque 15 000 entrepreneurs, tandis que la métropole de Toulouse en décompte plus de 40 et la Meurthe-et-Moselle, plus de 150. Ces clubs apportent des opportunités d’affaires et des ressources d’intelligence économique, tissent des solidarités. Ils se constituent souvent en marge des organisations officielles ou des fédérations patronales classiques (Medef territoriaux, CPME, U2P, chambres syndicales…), mais ils contribuent parfois à les revitaliser ou bien s’adossent à leurs structures. Le Centre des jeunes dirigeants (CJD), aux nombreuses implantations locales, de même que les jeunes chambres économiques hébergent une large majorité de TPE parmi leurs membres.

Des réseaux encore plus structurés se sont affirmés à travers les clusters, réseaux collaboratifs organisés autour de spécialisations productives et de chaînes de valeur. TPE, PME, ETI, filiales ou établissements de grands groupes se retrouvent dans ces organisations interentreprises constituées autour d’une orientation commune de produit ou de marché. Leur fédération nationale, France Clusters, rassemble 300 clusters, auxquels sont affiliées 80 000 entreprises, dont une majorité de TPE et de PME, pour 1,5 à 2 millions de salariés agrégés. Le cluster Mecateam, basé au Creusot et orienté vers les métiers de la maintenance ferroviaire, rassemble par exemple près de 150 entreprises, dont une soixantaine de TPE, et bénéficie de soutiens publics (communauté urbaine, région, Banque des territoires…) pour agir sur la formation, la prospection (salons), la veille d’affaires et l’intelligence économique. Situé entre Saint-Nazaire et Nantes, le cluster Neopolia développe quant à lui des schémas industriels collaboratifs entre plusieurs dizaines d’entreprises de toute taille, sur des commandes auxquelles sont apportées des réponses collectives dans des secteurs comme la construction navale, l’aéronautique, les énergies marines ou le nucléaire.

Le risque des transmissions

La question de la transmission des entreprises est une variable clé de leur survie et de leur capacité à prospérer. De nombreuses études ont mis en évidence l’intervention souvent trop tardive de l’acte de transmission ou de cession, le déficit de préparation par le cédant, voire sa propension à interférer dans la gestion de l’entreprise une fois celle-ci transmise. La problématique du repreneuriat est de fait un thème récurrent des rapports publics chargés de formuler des propositions pour accompagner ces transmissions, que celles-ci soient intrafamiliales ou non. Sans doute serait-il opportun d’approfondir les analyses à ce sujet et de mieux spécifier les sociétés réellement orphelines de solutions de reprise.

La vie économique est faite de remplacements permanents d’entreprises en fin de vie par de jeunes pousses, de reprises de fonds de commerce délaissés, de répartitions des actifs de structures radiées au profit d’autres entités… Certaines opérations de reprise s’apparentent à une véritable réinvention entrepreneuriale à partir d’un nouveau modèle d’affaires. Dans le même temps, beaucoup d’évaluations font le constat de la solidité des entreprises issues de reprise, celles qui bénéficient d’un portefeuille de clients déjà constitué et d’un modèle d’affaires éprouvé. Loin des extrapolations biologisantes sur le processus de destruction-créatrice qui assimilent un peu vite les entreprises à des organismes vivants, certaines activités se démarquent par une longévité exceptionnelle. Leur durée de vie et leur transmission entre héritiers au cours des âges en font justement la marque de fabrique. Elles forment les vieux chênes de l’écosystème, à l’abri desquels les jeunes pousses prennent leur élan.

ConclusionPerspectives et pistes de réflexion pour renforcer le dynamisme des TPE sur les territoires

Ce regard porté sur les TPE et leurs dynamiques récentes a permis d’en réévaluer les divers apports. Bien que très hétérogènes dans leurs profils, leur positionnement sectoriel, leur modèle d’affaires ou leur profitabilité, elles constituent le catalyseur de la « job machine » et le creuset d’innovations multiformes (technologiques, commerciales, organisationnelles…). Elles ont l’immense mérite de prospérer partout en France et d’avoir été créatrices nettes d’emplois dans la plupart des territoires, aussi bien au sein des métropoles ou des agglomérations de taille moyenne que des bassins de vie plus ruraux. Nous avons pu mesurer combien leur poids, assez limité, dans le stock total des emplois privés, provoque une sous-estimation structurelle de leur rôle économique. L’approche en analyse dynamique le réévalue en revanche totalement et donne raison aux auteurs qui, depuis plusieurs décennies, ont mis l’accent sur la surperformance des TPE. Malgré d’évidentes fragilités financières et des capacités d’investissement limitées, elles font valoir leur réactivité et l’énergie entrepreneuriale de leurs équipes, avant d’entrer dans des organisations plus hiérarchiques et formalisées. Leur contribution à la création d’emplois repose à titre quasiment exclusif sur le caractère organique de leur développement.

La vocation des TPE est de voir les plus dynamiques d’entre elles abandonner leur famille d’origine en devenant des PME, voire des ETI, ou en se faisant absorber par de plus grands groupes. Telles Sisyphe, elles roulent leur rocher sur la montagne dans un mouvement de perpétuel recommencement. Le système productif s’appuie sur elles pour sa propre régénération cellulaire. Les grands acteurs oligopolistiques préservent cette frange concurrentielle où des produits et des procédés sont expérimentés et au sein de laquelle sont détectés de nouveaux talents.

Faire progresser les savoirs

Mal connues, les TPE méritent certainement une attention accrue des institutions universitaires, des services économiques des collectivités et des pouvoirs publics nationaux. Malgré les mesures qui les ont spécifiquement ciblées en 2015 et au-delà des avantages dont elles bénéficient en matière de réglementation ou de fiscalité, les TPE doivent encore faire l’objet de véritables stratégies structurées.

En premier lieu, une initiative devrait consister à améliorer les outils de suivi statistiques des TPE et des divers sous-ensembles de la catégorie fourre-tout des micro-entreprises. Trop de résultats divergent à ce jour entre instituts statistiques, bases de données (Insee, Dares, Banque de France…), rapports publics, modes de représentation patronale… Unifier les langages permettrait de produire de la connaissance fiable. Celle-ci n’aura de sens, de surcroît, qu’en s’inscrivant dans la durée pour analyser le cycle de vie des entreprises, les franchissements de seuils à iso structure, ou leur disparition, soit par radiation, soit par absorption dans une autre entité.

Faire progresser les savoirs sur les parcours des TPE, les temps forts de leur croissance organique comme ceux des rachats et des recompositions financières, permettrait également de mieux comprendre le fonctionnement contemporain de l’économie concrète.

Décentraliser les mécanismes de soutien et d’accompagnement

La granulométrie très fine des TPE rend plus que nécessaire la décentralisation des dispositifs d’accompagnement en les adossant aux collectivités locales (intercommunalités), aux réseaux d’accompagnement et aux organismes consulaires. Outre leurs moyens propres, ces acteurs devraient pouvoir gérer par délégation les programmes d’accompagnement conçus et financés par l’État, l’Union européenne, les opérateurs nationaux (banque publique d’investissement) ou les régions. Les expériences retirées de la crise pandémique et des différents confinements pour accompagner des centaines de milliers de structures et aider leurs dirigeants dans un moment de détresse sans précédent devraient être capitalisées.

Enrichir les offres de services-supports aux TPE

Afin de sécuriser et fluidifier la croissance des TPE au cours de leur cycle de vie, les politiques locales d’accompagnement peuvent encore être très largement améliorées dans les étapes post-création. Les solutions immobilières et foncières proposées au cours de leur parcours résidentiel (pépinières, hôtels d’entreprises, parcs d’activités…) doivent être complétées par des bouquets de services mutualisés (transports, logistique, crèches et restaurants interentreprises, très haut débit…) et des réseaux d’entraide entre pairs. Les multiples initiatives prises en ce sens au coeur des territoires doivent être confortées par les programmes de soutien européens et nationaux au développement local.

Prendre en compte l’extrême diversité des modèles de TPE et des projets entrepreneuriaux

La politique de soutien des TPE doit viser à favoriser des entités à croissance rapide, aussi bien de type gazelle que souris. Aider des dizaines de milliers de TPE à créer un ou deux emplois supplémentaires est tout aussi utile que de massifier des programmes de soutien public sur quelques centaines de pépites innovantes et de multiplier les appels à projets hypersélectifs. La volonté de limiter le saupoudrage des aides publiques ne doit pas se transformer en favoritisme au profit d’une petite élite entrepreneuriale connectée aux lieux de décision. Cet accompagnement doit également viser à faciliter la transformation d’autoentreprises en véritables projets entrepreneuriaux « recruteurs ».

Déverrouiller l’accès à la commande publique

La commande publique représente en France près de 300 milliards d’euros de flux monétaires. Elle reste encore pour beaucoup de TPE une terra incognita ou un espace qu’elles jugent, à tort ou à raison, préempté par les grands acteurs de l’économie nationale. Des plans d’accès des TPE à la commande publique devraient être encouragés partout en France, en lien avec les projets de territoires et leurs volets économiques. La constitution de plateformes numériques simplifiées ou de marketplaces accessibles doit faciliter le référencement des TPE et leur montée en visibilité. Sur les transitions numérique, énergétique, écologique ou démographique, des plans de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences devraient permettre aux TPE de former leurs équipes et de répondre à leurs difficultés de recrutement.

Conforter le maillage des réseaux d’accompagnement

Les réseaux d’accompagnement des créateurs ou des repreneurs d’entreprises font partie des leviers essentiels du développement local dans les territoires. Ils contribuent à la diffusion de la culture entrepreneuriale et à la professionnalisation des projets. Leur rôle d’incubation est de fait extrêmement précieux, en mobilisant une très large communauté de professionnels et de bénévoles partout en France. L’argent public investi reste très modeste au regard des bénéfices obtenus. Ces réseaux pourraient sans doute, en lien avec les collectivités locales et les organismes consulaires, jouer un rôle renforcé dans les phases post-création pour développer des actions de veille économique, de sensibilisation et de formation.

Organiser les solidarités inter-strates

Dans le cadre de leurs politiques de responsabilité sociale et environnementale (RSE), qui auront de plus en plus à prendre en compte une dimension territoriale, les grandes entreprises et ETI devraient être incitées à s’investir plus activement dans l’encouragement des TPE et des actions de parrainage. Mécénat de compétences, accès aux référencements, insertion dans des réseaux professionnels, qualité de la relation donneur d’ordres/sous-traitants, programmes de R&D collaboratifs ou encore politiques d’achats responsables pourraient être au coeur de ces rapprochements, organisés dans des logiques d’écosystèmes territoriaux inspirées des meilleures pratiques des clusters.

Favoriser les communautés d’entrepreneurs par du clustering

Dans le prolongement des politiques publiques de soutien des filières et des clusters, des programmes de rapprochement des TPE au coeur des bassins de vie et des agglomérations pourraient être encouragés par les pouvoirs publics locaux. Des communautés locales d’entreprises pourraient se multiplier pour faire face aux enjeux communs de qualification et de certification, de recrutement, de réponse à des appels d’offres (privés ou publics), de mise aux normes… L’essor des groupements d’employeurs, comme le développement des nouvelles formules de coopératives (SCIC), est de nature à favoriser ces communautés de TPE assimilables à des formes d’entreprises étendues43Les représentants des TPE demandent la possibilité d’expérimenter le recours aux groupements momentanés d’entreprises (GME) sans solidarité qui faciliterait l’accès aux marchés privés d’ampleur pour les TPE de différents métiers..

Encourager les dynamiques néoartisanales à travers des TPE de production

Le renouveau des métiers de l’artisanat et des activités de fabrication est aujourd’hui constaté dans de nombreuses régions. Il est porté aussi bien par les dynamiques des territoires d’industrie et des projets alimentaires territoriaux que par le thème de la ville productive ou des projets d’économie circulaire (réemploi de matériaux, récupération d’énergies fatales…). Ce regain d’intérêt est propice à l’essor de petites structures de production, centrées sur des séries courtes, des techniques numériques (3D) et des activités de réparation. Ces TPE spécialisées, néoartisanales, peuvent contribuer à la revitalisation de quartiers anciens, de friches industrielles, de lieux de mémoire… Des microfilières, constituées à partir de TPE, doivent pouvoir s’insérer dans des chaînes de valeur réorganisées autour d’industries légères (filière vélo, ameublement, outillage, textiles techniques…) ou de précision (secteur du luxe).

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