Jean Coldefy : « Un million de personnes vivent de la métropole de Lyon sans y habiter »

Président du conseil scientifique de France Mobilités depuis septembre 2023 après avoir été responsable adjoint du service mobilité urbaine de la Métropole de Lyon jusqu’en 2016, Jean Coldefy est l’auteur avec Jacques Lévy d’une note pour l’Institut Terram intitulée « Réforme territoriale : pour une démocratie locale à l’échelle des bassins de vie ». Tribune de Lyon s’est entretenu avec l’ingénieur alors que le député Renaissance Éric Woerth s’apprête à rendre les conclusions d’une énième mission parlementaire sur la décentralisation.

Vous dressez le constat que les frontières de nos villes sont aujourd’hui obsolètes.

Jean Coldefy : En 1900, on faisait 4 kilomètres par jour et les communes faisaient 4 kilomètres de diamètre, donc il y avait une cohérence entre l’espace de vie et l’espace politique. En 2020, on fait 40 kilomètres par jour et les communes font toujours 4 kilomètres de diamètre. C’est ça l’anomalie. Avec le phénomène d’urbanisation, des tas de communes de sont vidées mais sans que l’on ne change les règles démocratiques. La moitié de la population habite en ville, et avec le phénomène de périurbanisation, plus de 90 % des gens sont économiquement polarisés sur une ville. Donc l’espace économique d’une ville dépasse largement ses frontières : 43 % des Français travaillent en ville sans y habiter. Une ville n’appartient pas qu’à ses résidents. Elle doit assumer son statut de locomotive territoriale et pour cela il faut adapter la gouvernance locale. 

Vous raisonnez à l’échelle de l’aire urbaine et non pas de la ville ou de l’agglomération.

L’aire urbaine c’est l’ensemble des communes dont au moins 40 % des actifs travaillent dans le pôle central. Celle de Lyon c’est 400 communes et 2,4 millions d’habitants. La Métropole c’est 1,4 million. Donc vous avez un million de personnes qui sont à l’extérieur mais qui vivent de la métropole. Vous avez le Sytral qui gère les transports en commun urbains, la Région qui gère les TER, mais il n’y a pas de structure intégrée qui permette par exemple un titre de transport unique. Un gouvernement des aires urbaines c’est ça. Une stratégie à l’échelle des espaces de vie des Français sur le logement, l’aménagement, le développement économique, la mobilité. Mais il faut garder l’espace de proximité, la commune, qui gère des projets hyper locaux, sans dimension métropolitaine. 

Qu’a-t-on tenté pour y remédier ?

Comme on a pris conscience que les communes n’étaient plus à l’échelle pour gérer leurs compétences, on a créé en 1992 les communautés de communes. Sauf qu’on ne les a pas calées sur le bon périmètre, et on a donc créé des groupements de groupements de communes : les syndicats. Il y en a 9 000, et 1 255 EPCI (Établissement public de coopération intercommunale, ndlr), parmi lesquels j’intègre la Métropole de Lyon même si c’est une collectivité à part entière. De ce point de vue Gérard Collomb avait raison. C’est une avancée qui préfigure un gouvernement des villes à la bonne échelle. Géographiquement, ceux qui sont passés à la bonne échelle c’est le Grand Reims, Le Havre, Cherbourg, Caen également. 

L’exemple de Reims est frappant !

À Reims, il y a eu une fusion entre la communauté d’agglomération (16 communes, 217 000 habitants, ndlr) et les communautés de communes environnantes pour passer à l’échelle de l’aire urbaine (144 communes, 296 000 habitants, ndlr) parce qu’ils ont bien compris que c’est à cette échelle là qu’il faut réfléchir. Quand vous êtes à des échelles trop petites, vous êtes tentés de développer la spécialisation sociale du territoire. C’est plus facile d’avoir des gens socialement homogènes quand vous construisez un programme. Avoir un seul client, c’est plus facile. C’est ce que pointe très justement Jacques Lévy : 95 % des quartiers prioritaires de la politique de la ville sont dirigés par des maires de gauche qui n’ont pas du tout envie qu’il y ait de la gentrification. Et inversement, les communes CSP+ n’ont pas du tout envie qu’il y ait plus de mixité. Des communes de taille trop petites renforcent l’affaiblissement du vivre-ensemble parce qu’elles favorisent l’homogénéisation, avec des politiques moins universelles et plus clientélistes. Et comme on n’a pas résolu notre problème de taille et de nombre de communes, on a créé des structures de coopération qui n’ont pas les mêmes périmètres, qui sont des lieux de pouvoir et qui coûtent très cher.

Comment développer cette conscience métropolitaine ?

Aujourd’hui tous ces enjeux, qui sont essentiels pour les Français – logement, droit du sol, mobilité –, ils ne sont jamais discutés dans les campagnes électorales. Pourquoi ? Parce que ce sont des campagnes communales, à petite échelle. Donc on va parler aux riverains. Nous on distingue les résidents des habitants : les résidents c’est ceux qui ont un logement dans un endroit donné, mais les habitants c’est là où vous passez votre temps. Pour que cela fonctionne, il faut répondre à quelques grands principes. Un principe de cohérence, faire correspondre l’espace de vie à l’espace politique. Un principe de solidarité, je me soucie des conséquences de mes actions sur mes voisins, ce qu’on ne fait pas aujourd’hui. Ce n’est pas la métropole qui s’occupe de la métropole et les autres s’occupent des autres. Un principe de responsabilité, je suis responsable devant mes électeurs. Mais la responsabilité ça implique aussi l’autonomie, notamment financière. C’est à ça qu’Éric Woerth s’est attaqué, pas du tout au reste, donc ça restera un énième bricolage sans s’attaquer au problème de fond. 

Qu’auriez-vous attendu ?

Ce qu’on propose, c’est qu’il y ait une instance, un Haut conseil des territoires, qui ne serait pas politisé, composé de scientifiques et d’experts, qui puisse déterminer une cible, quelque chose de désirable et souhaitable. Et ensuite il faut laisser du temps au temps. Il n’y aura pas de grand soir. Lyon a fait une modification de compétences sur un même périmètre et a aujourd’hui une meilleure organisation démocratique. Par contre la proximité n’est pas forcément gérée comme il le faudrait, structurellement. Il faudrait aussi que les communes aient des tailles démographiques et géographiques raisonnables. À Reims, il y a 144 communes dont 132 qui font moins de 2 000 habitants. Collomb avait raison quand il disait aux communes des Monts d’Or : «  Si vous voulez peser, fusionnez ». On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. La France est le seul pays au monde a ne pas avoir fait notre réforme communale. On représente 40 % des communes de l’UE pour 15 % de la population. Cet émiettement est très préjudiciable.